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Pourquoi des efforts aussi puissans ne sont-ils pas également consacrés en faveur de ce peuple héroïque et généreux de l'antique patrie des sciences et des arts? Ce serait le plus beau monument que les puissances maritimes du dix-neuvième siècle eussent élevé à la justice, à la raison et à l'humanité..........!

Quoi qu'il en soit, outre la oroisière de bâtimens armés ordonnée par le roi de France, sur la côte de Guinée et du Sénégal, le législateur, par l'art. 1 de la loi du 15 avril 1818, a statué que « toute part quelconque qui serait prise par des sujets et des navires français, » en quelque lieu, sous quelque conditión et prétexte que ce soit, et par des individus étran»gers dans les pays soumis à la domination française, au trafic connu sous le nom de traite » des noirs, sera puni par la confiscation du navire et de la cargaison, et par l'interdiction » du capitaine, s'il est français. D

Art. 2. Ces affaires seront instruites devant les tribunaux qui connaissent des contraventions en matière de douanes, et jugées par eux.

Néanmoins, malgré ces mesures, et par l'infraction la plus honteuse à cette loi dictée par les sentimens de la justice et de la nature, nous avons vu et voyons encore une avarice sordide et inhumaine, courbée sur son bureau, régler, la plume à la main, le nombre des attentats qu'elle pourrait faire commettre sur les côtes de Guinée, et examiner à loisir de quelle quantité de marchandises elle aurait besoin pour obtenir un nègre, et de chaînes pour le tenir garrotté sur son navire......!

Ces spéculations criminelles et barbares ont plus d'une fois donné lieu à de grandes difficultés, dont plusieurs ont été décidées par la Cour de cassation.

JURISPRUDENCE.

1. La compétence de ces sortes d'affaires est attribuée aux tribunaux correctionnels; elles sont poursuivies par le ministère public. (Arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 1822; Dalloz, an 1822, pag. 157 et 158).

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2o. L'art. 2 de la loi du 15 mars 1818 ne fixe que la compétence et la jurisdiction, et laisse les moyens de preuve dans le cercle et les principes du droit commun. -(Arrêt de cassation du 12 octobre 1821; voyez Sirey, an 1822, pag. 71).

3°. La loi du 15 avril 1818 doit être appliquée à quiconque a pris part dans la traite des noirs, encore qu'il ne soit pas capitaine reçu, s'il a été chargé du commandement du navire.

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(Arrêt du 15 février 1822; voyez Dalloz, 1822, pag. 154).

4°. Tout navire français qui a été employé, en quelque lieu que ce soit, à la traite des noirs, doit être confisqué, soit qu'il y ait eu ou non saisie, et que le navire se trouve ou non sous la main de la justice, qu'il soit vendu ou qu'il ait cessé d'appartenir à l'arma( Arrêt de cassation du 23 mai 1823; voyez Dalloz, 1823, pag. 254 ).

leur.

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5. Mais la peine de la confiscation du bâtiment négrier, prononcée par la loi du 15 avril 1818, ne peut être suppléée par une condamnation à une somme équivalente à la valeur du navire confisqué, lorsque ce navire n'a pu être saisi et qu'il n'est pas représenté.

En effet, cette question importante, d'où dépend en quelque sorte la sanction de la loi, a été décidée négativement par la section criminelle de la Cour de cassation, dans son audience du 29 juin dernier. (Voyez le Moniteur du mardi 4 juillet 1826, no. 185).

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Voici l'espèce Le navire le Jeune- Alexandre, armateurs les sieurs de Lhorme et com

pagnie, avait été employé à la traite des noirs. Le tribunal de première instance de la Martinique en prononça purement et simplement la confiscation.

