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» son capital, en cas de naufrage ou autres fortunes de mer. S'il se met à l'abri de ce danger par une assurance de ce même capital, que devient le principe sur lequel la légitimité du change maritime, toujours exorbitant, » est établie ? Le prêteur, qui s'est fait assurer, n'est à découvert que de la prime ou coût de l'assurance, qui, dans le tems ordinaire, est très-peu de » chose. Faut-il que, sous prétexte d'une modique somme qu'il aura payée › à l'assureur, il puisse être en droit d'exiger, si le voyage a eu un heureux » succès, vingt, trente ou quarante pour cent d'intérêt, contre toutes les lois » divines et humaines, puisqu'il est certain que son capital lui reviendra ou de la part de celui auquel il l'a prêté, ou de celle de l'assureur? L'Ordon› nance, art. 17, fait défenses aux donneurs à la grosse de faire assurer le pro» fit des sommes qu'ils auront données; elle ne parle point du capital: d'où » l'on a conclu qu'il était permis de le faire assurer. Mais, à mon avis, c'est › une très-mauvaise conclusion, et je pense, au contraire, que le silence du » législateur n'est fondé que sur ce qu'il ne lui est pas venu dans l'esprit qu'une pareille espèce d'assurance pût s'introduire, attendu qu'elle est formelle>ment opposée à la nature de ce contrat, qui n'a été déclaré légitime, comme » nous l'avons dit, qu'à cause du danger de perdre le capital, à quoi le prê» teur se soumet. Il faut donc que ce danger subsiste, pour conserver la légi

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timité du change maritime, et afin qu'il ne devienne pas usuraire. M. Valin » est d'un autre avis. Il suppose que l'art. 17 autorise l'assurance du capital › donné à la grosse, parce qu'il ne défend que celle du profit qui en doit » résulter; il appuie cette décision sur ce que le prêteur reste à découvert » de la prime, qui est quelquefois considérable. Mais outre que pour l'ordi» naire elle est très-modique, n'est-elle pas toujours bien au-dessous de l'in» térêt maritime du contrat à la grosse? La même proportion s'y trouve à » peu près, et par conséquent la même usure, si le capital n'est pas en danger. » Je ne pousserai pas plus loin mes réflexions. Peut-être même vous les trou» verez assez inutiles. »

Les réflexions de ce magistrat sont profondes; elles sont le fruit de l'étude, de l'expérience et du génie. Elles partent d'un cœur honnête et vertueux. Mais si le législateur avait désapprouvé qu'on fit assurer le capital donné à la grosse, il ne se serait pas borné à défendre d'en faire assurer le profit. Il eût été bien plus court de prohiber l'assurance du capital même. On a donc été fondé à croire qu'à cet égard, on se trouve dans le cas de la règle permissum, quod non prohibitum.

Tous nos auteurs conviennent que le contrat à la grosse est licite. Il a

été autorisé par l'Ordonnance. Il a un caractère et une nature qui lui sont propres.

Je donne à Pierre mille écus au change maritime de douze pour cent pour un voyage. Si le voyage est heureux, il doit me payer le principal et le change stipulė. Si le navire périt, Pierre est déchargé de toute obligation. Je suis donc en risque de mon capital. Je veux le faire assurer.

Il est sensible que cette assurance ne pourra pas être souscrite par le preneur lui-même; car ce n'est qu'en considération du risque maritime-dont il est déchargé, qu'il m'a promis un change de douze pour cent, plus ou moins. S'il se rendait mon assureur, l'essence du contrat à la grosse serait blessée entre lui et moi; ce serait une usure masquée.

Mais rien n'empêche que je fasse assurer mon capital par un tiers. Cela ne blesse en rien les accords que j'ai passés avec Pierre. En cas d'heureux retour, j'aurai mon capital et le change, mais je serai en perte de la prime gagnée par l'assureur. Si le navire périt, je suis privé du change maritime, et l'assureur me remboursera mon capital ébréché par la prime, et même par la déduction du dixième.

On n'entrevoit en tout cela aucune trace ni d'usure, ni de pacte illicite. Telle est la doctrine des auteurs cités, auxquels on peut joindre Ansaldus, disc. 70, no. 5, et Scaccia, de cambiis, quest. 1, no. 503.

C'est ici une espèce de réassurance à laquelle le donneur a recours, pour se décharger sur un tiers des risques maritimes dont il est tenu vis-à-vis du preneur. Casaregis, disc. 15, n°. 1; disc. 127, no. 21.

