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Je crois que cet arrêt ne doit pas être tiré à conséquence. La règle veut que l'assuré soit obligé de s'en tenir à l'estimation par lui-même fixée, et qu'il soit non recevable à la grossir après coup; car si le navire arrive à bon port, les assureurs pourraient-ils éluder le ristourne qu'on leur demandera, 、en soutenant que la chose assurée valait au-delà de la valeur déterminée dans la police? Il faut donc que, dans le cas contraire, l'assuré reconnaisse la même loi. Personne ne déprécie son propre bien : Nemo censetur jactare suum; et l'on ne présume pas que l'erreur se glisse dans la correspondance entre négocians, toujours attentifs à veiller à leur intérêt. D'ailleurs, il est essentiel, pour la tranquillité publique, qu'on s'en tienne aux pactes qui sont écrits. On ne saurait s'en écarter, sans rendre tout arbitraire. Ce n'est pas un mal qu'en pareil cas on supporte la peine de son inadvertance; mais le bien général exige que la règle soit respectée : Dura, sed scripta lex est; seul moyen de prévenir les procès, toujours nuisibles à la société civile, et sur-tout au

commerce.

CONFÉRENCE,

LXXXVI. Nous avons déjà vu ci-dessus, à la sect. 2, que l'assureur peut se plaindre de l'estimation contenue dans la police, qu'il y ait simplement excès dans cette estimation, ou que cet excès soit accompagné de dol et de fraude. (Art. 336, 357 et 358). Pour apprécier cet excès, cela dépend des circonstances, qui sont d'ailleurs pesées par les tribu

naux.

Nous avons vu également que lorsqu'il y a clause dans la police par laquelle les assureurs ont renoncé formellement à demander une autre estimation que celle portée dans la police, qui tiendra lieu de capital en tout tems et en tout lieu pendant le voyage, ceux-ci ne doivent être écoutés qu'autant qu'ils prouveraient par pièces probantes le dol et la fraude dont ils se plaignent. Sous l'empire du nouveau Code, il ne peut plus y avoir de difficulté sur ces deux propositions. Le pacte inséré dans la police, qu'on sera dispensé de rapporter le fret et que néanmoins, en cas de perte, les assureurs paieront la valeur primitive du navire, pouvait offrir des difficultés sous l'empire de l'Ordonnance, et sur-tout sous celui de la déclaration du roi, de 1779.

Cependant Emérigon, comme on le voit, et Valin, sur l'art. 15 du titre des assurances, s'étaient élevés contre une pareille clause, et la regardaient comme illicite et contraire à la nature du contrat d'assurance.

La déclaration de 1779, art. 6, en autorisant des stipulations qui exceptassent le fret du délaissement, mettait l'assuré dans le cas de gagner par le fait de l'abandon, puisqu'il avait d'une part en entier la chose assurée ou le prix, et de l'autre le fret. Il y avait plus : l'assuré, par une telle stipulation, trouvait son profit dans le sinistre et son préjudice dans la conservation du navire. En effet, lorsqu'un événement quelconque donnait lieu à l'abandon, après que le voyage était près du terme de sa destination, l'assuré gagnait à recevoir des

assureurs le prix primitif et entier de son navire, le fret lui demeurant intact; tandis que si le navire arrivait à bon port, il n'avait avec ce même fret que la chose, dont la valeur était considérablement diminuée depuis que l'estimation en avait été faite dans la police. Le nouveau Code de commerce a sagement réformé les dispositions de la déclaration de 1779, en déclarant par son art. 386, sans autoriser aucune convention contraire, que le fret des marchandises sauvées fait partie du délaissement et appartient à l'assureur, en comprenant même dans ce délaissement le fret payé d'avance. L'article ne faisant pas d'exception, le délaissement doit comprendre tout fret payé d'avance, même celui qui l'aurait été à tout événement

Mais le fret acquis ne doit pas faire partie du délaissement. On ne voit dans le Code de commerce aucune disposition qui oblige les assurés d'abandonner à leurs assureurs le fret des marchandises qui n'existaient plus à bord à l'époque du sinistre. Au contraire, on y trouve une limitation bien expresse du droit des assureurs au fret des marchandises sauvées. Cependant en 1821 la compagnie d'assurance générale prétendit, contre MM. Blaize et fils, armateurs à Saint-Malo, que tous les frets gagnés dans le cours de la navigation assurée devaient être compris dans le délaissement. De leur côté, les assurés soutinrent qu'ils ne devaient délaisser que le fret des marchandises sauvées. Après une discussion savante et approfondie, la Cour royale de Rennes accueillit cette dernière prétention, et par arrêt du 23 août 1822, elle décida que le délaissement devait se borner au fret seulement des marchandises sauvées. (Voyez tom. 4, tit. 11, sect. 8, pag. 390 de notre Cours de droit

commercial maritime).

