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CONFÉRENCE.

LXXXVIII. Avant l'introduction de la monnaie, le commerce ne se faisait que par troc, et on pensait moins à évaluer la matière des échanges qu'à s'en aider réciproquement. Aujourd'hui il y a peu de pays où le commerce se fasse par troc. Cependant, si la personne qui fait assurer les marchandises de rapport et de retour les avait achetées des sauvages, par échange, dans un lieu où l'on ne se sert d'aucune monnaie, pour compenser l'inégalité des choses, la loi nouvelle, comme l'ancienne, veut que dans ce cas l'estimation de ces marchandises soit réglée sur le pied de la valeur de celles qui ont été données en échange, en y joignant les frais de transport. (Art. 340 du Code de commerce).

L'art. 65 de l'Ordonnance n'avait point admis d'exception pour le cas où l'estimation serait faite par la police. Maintenant, par le Code, les assureurs comme les assurés ont la faculté d'estimer les marchandises dont il s'agit de gré à gré dans la police.

Si les marchandises respectives étaient estimées dans l'endroit, par exemple, en barres, en coris, en macoutes, etc., dès lors ce ne serait plus un troc, ce serait une double vente, et il faudrait réduire en argent de France la monnaie africaine ou asiatique, pour déterminer la somme qu'il serait permis de faire assurer, conformément à l'art. 338 du Code de commerce. - (Voyez d'ailleurs notre Cours de droit commercial maritime, sect. 7, tit. 10, in fine, tom. 3, pag. 408).

SECTION VIII.

Monnaie étrangère.

$ 1. Défense d'évaluer la livre monnaie des

livre tournois.

MALGRÉ l'art. 22, titre des assurances, de l'Ordonnance, qui défend de faire assurer des effets au-delà de leur valeur, et malgré la décision du Guidon de la mer, ch. 14, l'usage s'était introduit dans les assurances, de donner à la lles à l'instar de la monnaie des Iles françaises un accroissement de cinquante pour cent, et à la piastre du Levant, la valeur de trois livres effectives. On chargeait pour moi à la Martinique des cafés pour 6,000 liv., argent des Iles. Je les faisais assurer à Marseille; et en cas de perte, mes assureurs étaient forcés à me compter la somme de 6,000 liv., argent de France, c'est-à-dire un tiers en sus de mon vrai capital, affranchi de nolis et de tous droits.

Cet abus avait même été adopté à l'égard des navires. Mon vaisseau estimé 40,000 liv. sortant de Marscille, arrivait aux Iles. Dès lors, malgré son état de délabrement, il valait 60,000 liv. Je le faisais assurer sur le pied de cette nouvelle estimation, sans que je fusse obligé de produire d'autre preuve

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, que celle justifiant la propriété, attendu l'évaluation qui, d'un commun accord, et de gré à gré, a été faite du navire à la somme de 60,000 liv., » pour tenir lieu de capital en tout tems et en tout lieu, ayant évalué, du con» sentement des parties, la livre monnaie des Iles à l'instar de la livre tournois. » J'ai vu diverses polices dressées dans ce goût. Inutilement on se récriait contre un pareil renversement d'ordre, qui occasionnait mille fraudes, et qui, en cas de sinistre, enrichissait l'assuré aux dépens des assureurs. En vain on remontrait que l'essence des choses est la plus forte de toutes les lois; que le droit est fondé, non sur l'opinion, mais sur la nature même : Non opinione, sed naturâ jus constitutum est. Toutes ces considérations n'étaient d'aucun poids; on s'en tenait à l'usage, sans s'apercevoir qu'il autorisait un pacte évidemment usuraire.