Mais comme le navire n'avait point été saisi, parce que les armateurs étaient parvenus à le soustraire et à en disposer dans une île étrangère, la commission d'appel, en confir-. mant cette confiscation, crut pouvoir ordonner en outre que les armateurs verseraient au trésor une valeur estimative, et qu'en attendant le résultat d'une estimation juridique, ils fourniraient caution de la somme de 80,000 francs sur un immeuble non hypothéqué. La Cour de cassation, sur le pourvoi des armateurs,

• Attendu que la loi ne punit les infracteurs de sa disposition que par l'interdiction du capitaine et par la confiscation du navire; qu'elle n'a point soumis l'armateur à payer la » valeur du navire confisqué, lorsqu'il n'a pu être saisi, ou qu'il n'est pas représenté; Attendu que cette disposition, qui n'est pas dans la loi du 15 avril 1818, présente les » caractères d'une nouvelle peine ajoutée arbitrairement à celle de la confiscation que le législateur a seul prononcée;

Que si l'objet matériel et spécial de la confiscation a été, par le fait des armateurs, » mis hors la main de justice, ce n'est pas une raison pour que les tribunaux criminels » puissent rien ajouter aux dispositions pénales dont ils ont à faire l'application, ni suppléer au'silence de la loi, quand la puissance législative a seule le droit d'en remplir les » lacunes;

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Qu'ainsi, la commission spéciale d'appel, par une addition illégale à la loi du 15 avril,

» dont elle a faussement appliqué et violé en même tems l'art. 1, a commis un excès de » pouvoir qu'il est du devoir de la Cour de réprimer.

» Par ces motifs, la Cour casse et annule, etc. »

On ne saurait se dissimuler qu'au premier aspect, cette décision paraît singulière, en ce qu'elle rend pour ainsi dire illusoire une loi dont les dispositions pénales doivent être cependant considérées comme sérieuses. On parvient difficilement à saisir les bâtimens négriers, qui vont s'armer maintenant à l'île Saint-Thomas, d'où ils partent avec de fausses insertions des noms des capitaines sur les rôles d'équipage, et qui sont ensuite soustraits à la confiscation par la vente qui en est faite en pays étranger. Il est évident que si dans le cas de la soustraction du navire négrier, par le fait des armateurs ou du capitaine qui les représente, l'on ne peut les condamner à payer la valeur de ce bâtiment, il n'y aura pas un de ces armateurs qui n'échappe quand il le voudra aux conséquences du délit qu'il aura commis. Cela semble contraire aux principes et à la raison. Nul ne doit avoir un moyen légal d'éluder une peine qu'il a encourue.

les

La peine du délit de la traite est la destitution en ce qui concerne le capitaine, et la confiscation du navire en ce qui concerne l'armateur. Dès que le délit est commis, deux peines sont encourues, quoiqu'elles ne soient pas encore prononcées. L'autorité peutmanquer d'élémens pour poursuivre, le tribunal de preuves pour condamner. Ce sont des chances dont les coupables profitent; mais il ne faut pas du moins qu'on leur accorde en outre un moyen de se jouer de la loi, et tout en avouant le délit, d'éviter la peine qu'elle prononce. La loi ne serait plus alors qu'un vain épouvantail.

Un armateur a fait la traite; dès lors son navire est sous le coup de la confiscation; il ne lui appartient plus; il est là pour payer son délit. S'il le vend, il le vend en raude

de la loi, et cette fraude ne doit point lui profiter. Si l'armateur est convaincu, son navire est confisqué; et si par son fait le navire est soustrait et n'est pas sous la main de la justice, il doit être condamné à le représenter ou à en payer la valeur. Qui veut la fin veut les moyens. S'il en est autrement, qu'on réfléchisse sur les conséquences, et l'on verra què la loi ne sera plus qu'une moquerie.

