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acquis dans le lieu de la relâche, il ne s'ensuit pas qu'on puisse, en tout autre cas, s'écarter de la disposition de l'Ordonnance. Certaines personnes, à Marseille, ont cru entrevoir dans cette nouvelle loi une permission indéfinie d'assurer le fret à faire, et j'ai vu des polices dressées en août 1782, par lesquelles on s'est fait assurer, de sortie des Iles françaises jusqu'à Marseille, le fret à faire par un tel vaisseau, les assureurs y consentant, et renonçant, en tant que besoin serait, et de pacte exprès, à la disposition de l'Ordonnance.

Mon navire chargé à fret met à la voile de la Martinique pour se rendre à Marseille. J'avais fait assurer, à l'exception du dixième, tout ce qu'il m'en avait coûté pour le mettre en état de faire son retour. Si, par une police postérieure, il m'était permis de faire assurer le fret à faire ( du rapport duquel j'aurais eu la précaution de stipuler la dispense vis-à-vis de mes premiers assureurs ), un sinistre officieux me procurerait le plus grand bénéfice !

On sent combien ce système est opposé à la nature du contrat d'assurance. L'Ordonnance de la marine l'a prohibé. La déclaration de 1779 ne l'autorise pas. D'où il suit que les polices dont je viens de parler sont nulles, et doivent être cassées.

A Bordeaux, lorsque les assurés stipulent la dispense de rapporter le fret, on est en usage d'ajouter dans la police que ce fret leur demeurera définitivement acquis; mais il ne leur demeurera définitivement acquis que dans le cas de droit. Jusqu'alors le fret est à faire. Il est dans la catégorie des profits incertains. Il est incapable de devenir la matière de l'assurance proprement dite. Il faudrait, par conséquent, une loi spéciale pour qu'il fût permis de faire de ce fret la matière d'une gageure maritime.

Que peut-on entendre par assurance de fret à faire? Si, au sortir de la Martinique, le navire se brise contre un écueil, et qu'on ne trouve point de vaisseau pour conduire au lieu de leur destination les marchandises sauvées, il ne sera dû aucun nolis, à cause de la minimité ou nullité du voyage avancé. Il ne sera également dû aucun fret, si les marchandises périssent. L'assurance ne porterait donc sur rien. Vouloir exiger des assureurs le prix d'un fret qui n'a jamais existé, c'est donner un corps à la pensée et réaliser un être de raison; c'est induire les capitaines à sacrifier l'intérêt des marchands chargeurs. Telles sont les suites du nouveau genre d'assurance qu'on tâche d'introduire parmi nous. On ne peut se dissimuler combien il importe au bon ordre du commerce de s'opposer à des subtilités qui ne serviraient qu'à renverser les principes des lois nautiques, et à donner ouverture aux plus grands abus.

La crainte des mêmes inconvéniens se fait moins sentir au sujet de l'assurance du fret qu'on aurait été en droit d'exiger dans le lieu de la relâche. On peut dire que ce fret avait déjà reçu quelque ombre de consistance physique, par la plus-value des marchandises parvenues en Europe. On avait action pour l'exiger: Is qui actionem habet ad rem recipiendam, ipsam rem habere videtur. L. 15, ff de reg. jur. Il est de l'intérêt public que les navires reviennent dans leur département. Dans le cours de la présente guerre, la plupart de nos vaisseaux marchands qui partent pour les Iles françaises ou pour le continent anglo-américain, ne paraissent plus à nos yeux. Notre port est désert. Notre commerce languit. Il est privé de son aliment naturel et du moyen de se reproduire. Il est donc essentiel de favoriser le retour des navires, et on le favorise en permettant d'assurer le fret appelé acquis; mais les mêmes considérations ne se rencontrent pas au sujet du fret à faire proprement dit. L'assurance d'un pareil fret ne serait bonne qu'à multiplier les innavigabilités et les naufrages.

J'ai dit que la déclaration de 1779 est de droit étroit; ainsi, de ce qu'elle permet de faire assurer le fret qui aurait pu être acquis dans le lieu de la relâche, il ne s'ensuit pas que les matelots puissent faire assurer les salaires qu'ils auraient exigés dans le même endroit, si le navire y eût désarmé. Il ne s'ensuit également point que les marchands chargeurs puissent faire assurer la plus-value des marchandises. Tous ces objets sont circonscrits dans la catégorie de profits incertains, et ne seront réalisés que lors du déchargement effectif. Les matelots sont engagés pour l'entier voyage, et ne peuvent quitter sans se rendre coupables de désertion. Il est vrai que les marchands chargeurs pourraient, dans le lieu de la relâche, retirer leurs marchandises, en payant le fret entier et les dépenses pour désarrimer et arrimer de nouveau; mais s'ils ne retirent pas leurs effets, on continue de se diriger par la loi du connaissement; les choses demeurent en l'état, et l'assurance ne peut excéder la valeur primitive des marchandises, dont le risque court jusqu'au lieu du der

nier reste.

