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Qualification de

un bâtiment de qualité inférieure.

ture à diminuer l'idée du risque dont ils se chargeaient, ils sont recevables à se plaindre de cette surprise et à requérir la cassation de l'assurance.

Vous me présentez une police qui énonce que la marchandise est chargée dans un vaisseau, tandis que ce bâtiment n'est qu'une felouque ou une simple barque. Je signe de bonne foi cette police. La surprise frappe sur la substance de la volonté, et vicie par conséquent le contrat; car une barque est naturellement exposée à plus de dangers qu'un vaisseau proprement dit : Assecuratio mercium vehendarum per navem non capit merces, quæ transmittuntur per fregatam, vel barcam, ex differentiæ ratione percutiente substantiam voluntatis ; quia nempè magis tuta sit navigatio cum unâ, quàm cum altera specie navis. De Luca, de credito, disc. 108, no. 6. Casaregis, disc. 1, no. 27. Marta, tom. 3, v. assecuratio, cap. 14.

Dans notre usage, on ne comprend sous la qualification de vaisseau que vaisseau donnée à les bâtimens à trois mâts. Infrà, sect. 7. L'assureur peut dire, en ce cas, qu'il entendait assurer un bâtiment de cette dernière espèce, plutôt qu'une barque ou une pinque. Casaregis, disc. 1, n°. 29. Valin, art. 3, titre des assurances, de l'Ordonnance. Pothier, no. 106.

C'est ainsi que la question a été plusieurs fois décidée.

Premier arrêt. Le sieur Antoine Floret fit faire des assurances, de sortie de Londres jusqu'à Marseille, sur les facultés du vaisseau la Panthère, capitaine Thomas Read, anglais. Ce navire essuya de mauvais tems. Arrivé à Marseille, le capitaine présenta requête en réglement d'avarie. Les assureurs, appelés au procès, soutinrent que la Panthère était un bateau. Sentence interlocutoire, qui ordonna que, par experts, la qualité et contenance de ce bâtiment seraient vérifiées. Les experts déclarèrent que la Panthère était de la portée de soixante tonneaux; qu'il était mâté d'un seul mât et du beaupré, et que c'était un bateau, non un vaisseau. Sentence définitive du 5 novembre 1749, qui déclara l'assurance nulle, et déchargea les assureurs de leur obligation, en restituant la prime, sous la déduction du demi pour cent. Arrêt du mois de juin 1751, au rapport de M. de Galliffet, qui confirma cette sentence.

Second arrêt. Les sieurs François Guiraud et compagnie firent assurer, pour compte de la veuve Dutil et Bacham, de Bordeaux, de sortie des Iles françaises jusqu'à Bordeaux, la somme de 8,000 liv., sur les facultés du vaisseau les Deux-Frères, capitaine Masson. Ce navire fut pris par les Anglais. Les assureurs, assignés en paiement de la perte, opposèrent qu'ils venaient d'apprendre que ce bâtiment était un brigantin et non un vaisseau. Ils rapportaient des preuves de leur allégation. Sentence rendue le 10 février 1747, qui or

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donna «qu'avant dire droit, la veuve Dutil et Bacham justifieraient que le
navire les Deux-Frères était un vaisseau et non un brigantin. Arrêt du 16
juin 1752, au rapport de M. de Beaurecueil, qui confirma cette sentence.
Lors de ce procès, on produisit des certificats d'une foule de négocians et
de capitaines de notre place, qui attestaient que l'usage constant et inva-
›riable sur cette place, est que dans les polices d'assurance qui y sont dres-
»sées par le ministère des courtiers ou des notaires, la qualité du bâtiment y
⚫ est nécessairement expliquée, et plus précisément qu'aucune des autres con-
ditions, attendu que c'est celle qui détermine le plus les assureurs à donner
» ou à refuser leurs signatures dans les polices qui leur sont présentées; car
>tels assurent sur un vaisseau qui n'assureraient pas sur des bâtimens infé-
rieurs, comme barques, pinques, brigantins, bateaux et tartanes, et sur-
tout pour les voyages allant ou venant de l'Océan. Certifions et attestons de
plus, est-il dit, que nous ne reconnaissons pour vaisseaux sur cette place,
› que les bâtimens à trois mâts portant voiles carrées, et que tous les autres
> bâtimens dénommés ci-dessus ont tous leurs mâtures différentes, qui les font
distinguer les uns des autres: en sorte qu'on est obligé, en se faisant assurer,
› de donner une parfaite connaissance aux assureurs de la qualité du bâtiment
sur lequel on veut se faire assurer, comme une des conditions la plus essen-
› tielle. Telle a été la pratique de tous les tems sur cette place.

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La raison qui, en pareil cas, opère la nullité de l'assurance (et qu'on peut autoriser sur le mot in navem deteriorem de la loi 10, ff de leg. rhod.), ne se rencontre point, lorsque la qualité réelle, du navire est supérieure ou équivalente à celle qui a été énoncée dans la police.

