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mert inutile, & quoiqu'il ajoute aux raffont de Beccaria des idées nouvelles, & juftes & profondes, nous ne croyons pas qu'il d'truile ces raifonnemens de Mably : Tout me dit qu'il n'y a plus d'ordre, de règle, de fûreté ni de droit facré parmi les hommes, fi le fort d'un Citoyen vertueux cft pire que celui d'un, meurtrier : c'eft cependant ce qui arriveroit, fi je perdois le premier le plus grand & le plus irréparable des biens, tandis que men affallin conferve roit la vie. Tout me démontre que les Loix contre le meurtre feront inutiles fi on ne condamne pas le meurtrier à mort. Sans cette Loi, la haine ou la vengeanced'un lâche pourroit fe fatisfaire en jouant, fi je puis parler ainfi, un jeu trop inégal contre le Citoyen dont il méditeroit la mot: l'on ne mettroit au jeu que fa liberté, & l'autre y mettroit fa vie.

Si matheureux, ajoute Mably, condamné à une prifon perpétuelle, devoit conferver pendant toute la vie les mêmes fentimens de trouble de crainte & de défefpoir qu'il éprouve dans le premier inftant qu'on la précipité dans un cachot, il feroit plus puni que par la mort; mais dans ce cas ne faudroit-il point par huma nité le débarraffer du poids de la vie? Ne nous faifons pas illufion; la vie paffera toujours chez les hommes pour le plus grand des biens; & il eft certain que la orainte de la mort augmente le trouble &

le malheur des prifons; qu'il n'y a aucun de ces fcélerats qu'on mène au giber qui ne regardât comme une faveur la prifon la plus dure, & les travaux les plus pénibles. Un alfaffin croit faire le plus, grand mal à fon ennemi en lui ôtant la vie; il regarde donc la mort comme let plus grand des maux : c'eft donc par la crainte de perdre la vie qu'il faut arrêter les emportemens de la haine & de la vengeance. On parle fort à fon aife de ces travaux pénibles qu'on veut fubftituer à la peine de mort; mais ne feroit-on point embarraffé, fi je demandois qu'on entrât là-deffus dans quelques détails: Ces travaux, quelque durs qu'ils foient, ne font ils pas fur toute la terre le partage de l'indifence; & pourquoi voulez - vans que le criminel & l'indigent aient le même fort?

Ces confidérations nous femblent avoir une grande force dans un pays où les travaux les plus vils, les plus durs, les plus meurtriers même, trouvent des millions. d'hommes qui s'y dévouent, prcffés par le befoin de vivre, & où par conféquent la feule indigence condamne des innocens aux mêmes peines que pourroient infliger les Loix aux plus grands criminels. Qu'est-ce donc qui diftinguetoit l'innocent d'avec le coupable? Une chaîne, une garde une prifon? Mais quelle chaîne affez forte quelle garde affez fûre, quelles prifons." multipliées contiendroient tant de fcélé-"

rats? Et quelle charge pour l'Etat que les frais & l'inquiétude d'une pareille furveil

lance ?

Dans les travaux publics, dit M. de P., la fatigue ou la longueur journalière du travail, la durée de la captivité, les adouciffemens accordés ou refufés aux condamnés, fourniffent des différences importantes à faifir. Il diftingue auffi dans la peine de la prifon trois degrés, la plus rigoureufe, la plus rude & la plus adoucie. Mais prenez la lifte des crimes, & voyez fi du larcin à l'empoifonnement, au parricide, au crime de l'incendiaire, vous trouvez dans ces peines d'affez grands intervalles & des degrés affez marqués, & fi fur tout les crimes qu'on peut commettre dans les ténèbres, avec l'efpérance trop vraifemblable d'échapper au fupplice, feront affez fortement réprimés par la crainte de la prifon?

A l'effet que nous attribuons à la peine de mort, l'Auteur oppofe un raifonnement qui feul, s'il étoit fans réplique, trancheroit la difficulté, & concluroit en fá fa

veur.

"

"La peine de mort fatisfait- elle au » moins à l'utilité publique par l'exemple qu'elle donne? Elle n'y fatisfait pas, fi, » au lieu d'infpirer de l'effroi, elle infpire plutôt de la commifération pour celui » qui fouffre, & de l'horreur pour celui qui le fait fouffrir; fi tous les fpecta

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teurs, agités d'un frémiffement involon"taire, s'intéreffent malgré eux en faveur de l'homme qu'on veut livrer à l'exécration; fi l'effet en eft fi terrible, que » déformais le Citoyen témoin d'un crime » ne le dénoncera pas, quoiqu'il fente tout l'avantage de s'allurer du coupable «, Enfuite, réduifant fon objection en dilemme » Les témoins, dit il, d'un fupplice capital, font ou affligés ou contens. Sont-ils contens? malheur à la Société renfermant des hommes qui en voient mourir d'autres fans frémir! Sont-ils affligés ? vous avez donc produit un effet contradictoire. L'attendriffement que l'on éprouve eft un cri de la »Nature, qui avertit combien l'outrage un fupplice dont la terre est ensanglantée «

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Mais cette alternative à un milieu indiqué par l'Auteur lui-même, & ce milieu nous femble être le point de vérité. La réflexion, dit-il, approuve le châtiment ; mais l'inftinct eft en faveur du coupable dès que la potence eft prête, la barre levée, le bûcher enflammé. Ainsi, par cet inftinet de fenfibilité qui nous fait compatir aux fouffrances de nos femblables, nous oublions le crime à l'inftant du fupplice, & nous plaignons le criminel. Mais cet oubli n'eft que d'un inftant. Ni la penfée qui le précède; ni la réflexion qui le fuit ne font pour le coupable; elles font en faveur de la Loi qui l'a condamné, fi elle

eft jufte, c'est-à-dire, fi la peine n'ef point atroce; & le fentiment qui nous e refte n'eft point de l'indignation, mais de l'effroi, & de cet effroi falutaire, qui devenu habituel, fert de frein aux paf fions & de barrière au crime. Pour la plupart des hommes, a dit l'Auteur lui même il n'eft d'autre morale que la crainte, & il n'eft point de crainte plus réprimante que celle de la mort.

Du refte, fi l'on trouve que M. de P. penche trop, comme nous le croyons, vers l'indulgence en décernant les peines, on ceffera d'en être furpris lorfqu'on lira ce qu'il dit de lui-même. Je l'attefte avec ferment; jamais, non jamais il ne parut un criminel devant moi, fans me faire éprouver de douloureufes émotions. Elle vit encore dans mon cœur comme dans ma mémoire, celle que je reffentis la première fois où, chargé de rapporter un procès criminel, je remplis ce terrible ministère. La pâleur couvroit mon vifage; les pleurs rouloient dans mes yeux; ma bouche ne laiffoit échapper que des paroles mal articulées, un tremblement univerfel s'étoit emparé de moi, & une fecrète horreur faifoit friffonner tous mes fens

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L'homme eft bien für de n'être jamais trop rigoureufement traité par de pareils Criminalites.

Dans la troifième Partie, l'Auteur analyfe tous les rapports que les peines peu

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