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donna ordre de relâcher dans le port de cette île. Le brigantin l'Espérance › ayant arrivé pour doubler le Cap Saint-Ange, huit bâtimens, qui se trou› vaient les uns sur les autres, lui abrégèrent le vent. Ne pouvant plus gou» verner, il se jeta sur un autre bâtiment, et de là sur la côte. Son ancre de › stribord, qui était suspendue, lui creva et démonta la proue, rompit le bâton de foch, coupa toutes les boulines et les bras du petit hunier. Les » secousses réitérées qu'il donnait contre terre lui endommagèrent toutes les » manœuvres, et lui occasionnèrent une si grande quantité d'eau, qu'il fit signal de détresse. Le commandant lui envoya sa chaloupe avec trente » hommes, pour l'aider à pomper et à puiser l'eau qui avait gagné jusqu'à » l'entrepont. Le capitaine, craignant de couler bas, fut s'envaser dans la marse. » Telle fut l'exposition que le capitaine Prevost fit dans son consulat, dûment vérifié pardevant M. le chevalier de Caumont, chargé des affaires de France à Malte.

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Le capitaine s'empressa de décharger les marchandises que l'eau de la mer avait respectées, lesquelles consistaient en dix-sept ballots de drap, une barrique café et un baril cochenille.

M. le chevalier de Caumont ordonna que les autres marchandises fussent mises incessamment à terre, et commit son secrétaire, remplissant les fonctions de chancelier, pour veiller aux opérations à faire.

Le chancelier se transporta à bord. Il trouva le navire envase, et rempli d'eau d'un cap à l'autre. On retira les trente-cinq ballots de drap qui restaient. Ils furent lavés dans l'eau douce pièce par pièce, et ensuite séchés à l'ombre. Plusieurs des pièces de drap se trouvaient tachées par la cochenille et par la teinture de leurs propres chemises. Trente-trois barriques de café étaient défoncées. Le grain était dispersé dans la sentine, l'estive et le lest. On en retira ce qu'on put. On lava le café dans l'eau douce; mais sa qualité et sa couleur furent perdues. On parvint à remettre à flot le brigantin et à le réparer. On y rechargea les dix-sept ballots de drap, la barrique de café et le baril de cochenille qui n'avaient pas été mouillés. Le reste fut laissé dans l'île, d'où le navire partit pour le lieu de sa destination.

Le sieur Chapelié neveu mit en notice à ses assureurs tous les faits cidessus, et leur fit abandon des facultés assurées.

Les assureurs reconnurent eux-mêmes que c'était ici un échouement avec bris, et que l'art. 5 de la déclaration de 1779 n'était pas applicable à un accident aussi désastreux que celui dont il s'agissait.

Voici l'écrite qui fut souscrite par tous les assureurs, qui étaient au nombre de quarante-un.

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• Les soussignés assureurs à M. Chapelié neveu, sur facultés du brigantin l'Espérance, capitaine Prevost, de sortie de ce port jusqu'à Smyrne, pleinement instruits du sinistre arrivé auxdites facultés, par l'exposé en l'acte › ci-dessus et les pièces y référées, déclarent accepter l'abandon qui leur a été fait par ledit acte, et s'obliger de payer chacun respectivement les sommes » assurées dans trois mois, comptables de ce jour, sans que le sieur Chapelié » neveu soit au cas de se pourvoir pour cela en justice; de quoi ils le dis› pensent. Et jaloux de pourvoir à la disposition la plus avantageuse desdites > facultés, ils commettent ledit sieur Chapelié neveu et MM. Jacques Seymandy et Rolland l'aîné, deux d'entre eux, pour donner tous les ordres et faire toutes les démarches qu'ils jugeront à propos, pour parvenir au recou⚫ vrement des facultés abandonnées, pour faire vendre à Smyrne la partie » sauvée qui a suivi sa destination, pour faire vendre à Malte la partie endommagée qui y est restée, ou en faire passer, soit à Smyrne, soit à Marseille, » pour y être également vendue, soit partout ailleurs, et de faire pour raison de tout ce que dessus, circonstances et dépendances, ce que leur prudence » et leur zèle pourront leur suggérer de mieux pour le bien commun; les déchargeant des événemens, même de leur négligence et défaut de diligence. Le net produit de toutes lesquelles facultés sera réparti par eux au sou la » livre du découvert dudit sieur Chapelié neveu, et des sommes assurées. » Fait et délibéré à Marseille, dans l'assemblée générale des assureurs, présent M. Chapelié neveu, le 14 décembre 1781. »

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Les distinctions que M. Valin fait au sujet du naufrage, sur l'art. 46, titre des assurances, et qui sont approuvées par M. Pothier, n°. 119, peuvent paraître bonnes dans la spéculation. On ne saurait les adopter dans la pratique, sans occasionner mille procès par les vérifications, liquidations et rapports qu'il faudrait faire. Il est possible que la marchandise assurée soit sauvée du naufrage sans avoir souffert aucune altération; mais cela est rare; on a besoin d'une règle générale qui prévienne les litiges. La déclaration de 1779 laisse le cas du naufrage dans la disposition du droit commun établi par l'Ordonnance, et c'est à quoi on doit s'en tenir.

CONFÉRENCE.

CXVII. L'art. 26, titre des assurances, de l'Ordonnance, observe Emerigon, met au rang des cas fatals le naufrage, sans parler du bris; tandis que l'art. 46, où il s'agit de délaissement, parle du naufrage et du bris.

Définition,

De même, l'art. 350 du Code de commerce ne fait mention que du naufrage, tandis que l'art. 369, sur le délaissement, fait mention du naufrage et du bris.

