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expression fidèle de la physionomie des person

nages auxquels ils se rapportent, voilà, sauf erreur, ses attributs essentiels. A la différence du chroniqueur et du mémoriographe dont on n'exige rien, si ce n'est de l'exactitude, c'est un devoir impérieux pour l'historien d'éclairer et de conclure. Il doit distinguer avec soin ce que l'erreur ou l'intérêt ont affecté de confondre, et préparer par des jugements élaborés dans le silence des passions, les oracles de la postérité sur les événements dont il a entrepris de dérouler le tableau.

Cette espèce de magistrature, sans doute, est grave et délicate, mais elle est loin d'être insurmontable pour l'histoire contemporaine. Peut-être même est-ce à ce genre de composition qu'il

appartient surtout de conserver aux événements leur couleur originale, de les réduire à leurs proportions naturelles, de retracer avec fidélité les impressions et jusqu'aux illusions qu'ils ont fait naître (et qui sont aussi de l'histoire), et de prévenir enfin ces admirations ou ces dénigrements absolus que l'avenir n'est que trop porté à accueillir, comme toutes les opinions qui présentent ce caractère. Car l'éclectisme historique n'est guère le partage que de deux classes d'hommes, à savoir, ceux qui se sont trouvés en présence des événements eux-mêmes, et les esprits observateurs et philosophiques qui savent que les apparences sont les plus redoutables adversaires de la vérité, que les événements ne sont pas plus absolus que les théorics, et qu'ils ont

rarement cet enchaînement simple et régulier, cette

espèce de laisser-aller que nous leur trouvons dans la plupart des livres d'histoire, mais que nous ne rencontrons point dans ce grand livre appelé le monde, champ vaste ou les incidents se croisent en tout sens et avec des péripéties variées auxquelles l'imprévu a souvent le plus de de part.

Un autre reproche qu'on est en possession de formuler contre l'histoire contemporaine, n'est guère moins grave que celui qui vient d'être apprécié. Vouée par sa nature à la mise en lumière de personnages vivants, de personnages placés dans les rangs suprêmes de la société, elle manque nécessairement, dit-on, de cette

franchise d'allure et de mouvement, de cette

indépendance de langage sans laquelle les intérêts de la vérité sont perpétuellement compromis. Sa destinée est de n'offrir qu'un côté des choses, qu'une moitié des physionomies; les égards enfantent les dissimulations et les réticences, et la tradition des faits, ainsi endommagée, est mille fois plus nuisible à la vérité qu'un silence absolu qui ne préjuge rien du moins sur les révélations ultérieures que le temps doit apporter à l'avenir.

Ce reproche dont l'auteur, on le voit, ne dissimule point la gravité, s'adresse moins à l'histoire elle-même qu'aux écrivains qui ont accepté la noble mission de la répandre. Il exprime au préjudice des modernes un grief qui paraît n'avoir

jamais été articulé contre les écrivains anciens.' Car, Salluste, Thucydide et Tacite furent des historiens contemporains, et la postérité n'a rien ajouté, ce nous semble, à la vigueur de leurs peintures, à la décision de leurs jugements. Il ne faut point oublier que le dernier de ces écrivains, témoin dans son adolescence des horreurs de la cour de Néron, vécut au sein du règne de Domitien, c'est-à-dire, à l'une des époques du plus complet asservissement de l'esprit humain. Ecoutons cependant le portrait qu'un critique moderne trace de cet impartial et courageux historien: de se replier sur lui-même, Tacite, dit-il, jète sur le papier tout cet amas de plaintes et ce poids d'indignation dont il ne pouvait autrement se soulager; voilà ce qui rend son style si intéressant

Obligé

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