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Cet arrêt a été confirmé par arrêt de cassation du mois de décembre 1825, rapporté par Dalloz, premier cahier, 1. part., pag. 22, 1826. (Voyez d'ailleurs ci-après tom. 2, chap. 17, sect. 9).

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SECTION VI.

Impenses qu'on ajoute à l'estimation des Effets assurés.

DANS la valeur des marchandises assurées, on comprend tous les droits et frais faits jusqu'à bord. Art. 64, titre des assurances, de l'Ordonnance.

On y comprend les emballages, enfonçages, charriages, droits et provision de celui qui adresse les marchandises. Guidon de la mer, ch. 2, no. 9 et 13. Réglement d'Anvers, art. 11. Réglement d'Amsterdam, art. 2.

Et malgré l'assertion de Stypmannus, pag. 459, et de Kuricke, diatrib., no. 3, pag. 834, on y comprend encore les droits de douane. Pothier, n°. 149. On a vu ci-dessus, sect. 1, § 2, que le prix de la vente à crédit est toujours plus haut que celui de la vente au comptant: d'où il semble que, pour fixer

$ 1. Droits et frais faits jusqu'à bord.

Change de terre.

1

Mise hors du navire.

$ 2.

Prime.

la valeur qu'il est permis de faire assurer, il faudrait, suivant les cas, escompter ou ajouter le change.

Cette opération n'est pas en usage. Guidon de la mer, ch. 2, art. 13; car dans la vente à crédit, le change inglobé dans le capital est une impense qui fait partie du prix de la chose achetée; et pour ce qui est des effets achetés au comptant, rien n'empêche à l'assuré d'en insérer l'estimation dans la police.

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Le bourgeois se peut faire assurer, non seulement la part qu'il a en la nef; mais aussi le prix que lui a coûté sa portion jusques à être franc, cinglant le navire mis hors en furain ou rade, pourvu qu'il se réserve le dixième. » Guidon de la mer, ch. 15, no. 3.

La valeur du navire comprend donc non seulement la valeur réelle du corps, mais encore celle des agrès, les dépenses de radoub, les munitions de bouche et de guerre, les avances payées à l'équipage, et généralement tous les frais faits pour la mise hors. Valin, art. 15.

Quoique le navire à son retour eût valu beaucoup moins qu'il ne valait à son départ, les assureurs, en cas de naufrage, ne peuvent prétendre aucune déduction pour raison du déchet ou dépérissement naturel que le navire aurait nécessairement souffert, en le supposant arrivé à bon port. Mais ce déchet est compensé par le fret. Infrà, ch. 17, sect. 9. Valin, art. 47.

On a souvent prétendu que la prime fait partie de la valeur des effets assurés, et qu'elle peut figurer dans la facture comme article de dépense. On se fonde sur la disposition du Réglement de Barcelonne, à la suite du Consulat, ch. 341; du Guidon de la mer, ch. 2, art. 9; ch. 15, art. 3, 13 et 15, et du Réglement d'Amsterdam, art. 2.

D'où il s'ensuivrait que la prime se réunirait de droit au capital qu'on veut faire assurer, et le grossirait d'autant. Mais l'art. 20, titre des assurances, de l'Ordonnance, s'oppose à cette idée, ainsi que je l'ai observé suprà, ch. 8,

sect. 12.

CONFÉRENCE.

LXXXVII. Dans les impenses qu'on ajoute à l'estimation des effets assurés, on doit comprendre tous les droits payés et les frais faits jusqu'à bord. (Art. 339 du Code de commerce).

D'un autre côté, la valeur du navire comprend avec la valeur réelle du corps et quille, etc., généralement tous les frais faits pour la mise dehors. (Voyez outre Valin sur l'article 15, titre des assurances, l'art. 334 du Code de commerce ).

On ne peut considérer la prime comme faisant partie de la valeur des effets assurés, et

pouvant en ce sens figurer dans la facture comme article de dépenses. Il est bien loisible aux assurés de faire assurer la prime, mais il faut une volonté spéciale des parties à cet égard. Jamais la prime ne se réunit de droit au capital qu'on veut faire assurer. C'est ce qui résulte de l'art. 342 du Code de commerce,

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SECTION VII.

