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Ce connaissement fut fait à quatruple. Le 20 octobre 1753, Nogues et compagnie en envoyèrent un aux sieurs Casamajor et Dabadier d'Alicant, qui le firent passer aux sieurs Jeaume et Lieutaud, leurs correspondans à Marseille, avec ordre de retirer les dix ballots de soie à leur arrivée.

Le 31 du même mois d'octobre 1753, Nogues et compagnie envoyèrent un second connaissement des mêmes ballots de soie au sieur Camy, de Madrid, lequel le fit passer au sieur Rey l'aîné. Celui-ci fit faire 21,000 liv. d'assurances. Le navire arriva à Marseille. Les sicurs Jeaume et Lieutaud, et le sieur Rey l'aîné, réclamèrent, chacun de leur côté, l'entière marchandise, en vertu de leur connaissement au porteur.

Une première sentence ordonna la vente provisoire des dix ballots de soie, dont le produit fut déposé entre les mains d'un courtier de change.

La question au fond fut beaucoup agitée. Le tribunal crut que le poids des raisons était égal de part et d'autre, et par sentence du 1o. août 1754, il fut ordonné que le produit des soies serait délivré, moitié au sieur Rey, et moitié aux sicurs Jeaume et Lieutaud, dépens compensés.

Ceux-ci appelèrent au Parlement. Le principal moyen qu'ils alléguaient en droit était de dire que leur connaissement ayant été expédié par Nogues et compagnie, onze jours avant l'envoi du second, ils étaient les premiers en quasi-possession de la chose, et devaient étre préférés : Quia occupantis melior solet esse conditio, quàm cæterorum. L. 52, ff de peculio. L. 10, ff eod. L. 10, ff de pignoribus. En fait, ils soutenaient que les soies appartenaient à eux sculs, de quoi ils rapportèrent en cause d'appel diverses preuves.

Arrêt rendu en mai 1755, qui, réformant la sentence, adjugea à Jeaume et Lieutaud l'entier produit des ballots de soie. En conséquence, il y ristourne aux assurances faites par le sieur Rey.

Autre décision. Jean-Baptiste Roux étant au Cap-Français, chargea pour compte de qui il appartiendra, et à la consignation du sieur Jean-Baptiste Rey, son créancier, six barriques sucre sur le vaisseau la Provençale, capitaine Bouquier. L'un des connaissemens fut envoyé au sieur Rey. Quelque tems après, Roux vendit à Fenouillot ces mêmes barriques sucre, sans les déplacer, car le capitaine, déjà lié par le connaissement envoyé, refusa de les débarquer. Cette vente fut écrite au dos du connaissement qui était au pouvoir de Roux, et qui fut remis à Fenouillot. Sentence du 29 avril 1750, rendue à mon rapport, qui adjugea les six barriques sucre au sieur JeanBaptiste Rey, lequel était présumé en être saisi, depuis qu'elles avaient été chargées à sa consignation.

Pareille sentence rendue le 22 mai 1750, au rapport de M. Duquesnay, qui adjugca au sieur Jérôme Guieu et Maurice Linchou, trente-six balles laines, chargées à leur consignation pour compte de qui il appartiendra, par Linchou et fils, de Constantinople, sur la barque Sainte-Anne l'Incomparable, et vendues après coup au nommé Bourdon, par une déclaration privée, écrite au dos d'un des connaissemens.

Valin, art. 3, titre du navire, de l'Ordonnance, soutient qu'il est permis de vendre les effets qui sont en mer ou aux colonies. Et sous prétexte, dit

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§ 8.

Le connaissement est-il un papier né

il, que la tradition ne peut s'en faire, non plus que la signification de la gociable? cession, on ne doit pas exiger, pour y suppléer, que le cessionnaire fasse enregistrer la cession au greffe de l'amirauté du lieu du départ du navire, › afin de notoriété, ou qu'il observe quelqu'autre formalité. Il suffit qu'il soit porteur des factures ou des connaissemens des marchandises dont le transport lui est fait, soit par un ordre à son profit au dos de ces pièces, ⚫ soit par un acte séparé pardevant notaires ou sous signature privée, d'au, tant plus tôt que tout est à ses risques dès l'instant du transport.

› Tel est l'usage constant du commerce, fondé sur ce qu'il importe extrêmement de favoriser la rapidité de ses opérations, ou plutôt sur la nécessité de les mettre à couvert d'atteinte, dès qu'elles sont exemptes de fraude, » sans quoi il tomberait nécessairement, tant au dedans qu'au dehors du

» royaume.

