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merce, ainsi que l'Ordonnance, n'excepte que les pertes et dommages provenant du fait et des fautes du capitaine et de l'équipage.

SECTION VII.

Révolte de l'Equipage.

Je trouve dans mes recueils une sentence rendue en juillet 1678 par l'amirauté de Marseille. Divers particuliers avaient chargé des effets dans la barque le bon Jesus Bonnaventure; ils les avaient fait assurer. Dans le cours du voyage, les mariniers, après avoir massacré le patron, l'écrivain, le nocher et le pilote, se rendirent maîtres de la barque, et s'enfuirent dans l'Archipel. Les assureurs furent, condamnés à payer les sommes assurées.

Aujourd'hui les assureurs ne répondraient d'un pareil accident que dans le cas où ils se seraient rendus garans de la baraterie du patron.

Targa, qui, au ch. 74, dit que, par le Statut de Gênes, les assureurs ne répondent point de la baraterie, décide, au ch. 68, que si les gens du bord, prenant querelle ensemble, se battent, se tuent ou se blessent, au point que le service du navire en souffre, les assureurs répondent du dommage occasionné par cet événement: Questo sinistro come fatale per lo danno che ne risulta, vien à carico delli assecuratori come caso fatale, et impensato.

Mais Targa ne parle pas, dans le chap. 68, d'un cas de baraterie proprement dite, puisque l'objet des mariniers querelleurs n'est ni de nuire à la navigation, ni de prévariquer dans leur état. Or, l'on a vu ci-dessus qu'à Gênes on distingue la baraterie de tout autre, délit, et que les assureurs répondent de la faute du capitaine et des mariniers vis-à-vis de l'assuré, qui n'est pas armateur du navire. Casaregis, disc. 1, no. 75.

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La décision de Targa, au ch. 68, est donc relative aux usages de Gênes, et ne doit pas être tirée à conséquence.

Parmi nous, les assureurs ne répondraient ni des querelles et batteries des mariniers, de quoi Targa parle, ni moins encore de la révolte de l'équipage, parce que, suivant notre Ordonnance, ils ne sont pas tenus des pertes arrivées par la faute des mattres et mariniers.

Voici un cas qu'on a voulu confondre avec celui de révolte, mais qu'il est essentiel de distinguer.

Si, crainte de faire naufrage, ou d'être pris par les ennemis, l'équipage refuse de continuer le voyage, et d'obéir au capitaine, ce n'est pas révolte;

car la juste crainte du péril est une espèce de violence et un cas fortuit dont les assureurs répondent. Targa, ch. 69. Casaregis, disc. 23, no. 84. Dans le doute, la faute, et moins encore la baraterie proprement dite, ne se présument point. Il faut des preuves.

Premier exemple. En 1743, le sieur Jean- Antoine Roux se fit assurer 96,600 liv. sur le corps et les facultés du vaisseau l'Aurore, capitaine Mouton, d'entrée et sortie des Iles françaises de l'Amérique. Ce navire arriva à la Martinique, où il fit un long séjour. Le 28 novembre 1745, il en partit. Le 9 décembre suivant, l'équipage prétendit que le navire faisait beaucoup d'eau, et qu'il était nécessaire de relâcher à la plus prochaine terre. Le capitaine soutint le contraire. Voici la teneur du verbal dressé à ce sujet :

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« Le chef des révoltés dit effrontément au capitaine de faire route pour la

plus prochaine terre, et qu'il parlait au nom de tout l'équipage. Le capitaine » ayant répondu qu'il n'en suivrait pas moins la route de sa destination, tout l'équipage se présenta à lui pour l'obliger à relâcher. Les mariniers vou» lurent carguer la grand'voile, ce qui ayant été empêché par le capitaine, ils » se retirèrent en disant qu'ils l'y obligeraient de gré ou de force. Le lende› main, ils revinrent tous à la recharge, demandant une réponse au capitaine. › Elle fut qu'il continuerait le voyage, et qu'il brûlerait la cervelle au premier › qui aurait la témérité de s'y opposer. L'un d'eux, appelé Roubaud, répartit › que si pareil cas arrivait, ils auraient des canons pour braquer sur l'arrière. » A une heure après midi du même jour le soulèvement fut général. Ils criè> rent tous à celui qui avait la barre du gouvernail, d'arriver. Ils carguèrent » les écoutes et boulines des voiles, mirent vent arrière, et se rendirent maîtres » du navire, le capitaine et quatre officiers n'étant pas assez forts pour résister » à cette troupe de rebelles. Ceux-ci dirent alors au capitaine de leur donner » une route, sans quoi ils mettraient le navire à la côte sur la première terre qu'ils rencontreraient. Les officiers, pour éviter un plus grand mal, don» nèrent la route à l'est des dangers qui se trouvent au nord de l'île SaintDomingue, pour se rendre au Cap, port le moins éloigné. De tout quoi ils dressèrent procès-verbal le 11 décembre.