Commerce en Troc.

« Si l'assurance est faite sur le retour d'un pays où le commerce ne se fait

que par troc, l'estimation des marchandises de rapport sera faite sur le pied

de la valeur de celles données en échange, et des frais faits pour le transport. » Art. 65, titre des assurances, de l'Ordonnance. Ibiq. Valin.

Cet article, qui est tiré du Réglement de Barcelonne, à la suite du Consulat, ch. 346, et du Guidon de la mer, ch. 2, art. 13; ch. 15, art. 15, parle du cas où la personne qui fait assurer les marchandises de rapport, les a achetées des sauvages par échange, dans un lieu où on ne se sert d'aucune monnaie pour compenser dans le commerce l'inégalité des choses. Au défaut de mesure qui fasse connaître la proportion de valeur que les effets ont les uns aux autres, on ne peut se diriger que par le troc lui-même, et on est forcé d'estimer les marchandises de retour, sur le pied de celles d'entrée, auxquelles on joint tout ce qu'il en a coûté pour les transporter au lieu où elles ont été données en échange. Pothier, no. 150.

Mais si, dans l'endroit de la traite, les marchandises respectives sont estimées, par exemple, en barres, en coris, en pièces, en macoutes ou autres signes qui représentent la valeur des choses, dès lors ce n'est plus un troc, c'est une double vente. Je vous vends une marchandise au prix de 1,000 coris, et vous me vendez au même prix votre esclave; il ne reste plus qu'à réduire en argent de France la monnaie africaine ou asiatique, pour déterminer la somme qu'il m'est permis de faire assurer de sortie du Congo ou des Iles maldives.

Afin que le contrat de vente s'opère, il suffit même que l'une des marchandises respectives ait été fixée à un prix déterminé. Si nous convenons en› semble que je vous donne telle chose pour un certain prix, en paiement du› quel vous me donniez de votre côté une autre chose, cette convention n'est

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» pas un contrat d'échange, mais elle renferme une vente que j'ai faite de » ma chose, et une dation de la vôtre, que vous me faites en paiement du

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Avant l'introduction de la monnaie, le commerce ne se faisait que par troc, et on pensait moins à évaluer la matière des échanges qu'à s'en aider réciproquement. § 2, inst. de empt. L. 1, ff de contrah. empt. Grotius, liv. 2, ch. 12, S 3. Puffendorf, liv. 5, ch. 5, § 1.

Aujourd'hui, à l'exception de quelques pays absolument sauvages, on donne une estimation aux marchandises respectives, et par ce moyen les deux parties deviennent, à divers égards, vendeur et acheteur.

Parmi nous, on ne s'avise guère de faire des assurances de sortie de Guinée; mais on assure, par exemple, de sortie de Marseille jusqu'aux Iles françaises, avec pouvoir au capitaine de toucher en Guinée. (Suprà, ch. 8, sect. 4). Dans ce cas, si les marchandises chargées à Marseille étaient d'une valeur inférieure ́aux sommes assurées, on pourrait y ajouter le surcroît de valeur intermédiaire que la cargaison aurait reçue par l'achat des nègres embarqués en cours de voyage; et ce surcroît de valeur serait fixé arbitrio boni viri, pour déterminer ou pour exclure le ristourne : c'est un profit fait, non un profit à faire, et peu importe qu'il ait été fait dans le cours du voyage.

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Valin, art. 15, titre des assurances, dit que s'il s'agit d'un navire destiné » pour la côte de Guinée, et de là pour Saint-Domingue, et que l'armateur, » informé à tems du succès de la traite à la côte de Guinée, en nègres et »> en poudre d'or, pût juger à peu près du bénéfice de la traite, rien ne l'em» pêcherait de faire assurer, comme un nouveau fonds, cette augmentation › du premier fonds de sa cargaison, puisque, dans la réalité, c'est un profit déjà fait et acquis.

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Sur l'art. 47, ibid., cet auteur observe que, dans ce cas, la cargaison primitive n'est plus la même. Vendue à la côte de Guinée, et convertie en nègres et en poudre d'or, sa valeur est considérablement augmentée, et cette augmentation acquise de plein droit à l'assuré, est un objet distinct de la valeur du premier fonds de la cargaison.

Enfin, sur l'art. 65, le même auteur observe qu'il n'est peut-être plus de pays à présent où le commerce ne se fasse que par troc. Il parle de la traite des nègres, et du commerce qui se fait avec les sauvages du Canada et du Mississipi.

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