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C'est aussi sur ce principe que, par arrêt du Parlement, du 11 mars 1752, infirmatif d'une sentence de la sénéchaussée de cette ville de la Rochelle, du 20 juin 1747 (ledit arrêt rendu en la quatrième chambre des › enquêtes, au rapport de M. de Lépine de Grainville, en faveur du sieur Étienne-Louis Denis, négociant de cette ville, contre quelques créanciers » du sieur Beltrcmieux, son gendre, en faillite), les cessions que celui-ci, long-tems avant sa faillite, avait faites au sieur Denis, de plusieurs factures › de marchandises à lui appartenantes, et qui étaient, tant sur nos mers » que dans nos colonies, furent confirmées (avec dommages et intérêts, liquidés depuis à plus de 60,000 liv.), quoique ces cessions n'eussent point › été enregistrées au greffe de l'amirauté, et que la signification n'en eût point › été faite à ceux qui étaient les dépositaires des effets avant la faillite dudit » sieur Beltremieux. »

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Mais ces sortes de cessions défèrent au cessionnaire un simple droit ad rem, qui lui donne pouvoir de requérir la délivrance des effets indiqués, sans le mettre en possession effective de la chose même. Ainsi, jusqu'à ce que la tra

dition réelle ait été faite dans un tems utile, au porteur du connaissement, il n'a qu'une action personnelle, qui est subordonnée aux droits du tiers.

Je crois donc qu'une pareille cession ne saurait nuire, ni au privilége du vendeur primitif, non payé du prix, ni au privilége du donneur à la grosse, ni aux droits de la masse des créanciers. Telles sont nos règles. Le connaissement n'a jamais été considéré parmi nous comme un papier négociable. Le transport du titre est une tradition feinte, qui s'évanouit par la faillite ou l'insolvabilité notoire du cédant.

Si la doctrine que je combats était adoptée, elle fournirait aux banqueroutiers un moyen très-facile d'éluder leurs engagemens maritimes.

Tout ce que je viens de dire a lieu dans le cas même où il s'agit d'une marchandise qui doit être consignée au porteur du connaissement. Ce porteur n'est rien de plus que le mandataire du propriétaire véritable. Si les effets lui avaient été consignés dans un tems utile, la cession faite en sa faveur serait valable, sauf le cas de fraude; mais si la faillite du cédant survient avant la consignation effective, les droits du tiers sont conservés en leur entier. C'est assez qu'on ait attribué parmi nous aux polices d'assurance la qualité de papier négociable; mais cet usage est une exception à la règle générale, et ne doit pas être tiré à conséquence. L'arrêt rendu en faveur de Jeaume et Lieutaud, eut pour motif les circonstances particulières de la cause.

CONFÉRENCE,

XCVII. La charte-partie est le contrat de louage du navire. Le connaissement est la reconnaissance des marchandises chargées. Sur les côtes de la Méditerranée il s'appelle police de chargement. Ainsi, la charte-partie contient le louage d'un navire ou de partie d'un navire, pour un chargement de marchandises à transporter, et le connaissement prouve que le chargement a été effectué; il peut même tenir lieu de charte-partie.

Pour être régulier, le connaissement doit être rédigé suivant les dispositions des art. 281 et 282 du Code de commerce. Alors il fait foi entre toutes les parties intéressées au chargement (art. 283, ibid. ), sauf néanmoins les preuves de fraude et de collusion.

Le capitaine doit signer de suite le connaissement, sans attendre que le navire soit entièrement chargé. (Voyez Valin, sur l'art. 4, titre des connaissemens). L'art. 282 du Code de commerce veut qu'il soit signé dans les vingt-quatre heures, délai qui suffit bien au capitaine et aux chargeurs pour vérifier et examiner le connaissement, et voir s'il est exact. Mais le capitaine n'est pas obligé de se porter chez les chargeurs pour cela; tant pis pour eux s'ils laissent partir le capitaine sans signer, car c'est aux chargeurs à faire signer le connaissement.

L'art. 7, titre de l'écrivain, de l'Ordonnance, portait « que les connaissemens que l'écri

» vain signera pour ses parens seront paraphés, en pays étrangers, par le consul, et en » France, par l'un des principaux propriétaires du navire, à peine de nullité. »

Cette sage disposition, qui s'applique également aux capitaines, doit être strictement exécutée, et même pour éviter toute fraude, le connaissement, en pareil cas, doit être en outre signé par deux des principaux de l'équipage, et le capitaine est tenu de justifier aux assureurs l'achat des marchandises, ainsi que le veut l'art. 344 du Code de commerce. -(Voyez notre Cours de droit maritime, tom. 2, tit. 7, sect. 1, pag. 304 et suivantes ). En général, aucune pièce privée ne saurait prévaloir au connaissement, sinon en cas de perte de celui-ci. On y supplée par pièces probantes, comme manifeste, factures, etc. S'il y a diversité entre les connaissemens d'un même chargement, on suit les dispositions de l'art. 284 du Code de commerce. (Voyez ibid., sect. 2, pag. 316).

