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$3.

Assurance faite

de la valeur.

Cette interprétation me paraît contraire au texte de l'art. 22, qui prononce indéfiniment la nullité de l'assurance et la confiscation des marchandises, contre celui qui, par fraude, a fait assurer ou réassurer des effets au-delà de leur valeur par une ou plusieurs polices.

Le premier pas de celui qui, sciemment, excède en cette matière les bornes légitimes, est présumé criminel : Quandòque finis trahit ad se principium.

Les peines dont je viens de parler n'ont lieu que contre l'assuré coupable sans fraude, au-delà de dol; mais si l'assurance a été faite sans fraude au-delà de la valeur des effets assurés, c'est alors le cas du ristourne, dont je parlerai infrà, ch. 16, sect. 1, § 3, et sect. 5.

CONFÉRENCE.

LXXXIII. Les art. 22, 23, 54 et 55, titre des assurances, de l'Ordonnance, ont été remplacés par les art. 336, 357, 358, 379 et 380 du Code de commerce.

Il n'y a que l'assureur qui puisse contester l'estimation faite par la police. L'assuré ne le peut jamais, parce que cette estimation est de son fait.

D'après l'art. 332, la police doit exprimer la nature et l'estimation des choses assurées. Ces indications sont fournies par l'assuré, et l'assureur les revêt de sa signature qu'il appose à la police; mais il ne faut pas conclure de là qu'il ait perdu le droit de les contester. Il est de la nature du contrat d'assurance que l'assureur se fie aux déclarations de l'assuré et ne les vérifie pas avant de signer la police. Par sa signature il ne veut donc pas certifier que toutes ces déclarations soient vraies. Aussi lorsqu'il reconnaît qu'il a été trompé, qu'on a porté les marchandises à une valeur plus élevée que leur valeur réelle, qu'on a supposé un chargement qui n'a pas été effectué, ou du moins tel qu'on l'avait supposé, qu'on a présenté un connaissement falsifié, etc.; dans tous ces cas, l'assureur pourra exiger que l'on procède à une nouvelle vérification des objets assurés.

En effet, cette estimation peut être demandée non seulement pour la fraude personnelle, qui est le dol proprement dit, dolus malus, mais encore pour la fraude qui se trouve en la chose, sans que la personne soit coupable de malice, dolus re ipsa. C'est ce qui résulte des art. 336, 357 et 358 du Code de commerce.

Pothier prétend même que l'assureur est recevable dans sa demande, quand même dans la police il aurait renoncé à demander une autre estimation que celle portée dans la police. Mais cela ne doit s'entendre que lorsqu'il demande à prouver qu'il y a eu dans l'estimation de la police fraude personnelle, dolus malus. Dans ce cas, l'assurance est nulle à l'égard de l'assuré. Si, au contraire, il n'allègue qu'un excès dans l'estimation, dolus re ipsâ, le pacte de la police formant une convention synallagmatique entre les parties, suffit pour repousser cette simple allégation. C'est alors qu'il faut dire que l'assureur doit s'imputer de s'être rapporté à la bonne foi de l'assuré. — (Voyez Pothier, assurances, no. 159). Lorsque l'estimation n'est que l'ouvrage de l'assuré, et qu'on n'a pas renoncé à en demander une autre, il suffit alors que l'assureur allègue un excès dans l'estimation, pour qu'il en soit ordonné une nouvelle; mais on ne doit pas s'arrêter au moindre excès.

Il est de principe certain que l'estimation contenue dans la police est présumée juste ; elle forme le titre de l'assuré et sert de fondement à sa demande. Il faut donc que l'excèsdont on se plaint ne soit pas d'une valeur minime.

D'un autre côté, le dol ou la fraude ne se présume pas (art. 1116 du Code civil) : c'est donc à celui qui l'allègue, c'est-à-dire à l'assureur, à le prouver. Le fait seul d'un chargement moindre que le montant de l'assurance, ne suffit pas pour donner lieu à l'application des art. 336 et 357 du Code de commerce; il faut prouver en outre qu'il y a eu dol ou fraude; par exemple, que l'assuré savait ou devait savoir, au moment du contrat d'assurance, que l'assurance excédait la valeur du chargement.

Ainsi, s'il est prouvé qu'il y a dol et fraude dans l'estimation des effets assurés, l'assurance est nulle à l'égard de l'assuré (art. 357), sans préjudice de toutes autres poursuites, soit civiles, soit criminelles. (Art. 336).

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S'il n'y a ni dol ni fraude, le contrat d'assurance est valable jusqu'à concurrence de la valeur des effets chargés, parce que l'exagération dans la valeur des objets assurés n'est la suite que d'une erreur. — (Art. 358).