Voici un cas qui n'est pas exempt de doute. Je vous donne à la grosse cent écus, à condition que si le navire périt, vous me rendrez la moitié de cette somme; mais si le navire arrive à bon port, vous me paierez mon entier capital, avec vingt pour cent de change maritime.

Le docteur Silvestre soutient que ce contrat est usuraire, parce que la même personne ne peut être preneur et assureur pour le même objet. Roccus, not. 40, dit au contraire que ce contrat est légitime, parce que le péril devient commun à l'une et à l'autre des parties: Quia uterque se exponit incommodo.

Je ne crois pas qu'un pareil systême fût adopté parmi nous. La nature du contrat de grosse s'y oppose. Il serait intolérable que le preneur, qui, par le naufrage, a perdu tout ce qu'il avait dans le navire, restât débiteur.de partie d'une dette, dont le change maritime avait été stipulé en considération des risques maritimes auxquels le donneur est soumis par la disposition de

54. Argent donné à la grosse, avec pacte voto per pieno.

$ 5.

Autres usages des pays étrangers.

la loi. C'est bien assez qu'on permette à celui-ci de faire assurer son capital. Vid. Roccus, not. 75 et 76.

En divers pays d'Italie, il est permis de donner des sommes à la grosse, avec la clause voto per pieno; c'est-à-dire avec pacte que si le navire arrive heureusement, le capital et le change maritime seront payés au donneur, quoique le preneur n'ait rien chargé; et que, dans le cas contraire, le prencur sera délié de toute obligation : c'est là une espèce de gageure. Casaregis, disc. 14, no. 20.

Si le donneur a fait assurer son capital, et que le navire sur lequel le preneur n'a rien chargé périsse, les assureurs ne seront tenus de rien, à moins, dit Casaregis, d. loco, n°. 21 et 22, que l'assurance n'ait été faite en forme de gageure; ce qui, ajoute-t-il, est prohibé à Gênes.

Au disc. 15, il propose un cas très-capable de partager les suffrages. Dans Livourne, des Juifs avaient donné une somme à la grosse, avec la clause voto per pieno. Ils la firent assurer à Gênes. Le navire périt.

Suivant les lois de Livourne, le preneur se trouvait délié de toute obligation, quoiqu'il n'eût rien chargé dans le vaisseau.

Casaregis et un autre docteur, consultés sur le point de savoir si l'assurance faite à Gênes était valable, furent divisés en opinion.

Le confrère de Casaregis était d'avis que le contrat de grosse par forme de gageure étant autorisé par les lois de Livourne, où il avait été passé, les donneurs avaient, au sujet du navire, un véritable risque qu'ils avaient eu droit de se faire assurer dans Gênes: Conabatur alter advocatus affirmativam tueri ex eâ ratione, quòd validâ existente sponsione factâ Liburni, ubi ea non prohibetur prout Genua, negari non potest assecuratos verè non habuisse risicum super navi; nam eû naufragium passa, pecuniam datam cambio, admittebant.

Casaregis soutenait que l'assurance était nulle, parce que, suivant le Statut de Gênes, il faut que les effets assurés aient été réellement exposés aux risques de la mer : Securitates non possunt fieri pro se, neque pro aliis, nisi extet risicum, vel in mercibus, vel in navigiis, vel rebus quibusvis assecuratis mediatè, vel immediatè, principaliter, vel indirectè.

L'opinion de Casaregis est conforme à la règle que nous suivons en France, et qui veut que l'assuré justifie le chargement effectif.

En Italie, le donneur peut faire assurer non seulement le capital, mais encore le change maritime. Ansaldus, disc. 70, n°. 3o. Casaregis, disc. 1, n°. 123. Mais cette assurance du change est une gageure.

On fait quelquefois assurer la fidélité du preneur. Casaregis, disc. 1, no. 124. Mais cette espèce d'assurance est un cautionnement.

CONFÉRENCE.

LXXIV. La défense de faire assurer les sommes empruntées à la grosse ne regarde que le preneur, et non pas le prêteur. ( Art. 334 du Code de commerce). Celui-ci peut bien faire assurer la somme qu'il a donnée à la grosse, parce qu'il court risque de la perdre; au lieu que le risque de la somme empruntée ne saurait tomber sur le preneur, et l'on ne peut assurer que ce qu'on court risque de perdre. (Voyez art. 347 du Code de commerce; voyez Pothier, assurances, no. 31 et 32; Valin sur l'art. 17, assurances, de l'Ordonnance).

