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IV.

Il est facile de pressentir, après ce qui précède, ce qui nous reste à dire sur la question des recouvrements en souffrance. Ici encore, on n'en saurait douter, les intentions de la chancellerie sont excellentes; la circulaire a rendu un incontestable service. Elle est devenue le point de départ d'une quantité de mises en demeure adressées à la clientèle, et elle a fait sortir le notariat des errements d'une tolérance vraiment excessive. Mais il faut également ici se défier des règles absolues, et si l'on veut faire quelque chose d'utile, appeler à soi les lumières de la pratique. Nous conviendrons facilement que, dans beaucoup d'arrondissements, les délais laissés aux parties pour se libérer sont véritablement déraisonnables; que la marche des études en éprouve de sérieux embarras; que certains notaires ont pu aussi parfois, en exagérant encore ces facilités, trouver un moyen de concurrence illicite. Les règlements intérieurs peuvent assurément remédier à cet état de choses dans une certaine mesure, en prescrivant l'affiche dans les études, ou même l'insertion, sur les lettres, des dispositions que voteraient les assemblées pour déterminer les délais dans lesquels les notaires devraient réclamer leurs frais. Toutefois, nous doutons que les règlements puissent à cet égard se suffire à eux-mêmes. Ils pourront, sans doute, contraindre les notaires à limiter leur confiance et à se montrer moins faciles, ils ne triompheront point du mauvais vouloir, de l'apathie, du calcul des parties intéressées, et tant qu'une disposition spéciale ne viendra pas, pour lutter contre l'habitude et la mauvaise foi, au secours du pouvoir disciplinaire, les tentatives qui seront faites resteront, en partie du moins, inefficaces.

Des prescriptions réglementaires, portant notamment que les honoraires seront uniformément recouvrés ou les avances consi gnées dans un délai fixe, seront d'une application très-difficile. Ces délais seront presque impossibles à déterminer. Oa risquera toujours, en pareille matière, de faire trop ou trop peu. Les affaires, les clients, comportent suivant les cas mille nuances, mille distinctions à faire. S l'on veut une amélioration sérieuse, ce n'est point à des règles absolues qu'il faut la demander; c'est à quelques dispositions qui ont été mille fois réclamées. Il faut étendre aux notaires le bénéfice de la prescription brevis temporis de l'art. 2273 C. civ., et, en même temps, obtenir par la législation l'abandon de cette jurisprudence qui permet, pendant

trente ans, de réclamer la taxe, même des frais amiablement payés, et qui laisse ainsi exposés aux procès les plus désagréables et les plus coûteux, le notaire ou ses ayants droit, sans mème qu'ils puissent conserver, après un si longtemps, les moyens de se défendre.

Il faut, enfin, obtenir que les notaires ne soient plus privés du bénéfice du droit commun, en ce qui touche l'intérêt de leurs avances, et puisque la jurisprudence a fini par se fixer dans un sens contraire, les faire jouir, comme tous les mandataires, du bénéfice de l'art. 2001 C. civ. Le Comité des notaires le dit excellemment à ce sujet : « Une seconde cause de l'accumu lation des avances par les notaires ruraux, c'est que l'homine de la campagne calcule tout au point de vue de la plus stricte économie; ce n'est qu'en accumulant sou sur sou qu'il parvient à former son capital, et il comprend très-bien que s'il paie le prix d'une acquisition, il sera exonéré des intérêts, tandis que s'il ne paie pas le notaire, il gagnera les intérêts de ce qu'il n'aura pas payé. Aussi, arrive-t-il souvent qu'il ne doit plus rien à son vendeur, et qu'il doit encore tous les frais. >>

Voilà par quel ensemble de mesures on arriverait à débarrasser les études de ces arriérés, qui, en effet, grèvent souvent leur gestion de façon à la compromettre; et nous ajoutons que si ces mesures étaient toutes concédées, il n'y aurait pas lieu de s'arrêter à l'idée, plusieurs fois émise, d'attribuer compétence au juge de paix pour statuer sur les demandes de frais inférieures à 100 fr. Ce déplacement de compétence soulèverait bien des questions et aurait, entre autres inconvénients, celui d'enlever le notaire à la juridiction du tribunal, pour le placer devant le juge de paix dans des conditions toutes nouvelles d'infériorité et de dépendance; on s'exposerait ainsi, pour un bien léger avantage, à sacrifier le caractère de la profession si bien défini par la loi de ventôse. On n'obtiendrait qu'un mince résultat en échange d'un mal considérable. Le mieux est donc de ne pas soulever de questions dont la solution peut mener à des conséquences qu'on ne soupçonne pas.