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Il est d'usage de ne point donner de connaissemens pour les chargemens faits sur des barques ou petits bâtimens; on se contente d'une simple facture. (Voyez ibid., tit. 6, sect. 1, de la charte-partie).

Il en est de même, lorsque des objets sont remis au capitaine au moment du départ. Lorsqu'il s'agit d'objets modiques, on se contente d'une simple déclaration du capitaine. (Argument tiré des art. 101, 102 et 420 du Code de commerce).

Le capitaine doit rendre à destination tout ce qui est compris dans le connaissement à moins d'accident de force majeure.

De son côté, l'armateur répond des faits du capitaine qui n'a pas transporté à leur destination les marchandises chargées à son bord.

Les marchandises doivent être délivrées au consignataire désigné dans le connaissement, lequel est tenu d'en donner un reçu au capitaine. (Voyez l'art. 285 du Code de commerce), Mais si deux différens consignataires se présentaient, il faudrait dans ce cas suivre la doctrine indiquée ci-dessus par Emérigon.

Une fois les marchandises reçues par les consignataires, ceux-ci en sont responsables visà-vis des propriétaires, à moins qu'il n'y ait force majeure. — (Argument de l'art. 1991 du Code civil; voyez encore notre Cours de droit, ibid., pag. 318, 323 et 327 ).

Enfin, le nouveau Code de commerce a rendu le connaissement aujourd'hui susceptible d'être négocié, soit à ordre, soit au porteur, soit à personne dénommée. (Voyez Analyse des observations des tribunaux, pag. 76, art. 212, et l'art. 281 du Code de commerce ).

La négociation d'un connaissement doit être faite comme celle de tous autres effets de commerce. Il faut que l'endossement soit daté, qu'il énonce le nom de celui à l'ordre de qui il est passé, et qu'il exprime la valeur fournie, aux termes de l'art. 137 du Code de

commerce.

JURISPRUDENCE.

Un consignataire de marchandises à Saint-Domingue peut-il, à raison des désastres de cette colonie, être déchargé de la responsabilité? Par ces désordres et ces malheurs, il avait été obligé d'abandonner ses propriétés et les marchandises qui lui avaient été consignées. -(Arrêt de la Cour de Rennes, du 31 juillet 1816, qui a jugé l'affirmative; voyez le tom. 4 du Journal des arrêts de cette Cour, pag. 557.).

L'armateur répond-il des faits du capitaine qui n'a pas transporté à leur destination les

marchandises chargées à fret à son bord? (Arrêt de la Cour de Rennes, du 21 août 1817, qui a jugé l'affirmative; voyez le même Journal, ibidem, pag. 715).

Les espèces de ces deux arrêts sont rapportées tom. 2 de notre Cours de droit maritime, pag. 321 et 327.

*!

nérales sur le pour

comple.

SECTION IV.

Du pour compte.

DANS le commerce comme dans la saine politique, le secret est l'âme des Observations gé- affaires, et le moyen de les faire réussir. Ce secret, inspiré par la sagesse, dirigé par la prudence, et exempt de tout esprit de fraude, est une vertu. aussi utile que nécessaire dans la conduite de la vie. C'est ici le dolus bonus dont parle la loi 1, § 3, ff de dolo malo. Il est permis de l'employer sur-tout vis-à-vis de l'ennemi: Veteres dolum etiam bonum dicebant, et pro solertia hoc nomen accipiebant, maximè, si adversùs hostem latronemve quis machinetur.

§ 2.

Le pour compte du connaissement doit

être relatif à celui

de la police d'assu

rance.

Cette nécessité du secret a rendu fréquente, dans le commerce des assurances, la simulation du pour compte. Elle est licite, pourvu qu'elle soit honnête, et qu'elle ne soit pas employée pour tendre un piège aux assureurs.

celui

Comme il dépend de l'assuré de rompre l'assurance en ne rien chargeant dans le navire, ce serait ouvrir la porte aux plus grandes fraudes, s'il lui était permis d'insérer dans le connaissement tout autre pour compte que énoncé dans la police. Il serait alors le maître de réclamer ou de rejeter l'assurance suivant l'événement. Pour prévenir cet abus, il est nécessaire qu'il existe un lien civil capable de fixer la condition des parties.

Ce lien civil ne peut exister que par la relation qui doit se trouver entre la police d'assurance et le connaissement.

C'est la décision du Guidon de la mer, ch. 2, art. 8 et 9.

Valin, art. 5 et 61, titre des assurances, dit que l'assurance faite pour soi ou pour compte de qui il appartient, est bonne en France, si le connaissement y est relatif........ Il suffit que le connaissement soit relatif et conforme à l'assu

rance.

Cette relation de la police d'assurance au connaissement est retracée dans les formules de Rouen et d'Anvers. Cleirac, pag. 348 et 355.

Il n'est cependant pas nécessaire que la relation se trouve in forma specifica; il suffit qu'elle soit implicite.

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