Pothier, n°. 149, s'était élevé contre cet abus, qui a continué parmi nous jusqu'à ce qu'il ait été enfin corrigé par la déclaration du 17 août 1779, art. 11. Tout effet dont le prix sera porté dans la police d'assurance, en monnaie étrangère ou autres que celles qui ont cours dans l'intérieur de notre royaume, , et dont la valeur numéraire est fixée par nos édits, sera évalué au prix que » la monnaie stipulée pourra valoir en livres tournois. Faisons très-expresses > inhibitions et défenses de faire aucune stipulation à ce contraire, à peine » de nullité. » D

D

Cette décision impose silence aux mauvais raisonnemens qu'on ne cessait de faire. Les marchandises prises aux Iles, disait-on, valent le prix qu'on les a achetées; et c'est une perte si, dans le lieu de leur destination, elles ne produisent pas la même somme. D'ailleurs, on vous paie argent de France une prime relative à la valeur assurée.

Mais le tiers de cette valeur prétendue est imaginaire; le profit espéré n'est, en pareille matière, d'aucune considération, et l'assurance ne pouvait subsister à cet égard que comme simple gageure; ce qui est prohibé par l'Ordonnance de 1681.

Si cet abus n'eût pas été corrigé, nous aurions peut-être vu pousser à des milliards de livres les assurances qu'on eût faites de sortie du continent angloaméricain.

Le vaisseau le Jonathas, capitaine Pierre - Mathieu André, partit du CapFrançais, ayant à bord une cargaison en sucre, café, indigo et coton, de la valeur en tout de 177,362 liv., argent des Iles.

Pendant la route, il essuya un ouragan qui le força à couper tous ses mâts et à faire jet. Le 12 octobre 1779, il se réfugia à la Nouvelle-Londres. Ses

marchandises, déjà beaucoup avariées, furent déchargées à terre et mises dans des magasins, où, quelque tems après, elles furent en partie, submergées par un ras-de-marée.

Le navire, déclaré innavigable, fut vendu......

Les marchandises avariées furent vendues....

Les marchandises non avariées produisirent..

Total, un million cent trente-neuf mille six cent soixante et treize pounds.......

100,000 pounds. 454,100

605,573

1,139,675

Le pound est une monnaie continentale qui équivaut à trois un tiers piastres de cent sous. Ainsi, ce vaisseau innavigable, et ces marchandises, la plupart avariécs, produisirent la somme de dix-huit millions' neuf cent quatrevingt-quatorze mille deux cent treize livres tournois........... 18,994,213 liv. Et je dois observer que tout ne fut pas vendu. On réserva vingt-quatre futailles indigo pour les faire passer en France.

Nonobstant tant de millions, les assurés firent aux assureurs abandon du corps et des facultés du navire le Jonathas.

Par une transaction judiciaire, passée le 6 juillet 1780, en présence du lieutenant de notre amirauté et du procureur du roi, les assureurs acceptèrent l'abandon; ils promirent de payer les sommes assurées, sur lesquelles on leur accorda un rabais de vingt pour cent, moyennant quoi ils renoncèrent à l'intérêt qui leur compétait sur le produit du sauvetage.

En conséquence, les armateurs et autres intéressés donnèrent ordre au capitaine André, qui était resté à Boston, d'employer, soit en argent comptant, soit en papiers sur l'Europe, soit en marchandises, et même en achat de terres, les papiers-monnaie qu'il avait en mains.

Le capitaine André se procura quelques lettres de change sur Paris. II donna à ce sujet soixante et dix pour un, c'est-à-dire que 20,000 liv. en lettres sur Paris coûtaient 1,400,000 liv. en papiers-monnaie. Tel était alors le change entre l'argent dur et l'argent continental.

De tout cela je conclus que si l'on faisait faire ici des assurances de sortie du continent anglo-américain, il faudrait, en conformité de la déclaration de 1779, évaluer la monnaie continentale au prix qu'elle pourrait valoir en livres tournois.

Voici un moyen qu'on a imaginé pour éluder la loi.