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Le 15 du même mois, à trois lieues au large du Cap-Français, le navire fut pris par un brigantin anglais.

Les assureurs, attaqués en paiement de la perte, alléguaient que c'était ici une révolte, de laquelle ils n'étaient pas tenus.

D'après cette inculpation, il eût été nécessaire de faire le procès criminel à l'équipage, et de prononcer une peine capitale contre les coupables. Mais

peut-être que l'intrépidité du capitaine avait fait illusion à lui-même; peutêtre que, par son verbal, il avait voulu paraître courageux, et se mettre à couvert de tout blâme. En un mot, le crime des mariniers n'était pas constaté il fallait donc, dans le doute, présumer leur innocence.

Sentence rendue par notre amirauté, le 6 juin 1747, qui condamna les assureurs à payer la perte. Ils se soumirent à cette décision.

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Second exemple. Le 22 janvier 1760, le vaisseau la Victoire, capitaine Jean Brinquant, partit de la Grenade. Le 7 février il essuya de mauvais tems. Une voie d'au parut. L'équipage demanda de relâcher. Le capitaine ne voulut > pas y consentir, parce qu'il croyait que le navire pouvait les conduire, avec » des soins, puisque l'eau n'augmentait pas, malgré la force du vent. Le 10 au » matin, il commanda à l'équipage de manœuvrer pour continuer la route. L'équipage ne voulut rien faire et se retira sous le gaillard d'avant. Le ■ maître et le contre-maître parlèrent à l'équipage. Il fut impossible de le faire » manœuvrer. Le navire ne faisait pas plus d'eau qu'à l'ordinaire, malgré qu'il » eût beaucoup fatigué dans les vingt-quatre heures. Le capitaine rassembla > tout son équipage, lui représenta qu'on pouvait faire route sans rien craindre; qu'il estimait sa vie autant qu'ils estimaient la leur; que s'il y avait du danger, il ne s'y exposerait point. A quoi le contre-maître répondit qu'il > voulait relâcher; et s'adressant à l'équipage, il ajouta que le premier qui toucherait les manœuvres s'en repentirait. Le capitaine voyant ce soulève» ment, se porta à donner quelques coups au contre-maître, qui prit une épée pour se défendre, et qui avait déjà mis tout l'équipage au cas de la révolte. Le capitaine fut obligé de se retirer sur le gaillard d'arrière, sans pouvoir se faire obéir. De quoi il dressa procès-verbal. En cet état, le 18 février le navire relâcha à Sainte-Croix, île danoise, pays court, où les res> sources sont très-bornées. Là, après bien des rapports et des longueurs, le › navire devint innavigable.

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Sentence du 22 janvier 1763, rendue par notre amirauté, en faveur du sieur Michel Rodrigues, négociant à la Rochelle, qui condamna les assureurs à payer les sommes assurées.

On doit faire sur cette sentence les mêmes observations que sur la précédente.

Troisième exemple. En 1760, le roi accorda au sieur Joseph Raphaël, le vaisseau la Vierge du Rosaire, pour un voyage en guerre et en marchandises, d'entrée et sortie des Iles françaises de l'Amérique, aux conditions portées par le traité signé à Versailles.

Ce navire était ancré dans le port de Toulon. Il fut gréé, armé et pourvu de tout ce qui était nécessaire. Le commandement en fut donné au capitaine Joseph Rigordy. L'équipage fut composé de trois cent sept hommes, indépendamment d'un détachement de soixante soldats de marine, aux ordres d'un capitaine d'armes. On mit à la voile le 14 avril 1761.

La navigation fut heureuse jusqu'au premier du mois de mai. La rencontre de quelques vaisseaux anglais força le capitaine Rigordy de se réfugier à la Carbonnière, où il fut gardé par les ennemis jusqu'au 17 juin suivant.

Il remit à la voile. Le 23 juin, il reconnut le détroit. Le calme l'empêcha d'y entrer, et les courans le portèrent sur la côte d'Espagne, entre Marsella et Estropone.

La vue de deux vaisseaux anglais l'obligea de mouiller en ce dernier lieu. Il ne tarda pas d'y être gardé par les vaisseaux ennemis.