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Mais si je charge et mets en risque des effets d'une valeur plus considérable que la somme que j'ai empruntée, je peux incontestablement faire assurer cet excédant; par exemple, si la cargaison de mon navire vaut 150,000 francs, et que je n'aie emprunté à la grosse que 100,000 francs sur cette cargaison, il m'est libre de faire assurer les 50,000 francs qui restent. Le même art. 547 défend de faire assurer les profits maritimes des sommes prêtées à la grosse, parce que ces profits sont un gain que le prêteur manquera de faire, et non une perte, et que la loi ne permet de faire assurer que ce qu'on risque de perdre. Ainsi, le prêteur peut bien faire assurer son capital entier, mais il ne peut en même tems faire assurer le profit maritime qui lui est promis par l'acte de grosse. — (Voyez Valin sur l'article 17, assurances, de l'Ordonnance ).

Si le donneur a fait assurer son capital, et que le navire sur lequel le preneur n'a rien chargé vienne à périr, les assureurs ne sont tenus de rien, parce que l'aliment de l'assurance doit être exposé aux risques de la mer, et qu'ici cela n'aurait pas eu lieu.

Dans le cas de la nullité de l'assurance des sommes empruntées à la grosse, et de l'assurance des profits maritimes des sommes prêtées à la grosse, les assureurs n'en sont pas moins autorisés, dit Valin, à réclamer le demi pour cent pour leur signature, s'ils n'ont' pas su le vice de l'assurance par l'énonciation de la police ou autrement; et il cite l'art. 14 des Assurances d'Anvers, dont la disposition est conforme.

« Au reste, ajoute ce savant commentateur, la nullité de l'assurance du profit maritime des sommes prêtées à la grosse, n'est pas absolue comme celle qui regarde l'assurance » des sommes empruntées à la grosse. Elle n'est relative qu'à ce profit maritime, et n'empêche pas que l'assurance ne subsiste que pour le capital. (Voyez Valin, loco citato). Enfin, quand une chose non susceptible d'être assurée l'a été avec d'autres susceptibles de l'être, le contrat d'assurance n'est pas entièrement nul, mais il est seulement réductible jusqu'à concurrence de ce qu'il est permis de faire assurer.

Tous ces usages, dont parle Emérigon, SS 4 et 5, ne sont ni reconnus, ni admis parmi

nous,

$ 1.

L'assuré peut faire

assurer la prime.

$2.

SECTION XII.

Primes.

Puisque la prime est le prix du péril, il est des docteurs qui pensent qu'elle est incapable de devenir elle-même la matière d'un contrat d'assurance. Wolff, $ 679.

Cependant, comme la prime fait partie des frais de la mise hors ou de la facture, l'Ordonnance permet de la faire assurer.

Il sera loisible aux assureurs, dit l'art. 20, titre des assurances, de l'Or› donnance, de faire réassurer par d'autres les effets qu'ils auront assurés, et aux > assurés de faire assurer le coût de l'assurance, et la solvabilité des assureurs. » On peut donc, par une seconde police, faire assurer par Pierre la prime qu'on a payée ou promis de payer à Jacques, qui, par une police antérieure, s'est chargé des risques maritimes.

Mais est-il loisible de faire assurer cette prime par le même assureur à qui surer la prime par elle a été payée ou promise?

Peut-on faire as

le même assureur ?

La prime est de l'essence du contrat d'assurance: il semble donc que la nature de ce contrat ne permette pas que l'assureur s'oblige, en cas de perte, non seulement à payer le capital assuré, mais encore à restituer la prime, qui était le prix du péril même. Le désastre tomberait alors pleinement et entièrement sur la même tête, sans être modifié par aucune récompense. D'une main, l'assureur recevrait une prime qu'il lui faudrait restituer de l'autre. Que devient donc la règle qui veut que la prime payée par l'assuré, et le péril dont les assureurs se rendent responsables, soient deux corrélatifs subsistans et inséparables l'un de l'autre? Comment est-il possible que l'assureur soit assureur lui-même de cette prime, qui est le prix unique du péril dont il se charge?

Le texte de l'Ordonnance paraît s'opposer à de pareilles idées. Tout comme il est loisible aux assureurs de faire réassurer par d'autres les effets qu'ils auront assurés; tout comme il est loisible aux assurés de faire assurer par d'autres la solvabilité des assureurs; de même il sera loisible aux assurés de faire assurer (aussi par d'autres) le coût de l'assurance.

C'est d'après cette hypothèse que les auteurs de l'Ordonnance rédigèrent l'art. 20, et M. Pothier, n°. 34, ne l'entend pas autrement.

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