S 2. Moyen imaginé pour éluder la dé

Je reçois avis de la Martinique qu'on a chargé, ou qu'on doit charger pour claration de 177937

T. I,

mon compte tant de barriques de sucre, de café et de cacao, dont la valeur se monte en tout, par exemple, à 50,000 liv., argent des Iles. Je me fais assurer dans Marseille l'entière somme de 30,000 liv., argent de France, à quoi, du consentement des parties, lesdites marchandises ont été estimées.

J'attends de la Martinique, par tel navire, certains retraits. J'ignore en quels articles ils me seront envoyés. Je me fais assurer telle somme, et on insère dans la police que, du consentement des parties, les sucres de telle et telle qualité ont été cstimés, argent de France, à tant le quintal; les cafés à tant la livre, et ainsi des cacaos, des indigos et des cotons.

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J'ai actuellement sous les yeux une police d'assurance faite en avril 1782, qui porte que l'assuré justifiera, par le seul connaissement, le chargé de (tant) de barriques de sucre, évaluées, d'un commun accord entre les parties, à 36,000 liv. tournois, tandis que, suivant la facture, elles n'ont coûté que 36,000 liv., argent des Iles. La facture est mise à l'écart par l'accord des parties, comme si un pareil accord était legitime !

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Quelques-uns de nos négocians prétendent que les assureurs seront obligés, en cas de perte, de payer l'entière somme assurée, sans pouvoir réduire la monnaie des Iles en monnaie tournois, parce que, disent-ils, les marchandises ont été estimées par la police, suivant la permission qui en cst donnée par l'art. 64, titre des assurances.

On commence d'user de la même pratique pour évaluer à trois livres tour nois la piastre du Levant.

Cette tournure est un abus qui mérite d'être réprimé. 1°. Lorsque l'Ordonnance, en l'art. 64, a permis d'estimer par la police les effets assurés; elle a entendu parler d'une estimation relative à ce que la chose vaut réellement et de fait, en livres tournois, dans le lieu où elle a été chargée;

2o. Violer l'esprit de la loi en feignant d'en respecter la lettre, c'est une fraude plus criminelle qu'une violation ouverte. Elle n'est pas moins contraire à l'intention du législateur; elle est l'effet d'une malice plus artificieuse et plus réfléchie: Contra legem facit, qui id facit, quod lex prohibet; in fraudem verò, qui salvis verbis legis, sententiam ejus circumvenit. L. 29, ff de legib.

Licinius Stolom fut condamné à une amende de 10,000 asses, pour avoir transgressé sa propre loi, en possédant jusqu'à mille arpens de terre, tant en son nom que sous le nom de son fils, qu'il avait émancipé pour colorer sa contravention. Tite-Live, lib. 7, n°. 16.

On ne dit pas qu'on évalue la livre monnaie des Iles à l'instar de la livre tournois; mais on attribue à la marchandise un prix relatif à l'argent de

France, et par une témérité audacieuse, on crée un droit nouveau, qui anéantit la règle prescrite par le législateur!

CONFERENCE.

LXXXIX. Il ne peut plus y avoir aujourd'hui d'équivoque ni de difficulté, d'après l'art. 338 du Code de commerce, qui porte: «Tout effet dont le prix est stipulé dans le contrat en » monnaie étrangère, est évalué au prix que la monnaie stipulée vaut en monnaie de France, » suivant le cours à l'époque de la signature de la police. » Cette disposition est générale et n'admet aucune exception. Elle a pour objet de détruire l'abus dont se plaint Emérigon. Les parties ne peuvent plus convenir que les effets dont le prix est stipulé en monnaie étrangère seraient estimés, du consentement des parties, à telle somme, argent de France, quoiqu'ils eussent une valeur moindre. S'il en était autrement, ce serait faire revivre un abus que la loi nouvelle a voulu prévenir, et violer l'esprit de la loi en feignant d'en respecter les termes.

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Le cours est toujours constaté d'après les art. 73 et 78 du Code de commerce. Cette opération est très-facile, les courtiers de marchandises étant chargés de constater le cours des matières métalliques, en concurrence avec les agens de change.

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