Le 16 octobre, le vent l'ayant favorisé, il coupa le câble, et se réfugia à Malaga, pour y prendre les provisions dont il avait besoin. Il y fut poursuivi par les Anglais. Le 18 les Anglais disparurent. Il demanda au commandant la per mission de faire voile. Elle ne lui fut accordée que le 28. Enfin, le 30 il par tit, après s'être pourvu de diverses provisions.

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Le lendemain, il prit un vaisseau anglais qu'il amarina pour Marscille. Le 3 janvier 1762, se trouvant à la hauteur de l'Alboran, tout l'équipage s'assembla à plusieurs reprises sur le gaillard d'arrière. Le capitaine surpris de voir tant de gens attroupés, demanda pourquoi on se rassemblait ainsi? Un soldat prenant la parole, dit : « Nous voulons aller à Toulon. Tous crièrent à › » Toulon, vive le roi! à Toulon... » Ils alléguèrent la crainte des ennemis, etc. Le capitaine n'oublia rien pour les calmer; mais n'ayant pu y parvenir, il dit que ceux qui voudraient aller à Toulon n'avaient qu'à passer sur le gaillard d'arrière, et ceux qui voudraient suivre le voyage, sur celui d'avant. Le nombre de ces derniers ne fut que de trente. En cet état, le capitaine ne pouvant, à cause du grand nombre, employer la force, ayant en outre plusieurs prisonniers anglais, fut contraint de laisser mettre le cap à l'est.

Le 13 janvier 1762, le navire fut de retour dans la rade de Toulon. Le capitaine fit son consulat.

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Le commandant de la marine fit arrêter l'équipage et les soldats mutins. Le major forma sa plainte pardevant le prévôt, qui prit l'information.

Les prisonniers furent élargis, à l'exception de trois bas officiers mariniers et de deux soldats.

Par un conseil de guerre du 15 mai 1762, les trois bas officiers furent dé49

T. I.

gradés; les deux soldats furent condamnés à tenir prison pendant un an, et il fut ordonné que les officiers mariniers, soldats et matelots qui se trouvaient à bord, le 3 janvier 1762, jour de l'attroupement, seraient privés de leurs salaires, à compter dudit jour jusqu'au désarmement, non compris les mousses et autres dudit équipage, mentionnés dans le rôle que le capitaine Rigordy avait remis, comme n'ayant point à se plaindre d'eux.

Il fut question de savoir si la rupture du voyage de ce navire serait à la charge des assureurs. Ils obtinrent gain de cause par diverses sentences de l'amirauté de Marseille, rendues en décembre 1764.

Le sieur Escalon l'aîné, un des assurés, appela de la sentence rendue contre lui, et fit assigner le capitaine Rigordy dans l'instance d'appel, pour que le capitaine fût condamné à la garantie, si la sentence était confirmée.

Arrêt du 30 juin 1767, qui relaxa d'instance le capitaine Rigordy, et qui, réformant la sentence, condamna les assureurs du sieur Escalon à lui payer les sommes assurées.

Autre arrêt rendu le 16 juillet 1768, au rapport de M. de Balon, qui, réformant les sentences rendues contre les sieurs Raphel, Arnaut et Creuzet (pour lesquels M. Ginoux et Massel avaient écrit ), condamna les assureurs payer la perte occasionnée par la rupture du voyage.

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Ceux-ci se pourvurent au conseil, en cassation de ce dernier arrêt.

Premier arrêt du conseil, rendu le 27 octobre 1769, qui casse l'arrêt du Parlement d'Aix, et qui renvoie au Parlement de Bordeaux le jugement de la

cause.

Second arrêt du conseil, rendu le 18 octobre 1776, qui, sur l'opposition, confirme le précédent.

L'instance est actuellement pendante (1782) au Parlement de Bordeaux. Les trois bas officiers et les deux soldats, punis par le conseil de guerre (non comme rebelles, mais seulement comme coupables de faute ou d'inconduite), n'étaient pas mariniers du navire, et ne faisaient pas proprement partie de l'équipage. C'étaient gens de guerre placés dans le navire par autorité supérieure, pour la conservation du vaisseau du roi, des faits desquels les armateurs ne répondaient pas, suivant l'ordonnance de 1543, art. 44, et celle de 1584, art. 71, rapportées dans Cleirac, pag. 449.

J'ai été bien aise de rappeler avec quelque étendue toutes ces décisions, soit parce que pareils cas peuvent se présenter, soit afin qu'on n'en conclue pas que parmi nous la révolte des marinier's est à la charge des assureurs,

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