Le sieur Chaudon, pour compte de Duclos, de Valence, fit faire des assurances sur les facultés de la pinque Saint-François. Elle fut prise. Les assureurs, contre qui j'écrivais, rapportèrent la preuve que ce bâtiment était mâté à pible, et que c'était une polacre. Sentence du 17 juin 1763, qui condamna les assureurs à payer la perte. Arrêt du mois de juin 1764, au rapport de M. de Moissac, qui confirma cette sentence.

De tout ce qui vient d'être dit, on peut colliger quelques règles sur cette matière.

1. Il n'est pas absolument nécessaire d'énoncer la qualification du bâtiment, puisque cette forme n'est pas prescrite par l'Ordonnance;

2o. Si la fausse qualification donnée au bâtiment est de nature à diminuer l'idée du risque, l'assurance est nulle. Tel est le cas dont parlent les auteurs ci-dessus cités, relativement au mot de la loi, in deteriorem navem.

§ 3. Si la qualité réelle du navire est supérieure, ou équivalente à celle qui est énoncée dans la po lice.

$4.

Regles qu'on peut établir sur cette ma

tière.

3. Si la fausse qualification est indifférente à l'objet du péril, les assureurs ne peuvent point s'en plaindre. Voilà pourquoi, dans l'espèce du premier des préjugés cités, notre tribunal de l'amirauté ne s'était pas borné à ordonner la vérification de la qualité du bâtiment; il avait ajouté que les experts en vérifieraient encore la contenance: de sorte que, si la Panthère, quoique bateau par sa mâture, eût été aussi fort et aussi gros qu'un vaisseau marchand ordinaire, les assureurs auraient été condamnés.

Voilà encore pourquoi les assureurs sur la pinque le Saint-François furent condamnés à payer la perte, quoique le bâtiment fût une polacre, parce que le risque sur le Saint-François polacre, avait été le même en tous sens, que sur le Saint-François pinque, la forme intrinsèque de la mâture n'altérant en rien ni la nature ni la bonté du navire.

CONFÉRENCE.

LII. Il ne suffit pas que la police exprime le nom du navire, il faut encore qu'elle désigne la qualité du navire, qu'elle dise si c'est un trois mâts, un brick, une felouque, une pinque, etc.

L'art. 332 du Code de commerce veut que cette désignation soit énoncée exactement dans le contrat d'assurance.

Quoique le mot navire comprenne tout bâtiment de charpenterie propre à flotter sur l'eau, cependant l'usage ordinaire, parmi nous, a attaché une idée différente à chaque mot dont on se sert pour désigner un bâtiment quelconque. Par vaisseau on entend communément un vaisseau de guerre de la plus forte capacité; par frégate, un vaisseau de moindre capacité; par corvettes, les médiocres vaisseaux de guerre, etc.

Le mot navire est consacré plus particulièrement à ce qui concerne la navigation marchande, et celui de bateau à ce qui regarde la navigation fluviale. Il y a des navires de différentes dimensions et de différentes constructions; des trois mâts, des bricks, des brigantins, des maraboux, des tartanes, des chasse-marées, etc.; les uns de cent, cent cinquante, deux cents, et les autres de trois, quatre, cinq cents tonneaux, etc.

La qualité du bâtiment doit nécessairement être expliquée dans la police, et plus précisément qu'aucune des autres conditions, attendu que c'est celle qui détermine le plus les assureurs à donner ou à refuser leurs signatures; car tels assurent sur un grand navire, qui n'assureraient pas sur des bâtimens inférieurs; car une tartane, un brigantin, an chassemarée, sont naturellement exposés à plus de dangers qu'un navire à trois mâts.

On ne saurait plus dire aujourd'hui avec Emérigon, quoique M. Estrangin sur Pothier, no. 106, l'ait répété, qu'il n'est pas absolument nécessaire d'énoncer la qualification du bâtiment dans la police, puisqu'à la différence de l'Ordonnance de la marine, l'art. 332 du nouveau Code de commerce prescrit cette forme. Le contrat d'assurance exprime le nom et la qualification du navire, porte cet article; tandis que l'art. 3, titre des assurances, de l'Ordonnance, ne mettait pas la désignation du navire au nombre des énonciations qui doivent être insérées dans la police. Cependant, il faut faire observer avec notre auteur que

si la qualification donnée au bâtiment est indifférente à l'objet du péril, les assureurs ne pourraient guère s'en plaindre, comme si la qualité réelle du navire était équivalente ou supérieure à celle énoncée dans la police.

En résumé, la désignation du bâtiment est ou omise, ou erronée, ou frauduleuse. L'assureur ne saurait, en général, objecter l'omission, puisque par sa signature il aurait couvert ce défaut d'énonciation, sans exiger que le navire fût désigné; et qu'alors, comme l'observait la Cour de cassation, il s'en est rapporté à l'assuré sur le choix du bâtiment. − ( Voyez Observations de la Cour de cassation, tom. 1, pag. 26 et 27 ).