Tout homme prévenu d'un délit est sans doute présumé innocent jusqu'à la condamnation. C'est un principe sacré. On conçoit donc que jusque-là il jouisse de l'intégrité deses droits; qu'ainsi, par exemple, un armateur soit, pendant la litispendance, toujours considéré comme le propriétaire de son navire; qu'il en puisse disposer, et que cette vente soit valable en ce qui concerne le tiers de bonne foi qui a traité avec lui: voilà qui est conforme à la raison et à la justice; mais que l'armateur, quand il sera convaincu, quand il sera condamné, quand son navire sera confisqué, ne soit pas responsable de la disparition de ce navire, qui a eu lieu par son fait; qu'il ne soit pas tenu envers la justice de lui. représenter ce gage qu'il a soustrait, ou du moins sa valeur; qu'au contraire, il lui soit permis, pendant les poursuites, durant les discussions, à la veille du jugement, de vendre le navire, instrument du délit, et seul objet de la confiscation, et par là de réduire à rien, au zéro du ridicule, le procès lui-même voilà qui est contraire à l'esprit de la loi; voilà ce qui n'a jamais été dans l'intention du législateur, qui n'a pu vouloir, en faisant une loi, réserver au délinquant un moyen de l'annuler.

Cependant la Cour de cassation l'a jugé ainsi, et l'on ne peut blâmer la Cour de cassation.....!

La Cour de cassation a ouvert la loi et a lu son texte. Elle a pu penser que la loi était incomplète, qu'elle n'atteignait pas son but, qu'il y avait omission, oubli dans la rédaction; que c'était un mal sans doute, mais que ce n'était pas à elle à le réparer, que ce n'était pas à elle à remplir les fonctions du législateur. Elle a pu penser que dans l'espèce particulière, c'était un grand inconvénient, puisqu'il en résulte qu'un délit très-grave restera le plus souvent impuni; mais elle a été pénétrée de ce grand principe, qu'en matière pénale, il n'est pas permis d'ajouter à la loi, même pour l'améliorer.,

La Cour de cassation a professé cette vérité de tous les tems, trop souvent méconnue, qu'on peut consulter l'esprit de la loi pour absoudre, mais qu'on ne doit condamner que d'après son texte.

C'est un enseignement pour tous les tribunaux, pour toutes les Cours.

6o. Du reste, le délit de la traite des noirs ne consiste pas seulement dans le négoce qui se réalise sur la côte d'Afrique, mais dans la part à ce négoce, résultant de la série des actes préparatoires qui le constituent, l'organisent et en facilitent le succès. Ainsi, la construction particulière du navire, le genre d'armement et d'approvisionnement, les autresdispositions intérieures d'un navire destiné pour la traite, la réunion à bord des objets propres à cette destination, la direction du navire vers les lieux où se fait la traite, et les divers moyens employés pour consommer ce trafic frauduleux; tous ces faits forment par leur seul concours, encore que par des circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur, le trafic n'ait pas été consommé, le délit auquel s'appliquent les peines prononcées par la loi du 15 avril 1818. (Arrêt de cassation du 14 janvier 1826, rapporté par Dalloz tom. 26, pag. 201).

SECTION V.

Effets de contrebande.

BLACKSTONE, discours préliminaire, tom. 1, pag. 83, après avoir dit que les

$ 1. Marchandises pro

› meilleurs moralistes ont pensé, avec raison, que les lois humaines obligent hibées par les luis la conscience de l'homme,» distingue les devoirs naturels des devoirs posi- du royaume. tifs. Il convient qu'on est obligé en conscience de remplir les devoirs naturels, parce qu'ils sont prescrits par des lois supérieures, avant que les lois humaines eussent existé. Mais, ajoute-t-il, par rapport aux lois qui n'or⚫ donnent que des devoirs positifs et qui défendent des choses non mauvaises » par elles-mêmes, je ne vois pas que la conscience y soit intéressée. Il suffit de se soumettre à la peine prononcée par les lois de cette espèce, lorsque » nous les avons enfreintes. »

«

Cette distinction, qui est adoptée par une foule de nos casuistes, est réprouvée par Saint-Paul dans son épitre aux Romains, ch. 13. Il est nécessaire, dit l'apôtre, de se soumettre aux lois du prince, non seulement par la crainte du châtiment, mais aussi par un devoir de conscience: Ideò necessitate subditi estote, non solum propter iram, sed etiam propter conscientiam.

Un chrétien regarde la soumission aux princes, non comme un joug pesant, mais comme une obligation de conscience, et un devoir indispensable de la religion. Il s'en acquitte, non par la crainte des peines comme un esclave, mais par l'amour de la loi.