Les assureurs, en cas de perte, sont tenus d'y contribuer chacun à proportion des sommes par eux assurées. Ils ne reçoivent pas la prime de cet excédant de valeur, mais seulement l'indemnité de demi pour cent.

Par exemple, un commerçant fait assurer un chargement de 60,000 francs pour la somme de 80,000 francs, par trois assureurs; l'un doit en payer la moitié, les deux autres chacun un quart. Une estimation a lieu sur la demande des assureurs, et ne produit en résultat que 60,000 francs de chargement. Le chargement périt; alors le premier assureur paiera la moitié de la somme de 60,000 francs, et les deux autres chacun un quart. D'un autre coté, les assureurs ne retiendront que les trois quarts de la prime, et rendront l'autre quart, sous la réserve de demi pour cent de la somme de 20,000 francs retranchée de l'assurance. Au reste, il faut supposer que ces trois personnes ont assuré dans la même police et par une assurance commune; car si elles avaient fait des assurances séparées, il faudrait appliquer l'art. 359 du Code de commerce. (Voyez Pothier, assurances, n°. 78, et Valin sur l'art. 23, titre des assurances; voyez d'ailleurs la sect. 7, tom. 3, pag. 394, et la sect. 20, tom. 4, pag. 108, de notre Cours de droit commercial maritime ).

SECTION III.

L'estimation des Effets assurés est-elle de l'essence de la Police ?

LE Réglement de Barcelonne (ch. 343 du Consulat), dit qu'avant de faire aucune assurance sur le corps d'un navire, il faut que le navire soit estimé par prud'hommes, et que cette estimation soit énoncée dans la police.

T. I.

35

Suivant le Réglement d'Anvers, art. 10, tous ceux qui voudront faire as> surer le corps du navire, canons, poudres, balles, seront obligés de faire estimer le tout auparavant par gens experts.

Mais le Guidon de la mer, ch. 15, art. 3 et 13, décide le contraire.

Pourra

, le bourgeois, est-il dit, estimer en la police la part qu'il a en la nef, et sur , l'estimation, faire son assurance.

C'est à quoi je pense qu'on doit s'en tenir. Il est vrai que notre Ordonnance semble, au premier coup-d'œil, exiger l'estimation comme un point de nécessité, lorsqu'elle dit, art. 8, titre des assurances, que si l'assurance est faite sur le corps et quille du vaisseau, ses agrès et apparaux, armement et avic> tuaillement, ou sur une portion, l'estimation en sera faite par la police.» Mais Pothier, n°. 112, observe, d'après Valin, que si on avait manqué à faire cette estimation par la police, l'assurance ne laisserait pas d'être valable. L'Ordonnance ne le prescrit pas à peine de nullité. Il y a lieu de » penser qu'elle n'en parle qu'enunciativè, parce qu'on ne manque pas ordi> nairement à faire cette estimation..

En effet, l'estimation de la chose assurée n'est pas de l'essence de l'assurance. Straccha, gl. 6, no. 5.

Si Stypmannus, part. 4, tit. 7, no. 344, et Kuricke, diatr. de assecur., pag. 833, regardent cette estimation comme essentielle, ils ne parlent que d'après l'ordonnance de Philippe it, faite pour la ville d'Anvers.

Quoi qu'en disent ces deux auteurs, le Réglement de Barcelonne et celui d'Anvers n'exigeaient l'estimation que par rapport au corps du navire qu'on fait

assurer.

A l'égard des marchandises, l'estimation s'en peut faire en la police, dit le Guidon de la mer, ch. 2, art. 13, mais elle n'est point de nécessité.

Notre Ordonnance en l'art. 8, ne parle que du navire, et en l'art. 64, elle dit que la valeur des marchandises sera justifiée par livres ou factures........ si ce n'est qu'elles soient estimées par la police.

Il est donc certain qu'il n'y a point de nécessité que la police contienne l'estimation des marchandises assurées ; il suffit que la valeur soit réelle, sauf de le vérifier.

Si l'estimation des effets assurés n'est pas faite par la police, les assureurs attaqués en paiement de la perte seront en droit de requérir que l'assuré justifie que la valeur des effets assurés était relative à la somme assurée. Casaregis, disc. 1, no. 36.

Si l'estimation est faite par la police, cette estimation fera foi contre les assureurs, jusqu'à ce que le contraire soit prouvé par eux-mêmes. Ces deux points méritent d'être éclaircis l'un après l'autre.

CONFÉRENCE.

LXXXIV. Il est évident que sous l'empire de l'ancienne législation, il n'y avait pas nécessité que la police contînt l'estimation des marchandises assurées, ni celle des corps et quille du navire, et que par conséquent l'estimation des effets assurés n'était point de l'essence de la police.