Quant aux états de recouvrements à fournir par les notaires qui viendront à traiter désormais, les règles auxquelles la Chancellerie a eu la pensée de les assujettir ne nous semblent pas avoir été suffisamment étudiées, et, sur ce point, les bureaux ne paraissent pas assez pénétrés de la pratique des faits.

La circulaire demande que deux colonnes soient dressées dans ces états, l'une pour les déboursés, l'autre pour les ho

noraires. Mais à quelle colonne portera-t-on les à-compte versés à l'étude sans affectation? La circulaire ne le dit pas. Or, dans bien des cas, les clients sur lesquels des recouvrements restent à opérer sont précisément ceux qui se trouvent habituellement en compte avec l'étude, et qui se libèrent vis-à-vis d'elle par des versements partiels qu'ils viennent y faire ou par des retenues qu'ils y laissent opérer sur des sommes touchées pour eux. L'imputation se fera-t-elle selon les règles du droit commun; dès lors, en l'absence de toute convention contraire, sur la créance dont le notaire aura déclaré, au moment du payement, vouloir être payé, ou sur celle qui était la plus onéreuse pour le débiteur, ou enfin sur la plus ancienne (C. civ. 1255, 1256)? Nous le croyous; mais ne voit-on pas, d'ici, à quel résultat bizarre la circulaire va conduire ? Les honoraires devant être recouvrés par des voies plus coûteuses que les déboursés, puisque pour eux la voie . de l'exécutoire n'est pas ouverte, c'est toujours sur les honoraires, dans les frais d'un même acte, qu'il y aura lieu d'imputer les à comptes payés, et les déboursés devront être laissés aux recouvrements. Du reste, ce serait là, peut-être, le vrai moyen de mettre à la portée des notaires la juridiction des juges de paix sans toucher à la loi de ventôse. Est-ce bien le but que s'est proposé la Chancellerie? Consentira-t-elle à sanctionner dans les règlements une disposition qui porterait que les notaires doive. t toujours imputer les sommes reçues sur leurs honoraires, et se réserver de poursuivre la rentrée de leurs déboursés par la voie de l'exécutoire ?

Nous souscririons, quant à nous, volontiers, à de pareilles instructions; mais il eût été bon que la Chancellerie s'en expliquât expressément, afin qu'on pût prendre acte de ses déclarations.

Ces réserves faites, nous nous empressons de reconnaître que la production d'états de recouvrements détaillés peut avoir de nombreux avantages. Elle mettra un terme, notamment, à ces contestations si fréquentes, au lendemain des traités, entre le cédant resté réservataire de ses recouvrements et son successeur, et qui ont pour point de départ l'alternative pour ce dernier ou de se livrer à mille recherches infiniment difficiles, quand l'étude n'a pas conservé d'anciens clercs, ou de laisser son prédécesseur y procéder en dehors de lui, malgré la jurisprudence qui ne considère plus le cedant, une fois dessaisi de son ancien dépôt, que comme un étranger. La circulaire actuele a donc, sur ce point, utilement complété celle du 28 juin 1849,

qui a définitivement autorisé la réserve des recouvrements (Art. 13746 J. N.).