Si le navire qui met à la voile de Lorient pour se rendre à Bordeaux ou à Marseille, est pris par les Anglais, les matelots peuvent-ils demander d'être payés de leurs salaires sur le fret assuré? Je réponds que non, 1°. parce que cette assurance leur est étrangère. Vid. mon Traité des contrats à la grosse, ch. 4, sect. 11, § 5. 2°. Parce qu'il importe au bien public que les matelots. soient intéressés à la conservation du navire, par le désir de conserver leurs salaires.

§ 5. Autres questions au sujet de la décla

ration de 1779

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CONFÉRENCE.

LXXI. Le fret, en général, peut être envisagé sous trois points de vue d'abord comme objet de commerce et d'industrie. Le commerce de fret est plus ou moins facile et avantageux; il donne la plus grande étendue au commerce de commission.

En second lieu, le fret se dit d'un certain droit qui se paie aux bureaux des douanes, par les capitaines des navires étrangers, à l'entrée ou à la sortie des ports du royaume, et que les navires français paient aussi de leur côté, à l'entrée et à la sortie des pays des autres puissances. C'est alors une imposition fiscale qui s'établit et se fixe par les traités de commerce des nations.

Enfin, le fret, et c'est sous ce rapport qu'Emérigon le considère, est le prix du transport par mer des marchandises d'un lieu à un autre. C'est le bénéfice que donne le loyer des navires; et telle est la nature du fret, que le navire, soit qu'il navigue pour le compte de sa nation ou pour le compte de l'étranger, soit qu'il navigue pour le propriétaire ou pour le compte d'un autre commerçant, gagne toujours également le prix du transport de la marchandise dont il est chargé, qui se paie aux navigateurs, sans retard ni diminution, quel que puisse être d'ailleurs le prix intrinsèque de la marchandise, et l'événement de la vente, qui donne quelquefois de la perte au lieu où se fait le transport.

Nul contrat de louage sans loyer, dit Pothier. La charte-partie est le contrat de louage, en entier ou en partie, d'un navire.

Sur l'Océan, on appelle le loyer du navire fret. Sur la Méditerranée, on appelle le loyer d'un navire nolis.

Le louage d'un navire se fait et peut se faire de différentes manières. Il a lieu pour la totalité ou pour partie du bâtiment, pour un voyage entier ou pour un tems limité, au tonneau, au quintal, à forfait, à cueillette, avec désignation du tonnage du vaisseau. — (Art. 286, 287 et 288 du Code de commerce).

Cependant, il ne faut pas conclure de là que le Code de commerce n'admette que les conventions qu'il spécifie dans l'art. 286. Il ne déroge point ici au droit commun, qui permet toutes les conventions qui ne blessent ni les lois, ni les mœurs.

L'art. 502 du Code de commerce a répété la disposition de l'art. 18, titre du fret, de l'Ordonnance, relativement au fret pour les marchandises perdues par naufrage et échouement, etc. Non seulement le fret n'est pas dû, mais il doit être restitué, s'il n'y a convention contraire. D'où il suit cependant qu'on peut convenir que le fret sera dû à tout événement, comme l'observe Pothier.

:

La disposition de l'art. 302 est applicable à toutes les espèces d'affrétement. Sa décision est générale alors la déduction du fret doit être faite suivant la quantité des marchandises pillées et naufragées. (Voyez Valin sur l'art. 18, titre du fret, de l'Ordonnance; voyez aussi l'arrêt de la Cour de cassation ci-après ).

A son audience du 10 décembre 1818, la Cour de cassation a eu l'occasion d'examiner si, lorsque par l'effet d'une interdiction de commerce, un bâtiment ne peut débarquer au lieu de sa destination, le fret de retour ne pouvait néanmoins être réclamé, si le capitaine a conduit le chargement dans un port voisin, du consentement de la personne qui était

mative.

chargée par l'affréteur de recevoir les marchandises en consignation. La Cour à jugé l'affir(Voyez d'ailleurs l'art. 299 du Code de commerce, et Valin, sur l'art. 15, titre du fret, de l'Ordonnance).

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Lors de la discussion du projet du Code de commerce, les conseils de commerce de Nantes, de Bordeaux, et même la Cour de cassation, exprimèrent le désir qu'à l'imitation de ce qui se pratique chez les Anglais, on eût donné une plus grande extension à la liberté des assurances, et que, comme cette nation, on pût faire assurer fret acquis et fret à faire, principal et prime, et admettre toutes les évaluations qui seraient proposées; de manière qu'il eût suffi, en cas d'événement, de prouver que la quantité et la qualité de la marchandise désignée avaient été chargées.

Mais le législateur nouveau, comme l'ancien, a voulu que l'assurance fût une garantie pour une chose exposée aux fortunes de mer, ou pour une perte réelle, et non une espèce de gageure, une sorte de jeu de hasard, toujours dangereuse et favorable à la fraude.

L'art. 347 du Code de commerce a donc rappelé la prohibition portée par l'art. 15, titre des assurances, de l'Ordonnance, relativement à l'assurance du fret des marchandises existant à bord du navire.