Le nouveau Code de commerce n'a apporté aucun changement à cet égard. L'art. 332, en disant que la police d'assurance exprime la nature et la valeur ou l'estimation des marchandises ou objets que l'on fait assurer, » n'énonce qu'une faculté, et l'omission de cette énonciation dans là police ne diminue en rien la force du contrat d'assurance. C'est ce qui résulte d'ailleurs bien évidemment de la distinction que fait le Code de commerce, par les art. 336 et 339, des effets assurés, estimés ou non estimés par la police.

Ainsi, si les effets assurés n'ont point été estimés par la police, les assureurs attaqués pour le paiement de la perte seront en droit de requérir que l'assuré justifie que la valeur des effets assurés était relative à la somme assurée.

Si les effets assurés ont été estimés par la police, cette estimation fera foi contre les assureurs, jusqu'à ce que ceux-ci ne prouvent le contraire, c'est-à-dire que la valeur des effets assurés n'était pas relative à la somme assurée.

SECTION IV.

Cas où l'estimation des Effets assurés n'a pas été faite par la

Police.

L'ART. 8, titre des assurances, de l'Ordonnance, a supposé que l'estimation du navire assuré serait toujours faite par la police.

Valin, ibid., observe que cette précaution est bonne et salutaire pour lever l'incertitude qui resterait sans cela sur la valeur du navire, pour en faire la comparaison avec les sommes assurées. Et sur l'art. 64, il atteste que chez lui on ne manque jamais d'insérer dans la police l'estimation du navire assuré.

Parmi nous, on y manque quelquefois. Mais alors les assureurs attaqués en paiement de la perte, sont en droit de requérir que l'assuré justifie la valeur réelle du navire, par l'exhibition de pièces probantes, ou par un rap

$ 1. Assurance sur le

corps.

$ 2.

Assurance sur les facultés.

port d'experts, qui soit dressé dans la forme prescrite par la déclaration du roi, du 17 août 1779. Art. 10. Infrù, ch. 10, sect. 1, § 4.

La valeur des marchandises, dit l'art. 64, des assurances, sera justifiée par » livres ou factures, sinon, l'estimation en sera faite sur le prix courant au tems , et lieu du chargement.

Les paroles de cet article sont remarquables : par livres ou factures, et à défaut de ces deux moyens, par une estimation qui en soit faite suivant le prix courant au tems et lieu du chargement même.

Les assureurs ne peuvent pas aller au-delà des limites déterminées sur ce point par l'Ordonnance; limites que le bien du commerce et la crainte des litiges ont rendues nécessaires.

Si, lors du chargement, les marchandises que j'avais acquises de longuemain ont augmenté de prix, je dresse une facture relative à cette valeur nouvelle, d'après laquelle je fais mes assurances. On ne pourra dans la suite m'obliger d'exhiber ni les comptes d'achat, ni mes livres, car il ne m'est pas défendu de faire assurer un profit déjà acquis. Il faudra ou que les assureurs s'en rapportent à la facture que je leur présente, ou qu'ils requièrent que je fasse procéder par experts à l'estimation, suivant le prix courant au tems et lieu du chargement. Par ce moyen, leur intérêt légitime sera rempli. C'est ainsi que la question fut décidée par un arrêt dont voici les circonstances:

Le sieur Honoré Maire, avocat, avait fait faire pour son compte des assurances sur le corps et les facultés de la barque Sainte-Anne, capitaine Jean Dupont. Ce navire fit naufrage. Quelques-uns des assureurs refusèrent de payer la perte, sous prétexte que l'assurance excédait la valeur. Le sieur Maire communiqua son acte d'achat et le compte d'armement de la barque. Il communiqua la facture des marchandises. On requit qu'il exhibât ses livres et qu'il indiquât le nom de ceux de qui il avait acheté les marchandises chargées. Il répondit que n'étant pas négociant de profession, il n'avait pas de livres, et refusa de nommer ses vendeurs. Sentence de l'amirauté de Marseille, qui condamna les assureurs à payer les sommes par eux souscrites, si mieux ils n'aimaient que l'estimation des marchandises fût faite suivant leur valeur au tems du chargement. En cause d'appel, la chambre du commerce intervint pour les assureurs. Arrêt du 18 février 1702, au rapport de M. d'Espagnet, qui, sans s'arrêter à l'intervention de la chambre, confirma la sentence du lieutenant. Les frais de cette estimation sont, à tout événement, à la charge de l'assuré, qui, n'ayant pas pris la précaution d'estimer les effets dans la police, devrait, suivant l'Ordonnance, exhiber ses livres et les comptes d'achat. En

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