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SECTION VIII.

Fret.

1o. Le nolis est un salaire qu'on paie ou qu'on promet de payer au capitaine, à condition qu'il transportera la marchandise ou les passagers au lieu indiqué. Si ce transport n'est pas fait, soit par cas fortuit (sauf certaines exceptions et modifications), soit par la faute du capitaine, le nolis n'est pas dû.

2o. Ordinairement, le nolis n'est payé que dans le lieu du déchargement; mais rien n'empêche de le payer par avance. Art. 18, titre du fret. Pothier, Traité des contrats maritimes, n°. 86.

Le paiement qui en est fait avant le voyage, est considéré comme une espèce de prêt que le chargeur fait au capitaine : Pro mutuâ, dit la loi 15, § 6, ff locati. Ibiq. Cujas, lib. 3, obs. 1. Kuricke, aux Questions illustres, quest. 34, pag. 898.

3o. « Il n'est dû aucun fret des marchandises perdues par naufrage ou échouement, pillées par des pirates ou prises par les ennemis. Art. 18, titre du fret. Pothier, contrats maritimes, no. 63.

En pareil cas, le chargeur est dispensé de payer le nolis, et s'il l'a payé par avance, il a droit de se le faire rendre. D. art. 18. Et telle est la disposition textuelle de la loi 15, § 6, ff locati, qu'on ne peut bien entendre qu'avec le secours de la Glose et de Cujas, lib. 3, observ. 1. Consulat de la mer, ch. 193 et 229. Droit anséatique, tit. 9, art. 2. Ibiq. Kuricke, pag. 669, 795 et 898. Guidon de la mer, ch. 6, art. 2. Cleirac, sur les Jugemens d'Oléron, art. 9, n°. 9. Roccus, de naulo, not. 70, et dans ses Réponses choisies, resp. 23. Casaregis, disc. 22, n°. 44 et suiv.

4. L'art. 18, titre du fret, après avoir décidé qu'il n'est dû aucun fret des marchandises perdues, et que le maître est tenu, en ce cas, de restituer le fret qui lui aura été payé par avance, ajoute, s'il n'y a convention contraire.

On peut donc valablement convenir que le fret serà dû à tout événement, dit Pothier, Traité des contrats maritimes, no. 65, tom. 2.

Cette convention contraire ne plaît pas à M. Valin, sur l'art. 18, titre du

$ 1.

Observations préliminaires.

$ 2.

On ne peut faire

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fret, de l'Ordonnance. «Ne fût-ce, dit-il, qu'à cause des malversations que la › certitude du gain du fret peut occasionner de la part du maître..

Cleirac, pag. 317, avait craint les mêmes abus; mais, comme le dit M. Valin lui-même, art. 15, titre des assurances, la crainte d'un crime ne doit pas empêcher de se tenir aux règles de la justice.

Les règles de la justice sont de garder les pactes convenus, pacta servabo, lorsqu'ils ne blessent ni les bonnes mœurs, ni l'essence du contrat, ni aucune loi prohibitive.

Le pacte dont il s'agit est permis par l'Ordonnance, et se rapproche de la règle établie par la loi 38, ff locati, où il est dit : Qui operas suas locavit, totius temporis mercedem accipere debet, si per eum non stetit quominus operas præstet.

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Ces principes posés, examinons si le fret peut devenir un objet d'assurance. L'art. 15, titre des assurances, dit que les propriétaires des navires, ni les assurer le fret à faire maîtres, ne pourront faire assurer le fret à faire de leurs bâtimens. » Cleirac, sur le Guidon de la mer, ch. 15, art. 1, rapporte deux raisons de cette décision. Le fret, dit-il, assez privilégié d'ailleurs, ne peut être assuré: • Quia duæ specialitates non possunt concurrere circà idem. Et d'abondant, pour rendre le maître plus soigneux de la conservation du navire et de la mar>chandise qu'il pourrait négliger, s'il était assuré: Ne detur occasio ad delinquendum.

Usage d'Italie.

$ 3.

Fret acquis.

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La première de ces raisons ne paraît pas légale; car rien n'empêche de multiplier ses sûretés pour le même objet.

La seconde raison est bonne; mais voici la véritable raison de décider. Le fret à faire est un profit incertain. Il sera le prix de la navigation heureuse, et le fruit civil du navire. Il ne l'est pas encore : il ne peut donc devenir une matière d'assurance.

En Italie, il est permis d'assurer le fret à faire. Roccus, not. 96.

