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cette rectitude de vues qui font surtout les hommes politiques. Seul orateur du nouveau ministère, il avait à la tribune plus de fluidité que de véritable éloquence. Ce genre de talent manquait absolument à M. de Chabrol, administrateur intègre et distingué. M. de Montbel n'était qu'une image pure, mais très affaiblie de M. de Villèle, auquel il appartenait à titre de compatriote et d'ami. Il passait pour être dévoué au parti ecclésiastique. M. de Rigny n'était guère connu que par les lauriers de Navarin (1).

Le choix le plus impopulaire était celui de M. de Bourmont, homme de talent et d'action, mais qu'une capacitée éprouvée, une bravoure irrécu

(1) Voici, à propos de ce combat, une anecdote curieuse, certaine et peu connue :

Les trois puissances alliées, protectrices de la Grèce, avaient donné à leurs amiraux des instructions qui leurs défendaient tout acte d'agression contre la flotte turco-égyptienne; mais le duc de Clarence, grand-amiral d'Angleterre, ne l'entendait pas ainsi, et après avoir signé, en sa qualité, les instructions que son gouvernement lui ordonnait d'envoyer à l'amiral Codrington, qui commandait la station, il écrivit, au-dessous de sa signature, ces mots: have at them, (tombe dessus). Codrington, qui ne demandait pas mieux, s'entendit avec les amiraux français et russes, et.... la flotte égyptienne fut détruite, malgré son héroïque résistance.

sable, ne lavaient pas, chez un peuple délicat sur l'honneur militaire, de sa défection dans les champs de Waterloo. Membre de la chambre des pairs, il était sans influence sur cette chambre, où son nom, souvent prononcé dans le procès du maréchal Ney, semblait avoir laissé un long et douloureux retentissement.

Rien ne saurait exprimer la vivacité des impressions que causa l'avénement d'un tel ministère. Le parti libéral le regarda généralement comme un défi qui lui était porté par la couronne, et fit entendre d'amères imprécations. Les royalistes exaltés accueillirent en lui le triomphe prochain du régime absolu, et félicitèrent le roi d'un acte de vigueur qui faisait présager une issue prompte et décisive aux embarras de la monarchie. Un symptôme remarquable, et qui n'aurait pas dû échapper au gouvernement, ce fut la joie plus ou moins concentrée avec laquelle les libéraux révolutionnaires apprirent une détermination qui, en engageant le pouvoir dans les voies périlleuses où la violence devient tôt ou tard une nécessité, rouvrait pour eux la carrière aventureuse des révolutions. La même nouvelle fut reçue avec inquiétude par les amis de la monarchie constitutionnelle, et en général par tous ceux de l'ordre et de la liberté. Un ministère où figuraient les noms les plus antipathiques

à la France leur paraissait, quelles que fussent d'ailleurs ses intentions, abonder en germes de graves perturbations. Où donc étaient, après tout, les motifs d'une résolution aussi brusque, aussi extrême de la couronne ? Quelles circonstances imminentes mettaient sa fortune en péril, et l'obligeaient à cette manifestation indiscrète et presque menaçante de sa puissance? La lutte établie entre l'opposition et le gouvernement n'avait point excédé jusqu'alors les limites d'un débat purement parlementaire; elle n'offrait encore aucun de ces caractères de sédition et d'anarchie propres à légitimer au à absoudre l'appel à la force. Sans doute, on pouvait gémir de la faiblesse ou de l'isolement du pouvoir; sans doute aussi quelques organes exaltés de l'opinion libérale avaient fait entendre d'imprųdentes provocations. Mais ces provocations, limitées à la nuance anarchique de ce parti, n'avaient trouvé qu'un faible retentissement dans les chambres législatives, et la masse de la nation ne s'en était point émue. N'était-il pas à craindre que cet appareil de noms hostiles et impopulaires accumulés dans la composition du nouveau cabinet, ne fit succéder à cette indifférence une excitation dangereuse, et ne compromît de nouveau cette paix publique, achetée au prix de tant d'efforts et de sacrifices? Que serait-ce si, aveugle dans son dévoûment

aux volontés de Charles X, et préoccupé de je ne sais quel caractère providentiel attaché à sa mission, ce ministère cherchait dans le renversement de nos institutions un remède extrême aux périls réels ou imaginaires de la monarchie? Quel avenir pour la France! La stabilité de son repos ne dépendait-elle pas de l'observation scrupuleuse de ce pacte que quinze ans d'existence et les serments de deux rois avaient consacré parmi nous? En violant ellemême ses engagements, la royauté ne donneraitelle pas aux peuples le signal de la résistance et de la révolte? On payait un milliard à la loi, on ne paierait pas deux millions à des ordonnances. L'irritation et les inquiétudes s'accrurent quand on apprit que Charles X, sortant du caractère de bienveillance qui lui était habituel, avait traité avec sévérité les ministres congédiés, et même avec amertume deux d'entre eux, MM. Feutrier et de Vatimesnil. Un tel éclat, de sa part, ne pouvait signaler qu'une résolution fortement arrêtée.

Une feuille publique qui, avait contribué puissamment à la chute de M. de Villèle, mais dont l'appui paraissait foncièrement acquis à la monarchie, le Journal des Débats, exprima avec violence ces plaintes et ces alarmes dans un article que le gouvernement crut devoir déférer aux tribunaux. L'éditeur responsable, M. Bertin aîné, connu

par de longs et honorables services rendus à la cause des Bourbons, appela devant la cour royale de Paris d'une première sentence qui le condamnait à six mois d'emprisonnement et à 500 fr. d'amende, et fit entendre lui-même, pour sa justification, des paroles pleines d'onction et de convenance. Il repoussa vivement le reproche qui lui était fait d'avoir voulu outrager le roi, objet de sa vénération et de son amour: « Je ne sais, dit-il en terminant, si ceux qui se croient sans doute plus dévoués que moi au petit-fils de Henri IV, rendent un grand service à la couronne, en amenant devant une cour de justice des cheveux blanchis au service de cette couronne; je ne sais s'il est bien utile que des royalistes qui ont subi les peines de la prison pour la royauté, les subissent encore au nom de cette mème royauté. » M. Dupin aîné, son défenseur, déplora l'aveuglement du pouvoir qui donnait la préférence de ses attaques à un journal dévoué à la propagation des doctrines monarchiques, et dans lequel le système d'alliance entre les libertés publiques et la royauté avait rencontré de tous temps un organe actif et utile: «Quel heureux tableau, ajoutat-il, que celui d'un peuple obéissant et fidèle qui ne demande que la paix et ne la cherche que dans la stabilité des institutions, ne voulant que ce qu'on lui a fait jurer, mais le voulant avec constance,

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