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proposée, donne l'assurance que ce projet va être rejeté. » Répondant à l'opinion de M. Dupin qui, par le projet d'Adresse, prétendait placer le roi dans l'espèce d'alternative, ou de renvoyer ses ministres ou de dissoudre la Chambre: «Il ya, dit M. Berryer, quelque chose d'effrayant et qui contriste le cœur dans cette résolution d'une assemblée qui demande sa propre ruine; qui, trahissant la confiance des électeurs, veut se soustraire aux devoirs qu'elle a à remplir envers le roi, envers le pays, envers ellemême. Et c'est au moment où ces devoirs sont le plus impérieux, que par une étrange inconséquence, elle voudrait délaisser le poste qui lui est confié! Qu'importe maintenant, quand les droits du roi sont blessés, quand la couronne est outragée, que votre Adresse soit remplie de protestations de dévoûment, de respect, d'amour! Qu'importe que vous disiez « les prérogatives du roi << sont sacrées » si en même temps vous prétendez le contraindre dans l'usage qu'il doit en faire! Ce triste contraste n'a d'autre effet que de reporter la pensée vers des temps de funeste mémoire. Il rappelle par quel chemin un roi malheureux fut conduit, au milieu des serments d'obéissance et des protestations d'amour, à changer contre la palme dumartyre le sceptre qu'il laissa cheoir de ses mains! Je ne m'étonne pas que dans leur pénible travail

les rédacteurs du projet aient dit qu'ils se sentaient condamnés à tenir au roi un pareil langage. Et moi aussi, plus occupé du soin de l'avenir que des ressentiments du passé, je sens que si j'adhérais à une telle Adresse, mon vote pèserait à jamais sur ma conscience comme une désolante condamnation. »

La discussion fut close presque immédiatement après ce mémorable discours. L'amendement de M. de Lorgeril, sur lequel la Chambre alla d'abord aux voix, ne réunit que 28 suffrages. Un amendement analogue, présenté par M. Sosthène de la Rochefoucauld, eut moins de succès encore. Les opinions dissidentes de la Chambre étaient trop fortement tranchées, pour qu'une résolution tempérée pût y obtenir quelque faveur.

Le dépouillement du scrutin sur le vote intégral de l'Adresse se fit avec calme et solennité. Les esprits étaient aussi vivement préoccupés que s'ils eussent prévu les conséquences terribles de la détermination qui allait sortir de l'urne. Cette opération, qui se prolongea jusqu'à une heure avancée de la soirée, offrit pour résultat 221 suffrages en faveur du projet, 181 contre. L'Adresse hostile au ministère fut ainsi votée à une majorité de quarante voix (1).

(1) Voyez, aux Documents justificatifs, à la fin de l'ouvrage, le texte de l'Adresse des 221 et du discours du trône.

Le moment paraît venu d'apprécier avec impartialité ce document mémorable, qui prépara l'une des plus grandes catastrophes dont l'histoire moderne ait à retracer le souvenir.

Ce fut sans doute un tort grave du cabinet d'offrir à la Chambre l'occasion de déclarer si nettement les antipathies que son avénement y avait fait naître, et de la rendre en quelque sorte solidaire des manifestations hostiles de l'opinion publique. Mais la Chambre elle-même ne déclina pas cette solidarité dangereuse; elle s'y associa en quelque sorte, en refusant hautement son concours à un ministère dont le système lui était encore inconnu. Quel aliment à l'esprit de faction qui se produisait de toutes parts sous des apparences si alarmantes! Quel encouragement aux passions politiques qui se déchaînaient avec une violence si effrénée ! A la vérité, ce ministère avait pris pour devise: Plus de concessions. Loin de nous la pensée de justifier ces mots imprudents, expression absolue et dès-lors mal habile d'une résistance contraire aux conditions les plus simples du gouvernement représentatif. Cependant, on peut se demander quel avantage la monarchie avait retiré du système de concession essayé par le ministère

Martignac, et plus anciennement par le cabinet de 1820. Louis XVIII, ce prince si éminemment constitutionnel, n'avait-il pas senti, à cette dernière époque la nécessité de rompre avec le régime de condescendance dans lequel il s'était engagé, et M. de Martignac lui-même ne venait-il pas de déplorer tout récemment à la tribune les progrès rapides et incessants "de `l'anarchie? Cette politique défensive du ministère n'offrait donc rien de nous veau si ce n'est le soin qu'il prenait de la formuler: soin maladroit, en effet, mais qui ne pouvait, à notre avis, justifier la réprobation anticipée de la Chambre. Car enfin, pourquoi cette éclatante répulsion ? Quels attentats graves aux libertés publi ques, quelle trahison coupable envers la couronne ou le pays l'avaient motivée ? Quel en était le prétexte ou le fondement ? Les antécédents des ministres, dira-t-on. Mais qu'avaient d'inconstitutionnel les antécédents de MM. Courvoisier, de Bourmont, de Chabrol, d'Haussez, de Montbel et de GuernonRanville ? Quant à M. de Polignac, objet principal et presque exclusif de ce manifeste, où donc était la preuve qu'il persistât en 1830 dans son éloignement momentané pour la Charte de 1814? Citait-on quelque acte, quelque parole qui permît de révoquer en doute la sincérité de ses serments? Point; tant d'hostilité ne poursuivait qu'un nom

propre. Etrange préoccupation des hommes assemblés ! Ce refus prématuré de concours, si laborieusement motivé, si solennellement déclaré, ne résiste point aujourd'hui à l'épreuve d'une logique vulgaire. Dépouillé du cortége menteur des influences politiques, réduit à une simple question de justice et de dignité, ce grand débat, d'où sortit une révolution, semble facile à résoudre. Les conseillers de la couronne se présentaient à la Chambre la Charte à la main, protestant de leur respect pour tous les droits qu'elle consacrait, et repoussant par les professions de foi les moins équivoques les ombrageuses suspicions auxquelles ils se trouvaient en butte. La Chambre n'était point en droit de mépriser leur langage et de répudier leurs serments. Ses pouvoirs consistaient à exercer sur leurs actes un contrôle sévère, à juger sans mollesse et si, l'on veut, sans indulgence, l'ensemble de leur conduite politique. Mais, flétrir les ministres eux-mêmes sans les avoir entendus, condamner, sans égard pour la prérogative royale, un système qu'ils n'avaient point encore exposé, se rendre le complaisant écho des défiances et des irritations populaires, n'était-ce pas céder à la plus déplorable prévention, et abdiquer en quelque sorte le sentiment de sa propre autorité !

L'Adresse de 1821, qu'on a souvent proposée

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