Ce même auteur, not. 91, demande si, après l'heureuse arrivée du navire, les assureurs sont responsables des dépens faits pour l'exaction du nolis assuré. Il prétend qu'oui.

Tout cela est contraire à nos usages.

La déclaration du 17 août 1779, art. 6, dit: Le fret acquis pourra être assuré, et ne pourra faire partie du délaissement du navire, s'il n'est expressément compris dans la police d'assurance.

A Marseille, on ne croyait pas que le fret acquis pût jamais devenir une matière d'assurance de la part des propriétaires du navire; mais puisque le roi

a

l'a permis, il faut nécessairement que la chose puisse être mise en pratique. Toute la difficulté se réduit à savoir ce qu'on doit entendre par fret acquis. Valin, art. 15, titre des assurances, et Pothier, n°. 36, des assurances, entendent par fret acquis, le fret qui, aux termes de la convention entre le ⚫ propriétaire du navire et les marchands, doit lui être payé à tout événement, » dans le cas de perte du vaisseau et des marchandises, comme dans celui › de l'heureuse arrivée. Il est évident, disent-ils, que ce fret ne peut pas être » matière d'assurance de la part du propriétaire du navire, puisque le propriétaire ne court aucun risque à cet égard. »

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Si le fret ainsi stipulé à tout événement a été payé avant le départ du navire, il est présumé avoir été employé à l'armement du corps, et ne peut point faire capital dans les assurances que les armateurs font faire sur le corps pour leur propre compte; autrement, ils feraient assurer au-delà de leur intérêt primitif et véritable. Vid. infrà, ch. 17, sect. 9, quest. 3.

Si le fret stipulé à tout événement est encore dû aux armateurs du navire, l'assurance que ceux-ci feraient faire d'un pareil fret ne serait rien de plus qu'un simple cautionnement de la solvabilité du débiteur.

J'observerai, avec Valin et Pothier, que le passager ou le chargeur qui ont payé ou promis de payer le fret à tout événement, peuvent le faire assurer, parce que ce fret, définitivement acquis à l'armateur, est une dépense qu'ils risquent de perdre, si, par fortune de mer, le navire n'arrive pas au lieu destiné.

Opinions de Valin et de Pothier, au su jet du fret acquis.

Réponse de notre chambre du com

La chambre du commerce à Marseille, consultée sur le projet de la déclaration du 17 août 1779, répondit que le capitaine pouvait faire assurer les merce. marchandises chargées pour son compte dans le navire, et achetées par le moyen du fret qu'il aurait successivement acquis dans les diverses échelles de sa caravane, ce qui est relatif au Coutumier d'Amsterdam, art. 11, où il est dit que les capitaines peuvent faire assurer les marchandises provenant de leurs salaires et

vacations.

Mais ce ne serait pas alors faire assurer le fret acquis; ce serait faire assurer des effets achetés par n'importe quel moyen. Le fret une fois payé devient de l'argent, dont le capitaine peut disposer suivant sa prudence, et sauf d'en rendre compte à qui de droit: Pretium non ex re, sed propter negociationem percipitur. L. 21, ff de hæred. et act. vend.

M. Figon, de Marseille, négociant très éclairé, qui a eu la complaisance de lire mon manuscrit, et aux lumières duquel je dois beaucoup, me communiqua ses idées au sujet de ce mot fret acquis.

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Observations contre l'avis du négociant.

Opinion du négociant adoptée dans la Loge.

Mon navire, me dit-il, a chargé à la Martinique des sucres, au nolis de 48 den. la livre pesant, pour être consignés au premier port d'Europe, à condition que le nolis sera porté à 60 den., si le navire arrive à Marseille. Je reçois avis que le vaisseau est entré dans le port de Cadix. Il dépend de moi de donner ordre au capitaine de désarmer à Cadix, et d'exiger le nolis de 48 den. Mais, par certaines considérations, je lui écris de continuer le voyage jusqu'à Marseille, et je me fais assurer 40,000 liv., à quoi le fret acquis dans le lieu de Cadix se montait.

Il ajoutait : Mon navire a chargé à la Martinique des sucres au nolis de 60 den., pour être consignés à Marseille, ou en tel autre port d'Europe où le navire abordera. Il arrive à Bordeaux ; je donne ordre au capitaine de continuer son voyage jusqu'à Marseille, et je me fais assurer le fret que j'aurais exigé à Bordeaux, si le navire y eût désarmé.