Quant à l'erreur dans la désignation du bâtiment, il faut examiner quelles en sont les suites. Si elle est de nature à diminuer l'idée du risque, elle vicie le contrat; elle devient indifférente si elle ne peut avoir cet effet.

Enfin, la fraude, dans la désignation du navire pour inspirer plus de confiance, frappe la convention de nullité dans son essence, sans même qu'on soit obligé d'attendre l'événement pour juger si elle a effectivement porté préjudice à l'assureur; mais il faut qu'elle soit démontrée. (Voyez art. 1116 du Code civil; voyez au surplus tom. 3, pag. 318 et suivantes de notre Cours de droit commercial).

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SECTION IV.

Des Enonciations accidentelles.

L'ART. 7, titre des assurances, de l'Ordonnance, dit que les assurances pourront être faites sur un vaisseau armé ou non armé, seul ou accompagné.

$1 Navire armé en

Si le vaisseau qu'on fait assurer est armé en course, la police d'assurance doit en faire mention, attendu que le corsaire cherche les périls, et que, course, dans le sein de la victoire, il trouve quelquefois sa défaite.

Il est prudent d'insérer dans la police que le navire est armé en course et en marchandises. Si cette circonstance n'a pas été déclarée, et que le navire poursuivant un ennemi qu'il eût pu éviter, soit pris lui-même, les assureurs ne répondront point de ce sinistre, ainsi qu'on le verra plus au long, infrà, ch. 12, sect. 19 et 40.

S'il est dit dans la police que le vaisseau sera accompagné, c'est-à-dire qu'il partira avec convoi ou sous escorte, il faut distinguer divers cas.

Premier cas. Je me suis fait assurer, de sortie de Marseille, telle somme, sur tel navire partant avec escorte. Le navire part sans escorte: dès lors l'assurance devient caduque, et la prime doit être restituée, soit que l'escorte promise ait été refusée par le roi, auquel cas le contrat s'évanouit defectu condi

Armé en course et en marchandises.

$2. Navire allant sous

escorte.

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tionis, soit que je n'aie pas voulu que mon navire profitât de l'escorte donnée; auquel cas c'est une espèce de rupture du voyage assuré, arrivée avant le départ du vaisseau; rupture qui, ayant précédé le commencement du risque, annule l'assurance, suivant l'art. 37, des assurances.

Les assureurs ne peuvent prétendre la prime, parce que le navire parti seul n'a jamais été à leur risque, et si ce navire, ainsi parti seul, périt par tempête, les assureurs ne répondront point du sinistre, parce que l'assurance a été annulée dans son principe, et que d'ailleurs, en tems de guerre, un navire non escorté s'expose à tout pour éviter l'ennemi. La crainte d'un danger en fait naître souvent de plus considérables: Cùm plus in metuendo mali sit, quàm in ipso illo quod timetur. Cicéron, epist. famil., lib. 2, cap. 4.

Second cas. Je me suis fait assurer, de sortie de Marseille, telle somme, sur tel navire, pour se rendre à Toulon, y joindre le convoi, et de là partir avec escorte pour l'Amérique. Le vaisseau part de Marseille; dès ce moment le risque court pour compte des assureurs, et il ne peut plus être question de ristourne. Mais dans le trajet de Marseille à Toulon, le navire essuie une avarie considérable; il arrive à Toulon, où il s'arrête pour être radoubé. Il lui est impossible de profiter du convoi. Cet événement est la suite d'une fortune de mer, de laquelle les assureurs répondent, et je crois que le navire, après qu'il aura été radoubé, pourra continuer seul sa route aux risques des assureurs, parce que cette espèce de changement, ou plutôt d'altération de voyage, occasionnée par cas fortuit, est à la charge des assureurs, suivant l'art. 26.

Troisième cas. Le navire parti seul de Marseille pour aller joindre le convoi à Toulon, y arrive, et part sans profiter de l'escorte sous laquelle il lui était loisible de se mettre, et de laquelle, d'après le pacte de son contrat, il n'aurait pas dû s'écarter. Dès lors, y ayant changement ou altération volontaire de voyage, sans le consentement des assureurs, ceux-ci sont déchargés des risques, et ne sont pas tenus de restituer la prime, parce qu'ils avaient commencé à courir les risques maritimes. C'est la décision de l'art. 27, titre des assurances, de l'Ordonnance.

Quatrième cus. Le sicur Journu Neveu avait fait faire des assurances sur le navire le Fils Bien-Aime, capitaine Dominique Castigliore, destiné, pour les Iles françaises. Il fut stipulé dans la police que l'assurance n'aurait de valeur qu'autant que le navire partirait de Bordeaux, sous l'escorte des bâtimens du roi.

Ce navire fut joindre l'escorte à la rade de Royan, qui est à l'embouchure de la Garonne. On mit à la voile. Un coup de vent sépara du convoi le na

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