Nos jurisconsultes connaissent d'autres règles que celle qui nous apprend qu'on doit rendre à César ce qui est à César; et sans entrer dans des distinctions frivoles, ils soutiennent que les lois civiles obligent dans le for de la conscience. Pothier, tom. 2, pag. 748, et tom. 3, pag. 22.

Qué par conséquent la contrebande est un crime plus ou moins grand, selon les circonstances. Dénisart, tom. 1, pag. 711.

Il suit de ce principe que les effets dont l'importation ou l'exportation sont prohibées en France, ne peuvent pas faire parmi nous la matière du contrat d'assurance; et qu'en cas de confiscation de la part de notre prince, les assureurs n'en sont pas responsables, même dans le cas où le fait leur eût été déclaré par une clause spéciale de la police. L'assurance est nulle; il n'est dù ni prime, ni droit de signature.

$ 2.

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Telle est la décision du Guidon de la mer, ch. 2, art. 2. Assurances, est-il dit, se peuvent faire sur toute sorte de marchandises, pourvu que le transport ne soit pas prohibé par les édits et ordonnances du roi.»

Mais l'assurance des marchandises prohibées dans les pays étrangers est-elle

Marchandises pro- valable? Rappelons quelques principes.

hibées par les lois du pays étranger.

D

« 1°. L'état naturel des nations les unes à l'égard des autres, est un état de » société et de paix. Cette société est aussi une société d'égalité et d'indépendance, et qui établit entre elles une égalité de droit, qui les oblige à avoir » les unes pour les autres les mêmes égards et les mêmes ménagemens. › Burlamaqui, Introduction au droit politique, part. 1, ch. 1, § 7. Wolff, § 1120. Vattel, disc. prélim., § 15 et suiv., liv. 2, ch. 3, § 36.

2o. «Quiconque traite dans les terres d'un autre état, est tenu, comme sujet » à tems de cet état, de se soumettre aux lois du pays. » Grotius, liv. 2, ch. 11, $ 5. Wolff, § 1131 et suivans. Burlamaqui, d. loco, ch. 5, liv. 12. Vattel, liv. 2, ch. 8, no. 101, 108.

3°. Chaque souverain est en droit de prohiber dans ses états l'importation ou l'exportation de certaines denrées ou marchandises, sans que les étrangers, qui ont la même autorité chez eux, puissent s'en plaindre. Wolff, § 1908. Vattel, liv. 1, ch. 8, no. 9o.

4°. Les lois civiles n'ont aucune force vis-à-vis de l'ennemi : Silent leges inter arma. Ainsi, toutes les lois prohibitives qui, en tems de paix, subsistaient entre la France et l'Angleterre, se sont évanouies de droit, dès le moment de la guerre. On ne connaît plus que la force des armes. Vattel, liv. 3, § 175.

5°. Les neutres sont en droit de continuer le commerce avec chacune des nations belligérantes. Les assurances faites à ce sujet sont très-bonnes, pourvu qu'on n'ait usé de dissimulation envers les assureurs, et pourvu que le droit des gens, ou quelque traité préexistant ne s'y opposent. Vattel, disc. prélim., $ 24, et liv. 3, § 110, 112. Wolff, § 1111.

Si le neutre a chargé comme sienne une marchandise propre aux sujets d'une des nations belligérantes, et que le véritable pour compte n'ait pas été dénoncé aux assureurs, ils ne répondent pas de la prise et de la confiscation. Ils en répondraient, si le véritable pour compte, couvert sous des expéditions simulées, leur avait été déclaré; parce que la chose n'a rien d'illicite par ellemême, et qu'il est injuste que le commerce d'une nation neutre soit troublé par une guerre qui lui est étrangère. On doit appliquer à ce dernier cas les doctrines de Santerna, part. 4, no. 17; de Loccenius, liv. 2, ch. 5, no. 7, pag. 982; de Roccus, not. 21; infrà, ch. 12, sect. 20.

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