Mais qu'il soit bien entendu que la production de l'état des recouvrements ne devra être faite qu'à l'occasion des traités. Qu'il soit bien entendu aussi que la comptabilité, là où elle serait obligatoire en vertu de règlements approuvés, ne pourrait devenir l'objet des investigations du parquet qu'au cours d'une poursuite intentée. La circulaire ne peut dire autre chose : elle ne dit pas autre chose. Les parquets ne doivent donc point y chercher le principe de pouvoirs plus étendus. Le notaire contre lequel aucune poursuite n'a été commencée ne doit ouvrir son dépôt à personne, et ne peut se soumettre à un contrôle avec lequel il n'y aurait plus de secret professionnel. La circulaire • n'a pu changer sur ce point ce que la loi a fait ; car la comptabilité, à l'exemple du répertoire, est faite de la substance des actes, et par cela même qu'elle participe de leur nature, elle doit partager l'immunité qui les protège. Elle constitue d'ailleurs une propriété purement privée, qui doit être régie par le droit commun. Le croirait-on cependant? En présence du langage si explicite de M. le Garde des sceaux, on nous affirme que certains parquets auraient déjà élevé la prétention d'exercer une sorte de surveillance permanente sur la tenue de la comptabilité dans chaque étude, là sans doute où elle existe. Nous ne saurions trop prémunir les notaires contre cette tendance abusive. Tant que la comptabilité n'a été ni créée, ni réglée par la loi, les notaires ne sont même pas obligés d'en tenir une. Il est sans doute désirable qu'aucune étude n'en soit dépourvue, mais c'est à la condition que les registres ne s'ouvriront qu'occasionnellement et dans les cas où le compulsoire lui-même deviendrait nécessaire. Si la comptabilité devait être plus facilement divulguée, fût-ce aux parquets, la mesure dont nous conseillons l'adoption deviendrait la source d'intolérables abus. C'est, avec le secret professionnel, la liberté même des conventions qui recevrait une irrémédiable atteinte. Aussi croyons-nous à un simple malentendu de la part des parquets qui ont envoyé les avis dont on nous parle. Une circulaire du 6 décembre dernier, sur laquelle nous reviendrons, semble devoir imposer aux notaires l'obligation de fournir annuellement le relevé de leurs actes pour la statistique civile. C'est sans doute l'envoi de cette circulaire, mal interprétée dans certains arrondissements, qui a inspiré aux parquets la pensée d'annoncer aux chambres de leur ressort que le ministère public se réservait le droit de contrôler sur la comptabilité ces

Tome CVIII.

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relevés eux-mêmes, ou peut-être de se faire livrer la comptabilité pour les faire dresser en cas de non-exécution. Cette exigence, si c'est dans ces termes qu'elle s'est produite, est assurément mal fondée. En effet, tous les éléments de la statistique ne se trouvent-ils pas sur le double du répertoire déposé au greffe, et les parquets ne peuvent-ils pas les y consulter? N'est-ce pas plutôt aux greffiers à fournir les relevés demandés? En tous cas, l'exigence des parquets à cet égard n'irait même pas jusqu'à contraindre les notaires à cette communication journalière des registres dont on a parlé.

Nous n'insistons pas, et nous n'avons qu'un mot à ajouter. Nous nous sommes expliqués avec toute sincérité sur la circulaire du 19 octobre; nous n'en avons pas exagéré la critique ; nous nous sommes attachés à en faire ressortir le côté utile, et à démontrer qu'elle peut devenir le point de départ d'un progrès véritable dans l'organisation des corporations, si on fait appel à une intervention législative, et pour l'appliquer au pouvoir réglementaire. Mais nous n'en avons que plus le droit de dire que si on prétendait dépasser le but que s'est proposé M. le Garde des sceaux, il faudrait résister.

Aux mots Notaire, no 739; Discipline notariale, no 47; Recouvrements, no 22; Comptabilité notariale, nos et suiv.; Registres de comptabilité notariale, nos 9 et suiv., du Dict. Nor. (4 édit.); annotez: V. Art. 21564 J. N.

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Lorsque, sur la licitation poursuivie entre un tiers cessionnaire de droits successifs et les autres héritiers, l'adjudication est prononcée au profit du tiers cessionnaire, la transcription de l'acte est nécessaire, non pour la purge des hypothèques provenant du chef des autres colicitants, hypothèques dont l'immeuble licité s'est trouvé affranchi de plein droit par le fait même de l'adjudication, en vertu de l'art. 883 du Code civil, mais pour la purge des hypothèques provenant tant du défunt que des héritiers dont le tiers cessionnaire avait acquis primitivement les droits. C. civ., art. 883, 2183.

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Nous présentons ci-après des observations sur cette décision, qui est conforme aux principes résultant de la jurisprudence tant civile que fiscale.

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