Mais il faut distinguer, avec Emérigon, entre le fret à faire et le fret acquis. Le premier ne peut être l'objet d'une assurance, le second peut être assuré. La doctrine d'Emérigon ne peut plus être aujourd'hui un sujet de controverse, d'après la déclaration du Conseil d'état, à la séance du 11 août 1807, où, sur l'observation de M. Berlier, « il fut convenu que l'Or» donnance ne déclarait l'assurance nulle que quand elle avait pour objet le fret à faire, » et qu'on pouvait rapporter ici cette disposition. »-(Voyez le procès-verbal du Conseil d'état, n°. get 10, et décision, ibidem, no. 11; voyez la sect. 13 du tit. 10, tom. 3, pag. 481 de notre Cours de droit maritime ).

Ainsi, toutes les fois que le fret est acquis, c'est-à-dire qu'il a le caractère de créance d'un droit certain, et qu'il est en outre exposé à des risques et fortunes de mer, rien n'empêche qu'on ne puisse le faire assurer, de même qu'un créancier peut faire garantir la solvabilité de son débiteur; par exemple, lorsque les marchandises qui le doivent étant mises à terre, le fréteur a droit d'en exiger le paiement, etc. (Voyez M. Pardessus, tom. 3, pag. 248, nouvelle édition).

Dans le cas de sinistre, les matelots, d'après l'art. 259, sont payés de leurs loyers sur les objets sauvés, et subsidiairement sur le fret. Peuvent-ils également, dans la même hypothèse, demander d'être payés sur le fret acquis assuré? Il faut avec Emérigon répondre toujours que non, parce que cette assurance leur est étrangère, et sur-tout parce que leur privilége ne regarde que le fret des marchandises sauvées, qui se sont trouvées exposées au sinistre, qui est devenu la cause du sauvetage, et qui ont été sauvées de ce sinistre.

JURISPRUDENCE.

Par arrêt de la Cour de cassation du 24 décembre 1791, il a été jugé que le fret ou nolis des marchandises prises par les ennemis n'était pas dû, sous l'empire de l'art. 18 du titre des assurances de l'Ordonnance; à plus forte raison sous l'empire du nouveau Code, qui porte textuellement, art. 302 « Il n'est dû aucun fret pour les marchandises perdues

:

» par naufrage ou échouement, pillées par des pirates, ou prises par les ennemis. »—
Sirey, tom. 1, pag. 1, an 1791).

(Voyez

Mais l'art. 302 portant qu'il n'est dû aucun fret pour les marchandises prises par l'ennemi, doit s'entendre seulement du cas où l'affréteur est irrévocablement dépouillé de sa marchandise. Si, au contraire, la marchandise ou le prix est restitué par le capteur, l'affréteur doit être condamné à payer au moins une partie du fret; c'est-à-dire que l'affréteur ne saurait prétendre sur ce fret qu'une diminution proportionnée au dommage que lui a causé la prise momentanée. · Arrêt de cassation du 11 août 1818; Dalloz, an 1819, 1o. part., pag. 158).

L'art. 299 du Code, qui refuse le fret de retour, lorsque le navire n'a pas pu entrer dans le port de sa destination, par suite d'interdiction de commerce, et a été obligé de revenir avec son chargement, n'est point applicable au cas où le capitaine, de concert avec le correspondant chargé de recevoir les marchandises, a conduit le navire dans un port voisin, y a vendu son chargement, et est revenu avec une nouvelle cargaison. (Arrêt du 10 decembre 1818, Sirey, an 1819, i. part., pag. 331).

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SECTION IX.

Profit.

EN Italie, il est permis aux marchands de faire assurer le profit espéré de Profit des mar leurs marchandises. Targa, cap. 42, no. 5. Roccus, not. 31. Santerna, part. 3, n°. 40. Scaccia, de cambiis, quest. 1, no. 169, etc.

chandises.

Notre Ordonnance, art. 15, titre des assurances, le défend. Elle a adopté sur ce point la première des décisions contenues dans le § 4 de la loi 2, ff de leg. rhod., de jactu, où il est dit, detrimenti, non lucri, fit præstatio. En effet, le profit dépend d'un événement incertain et d'une négociation future. Ce profit est un être moral qui ne se trouve point dans le navire, et qui par conséquent ne peut pas être assuré.

Mais lorsque le profit est fait et réellement acquis, le marchand peut le faire assurer: Lucrum quæsitum amittere, est damnum pati. Mantica, de tacitis, lib. 13, tit. 16, n°. 4. Par exemple, j'ai fait assurer d'entrée et sortie de la Martinique une cargaison de la valeur de 50,000 liv. Le navire arrivé à la Martinique, j'ai avis que la vente a été faite avec un bénéfice considérable, et que les retraits sont de la valeur de 100,000 liv., argent de France. Je puis, sans difficulté, me faire assurer les 50,000 liv. de bénéfice, attendu que c'est

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