Je répondais que ce systême était contraire aux principes du droit; car, dans votre première hypothèse, si le navire, au lieu de désarmer à Cadix, continue sa route pour Marseille, le fret de 48 den. et son accroissement resteront dans la catégorie de fret à faire, jusqu'à l'arrivée du vaisseau à Marseille même. Ce n'est qu'alors que l'entier fret vous sera réellement acquis, Le droit d'exiger à Cadix le fret de 4 s. était conditionnel. Suivant la clause qu'on est en usage, en tems de guerre, de stipuler dans les connaissemens dressés aux Iles françaises, le fret était payable en Europe dans le lieu où le navire ferait sa décharge. Or, la décharge n'ayant pas été faite à Cadix, la condition n'a pas été remplie. Cadix a été un simple lieu de relâche, et les choses sont rentrées dans l'ordre prescrit par l'art. 18, titre du fret, d'après lequel, si le navire périt, il n'est dû aucun fret des marchandises perdues par naufrage.

Les mêmes observations s'appliquent à votre seconde hypothèse; car de ce qu'il vous était loisible de faire désarmer le navire à Bordeaux, et d'exiger le nolis, il ne s'ensuit pas que vous l'ayez exigé. Le nolis vous aurait été acquis, si les marchandises eussent été déchargées à terre dans Bordeaux; elles ne l'ont pas été. Le navire continue sa route pour Marseille; s'il périt, le nolis n'est pas dû. Il ne vous est donc pas permis de le faire assurer, parce qu'il est défendu de faire assurer un profit incertain.

Cependant la déclaration de 1779 paraît se concilier avec l'avis de M. Figon. Son opinion a été adoptée dans la Loge. Je l'adopte également, jusqu'à ce qu'une solution plus lumineuse ait été donnée. On ne doit donc pas s'arrêter

au sens grammatical du mot; mais par fret acquis, il faut entendre tout fret qu'on aurait été en droit d'exiger dans le lieu de la relâche.

Le convoi, au nombre de cent vingt-huit voiles, commandé par M. le marquis de Chabert, chef d'escadre, venant de Saint-Domingue, arriva dans la rade de Groais, le 30 juillet 1782. Il s'y trouvait quarante-un navires marseillais, qui auraient pu faire à Lorient leur entière décharge. Le nolis eût alors été acquis en conformité du pacte stipulé dans les connaissemens. Plusieurs des navires provençaux eurent ordre de se rendre à Nantes ou à Bordeaux. Les armateurs firent assurer le fret acquis, c'est-à-dire le fret qui eût été acquis à Lorient, si le désarmement y eût été fait.

Pour concilier mes principes avec le sens attribué à l'art. 6 de la déclaration de 1779, je dis que l'assurance de ce fret prétendu acquis est une espèce de gageure autorisée pour l'avantage du commerce: Si les marchandises, dont j'aurais pu exiger le nolis à Lorient dans le cas où le navire y eût désarmé, périssent dans le trajet de Lorient à Bordeaux, vous me paierez la valeur de ce même nolis, redevenu profit incertain pour moi, et en récompense du risque auquel vous vous soumettez, je vous compterai une telle somme.

Cette espèce de gageure doit être nécessairement subordonnée à certaines règles :

1o. Si j'avais déjà fait faire des premières assurances, de sortie des Iles jusqu'à Marseille, avec dispense de rapporter le fret, il me serait permis, dans le cas proposé, de faire tout uniment assurer le fret prétendu acquis dont je viens de parler;

2o. Si la dispense de rapporter le fret n'avait pas été insérée dans les premières assurances encore subsistantes, il faudrait qu'en me faisant assurer ce fret prétendu acquis, j'eusse soin de stipuler dans ma gageure que je serais dispensé, en cas de sinistre, de rapporter le fret aux seconds assureurs ; car il me serait impossible de le délaisser solidairement à deux différentes classes d'assureurs, qui n'ont rien de commun ensemble;

3o. Si mes premières assurances sont terminées au lieu du premier abord en Europe, je puis ajouter au coût du vaisseau le fret prétendu acquis, et faire assurer le total jusqu'à Marseille; mais il faut alors que ce fret soit expressément compris dans la police d'assurance. S'il n'y est pas expressément compris, il ne pourra faire partie du délaissement du navire : c'est-à-dire que les nouveaux assureurs ne seraient obligés de rien payer à ce sujet.

La déclaration de 1779, interprétée dans le sens qu'on lui a donné, est de droit étroit. De ce qu'il est permis de faire assurer le fret qui aurait pu être

$ 4. Fausse interpréta

tion qu'on voudrait donner à la déclara

tion de 1779.

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