La raison en est simple: c'est que le bris et le naufrage ne sont pas toujours la même chose. C'est pourquoi les auteurs ont distingué le bris en bris absolu ou partiel.

Le bris absolu est le naufrage même, puisque c'est l'anéantissement total du navire. C'est T'application de l'art. 369. Il y a lieu à délaissement aux assureurs.

Le bris partiel n'est qu'un accident arrivé par le heurt du navire contre un corps étranger, comme une voie d'eau, etc. Si cet accident n'occasionne ni naufrage, ni échouement, c'est simplement une avarie qui donne lieu à l'application de l'art. 371 du Code de commerce; si cet accident, si ce bris partiel est accompagné de naufrage ou d'échouement, c'est alors un sinistre majeur qui donne lieu à l'application de l'art. 369, sur le délaissement.

Les auteurs distinguent aussi deux sortes de naufrages: la première c'est lorsque le navire est entièrement submergé, sans qu'il en reste aucun vestige sur la surface des eaux; la seconde, c'est lorsque le navire, échoué sur la côte, donne ouverture à l'eau de la mer qui remplit sa capacité, sans qu'il disparaisse absolument.

Mais dans l'un et l'autre cas, c'est toujours un naufrage qui donne lieu au délaissement, même quand on ne considérerait la seconde espèce de naufrage que comme un échouement. Ce serait un échouement avec bris, dont parle l'art. 5€9.

Cependant si, dans le cas d'innavigabilité, le navire échoué peut être relevé, réparé et mis en état de continuer sa route pour sa destination, il n'y a pas lieu à délaissement. (Art. 389 du Code de commerce).

Il faut écarter la doctrine de M. Estrangín sur Pothier, n°. 120, qui, argumentant de la disposition de cet art. 389, prétend que le concours du bris et de l'échouement peut même ne pas donner toujours ouverture au délaissement. (Voyez ce que nous avons dit à cet égard, tom. 4, pag. 232 de notre Cours de droit maritime).

Du reste, les art. 369 et 371 du Code de commerce s'opposent aux distinctions de Valin et de Pothier, dont parle Emérigon. Ils déterminent absolument les cas de sinistre majeur qui donnent exclusivement licu au délaissement, et au nombre desquels sont le naufrage et l'échouement avec bris.

Quant aux événemens hypothétiques dont parle également Emérigon, ils sont sans doute Lur la responsabilité du capitaine. -(Voyez au surplus notre Cours de droit maritime, tit. 4, sect. 1, tom. 1, pag. 378; sect. 7, tom. 2, pag. 21; voyez la conférence sur la section suivante).

SECTION XIII.

Echouement.

Echouement, c'est lorsqu'un vaisseau donne ou passe sur un bas-fond ou banc de sable, où il touche et est arrêté, parce qu'il n'y a pas assez d'eau

405 pour le soutenir à flot; ce qui, pour l'ordinaire, le met en grand danger, et même le brise et cause sa perte, s'il n'est pas assez heureux pour s'en retirer. On distingue plusieurs sortes d'échouement.

L'échouement le plus ordinaire est celui qui procède directement de fortune de mer, sans que le fait de l'homme y concoure pour rien. Les dommages occasionnés à ce sujet sont avaries simples pour le compte des proprićtaires, et par conséquent pour celui des assureurs. Art. 5, titre des avaries. LL. 4 et 7, ff de leg. rhod.

Échonement pu

rument casuel.

Échouement vo

lontaire pour sauver

Il arrive quelquefois que, pour se dérober à l'ennemi, ou pour éviter un naufrage absolu, on fait échouer le navire dans l'endroit qui paraît le moins le tout. dangereux. Le dommage souffert à ce sujet est avarie grosse, parce qu'il a eu pour objet le salut commun. Consulat de la mer, ch. 192 et 193. Roccus, de navib., not. 60. Targa, cap. 76, pag. 317. Casaregis, disc. 19, no. 18; disc. 46, n°. 61. Valin, art. 44, titre des naufrages.

Dans ce cas, la perte ou la contribution sont à la charge des assureurs. Art. 26, titre des assurances.

Les Actes des apôtres, cap. 27, 39, fournissent l'exemple mémorable d'un échouement volontaire.

Saint Paul, accusé devant le gouverneur Festus, appela à César. Il fut embarqué avec divers autres prisonniers, pour être conduit à Rome. Pen dant la route, le navire fut battu de la tempête. On fit jet: Jactum fecerunt. On jeta partie des agrès : Armamenta navis projecerunt. On soulagea le vaisseau en versant le blé dans la mer: Alleviabant navem, jactantes triticum in mure. Enfin, pour éviter un naufrage absolu, on fit échouer le navire: Impegerunt navim. La proue, enfoncée dans la vase, demeurait immobile, tandis que la poupe se rompait par la violence des vagues : Prora quidem fixa ma- · nebat immobilis; puppis verò solvebatur à vi maris. Ceux qui se trouvaient dans le vaisseau, et qui étaient au nombre de deux cent soixante-seize, se sauvèrent, les uns à la nage, et les autres à l'aide des planches du navire brisé. Personne ne périt: Ne timeas, Paule, Cæsari te opportet assistere : et ecce donavit tibi Deus omnes qui navigant tecum.

Les assureurs ne répondent point de l'échouement arrivé par la fraude ou faute du capitaine, pourvu que la baraterie soit prouvée. Art. 18, titre des naufrages.

L'échouement accompagné de bris est une espèce de naufrage, ainsi que je l'ai observé dans la section précédente.

Si le navire simplement échoué, et dont la capacité n'a pas été remplie

Échouement occasionné par la faute du capitaine.

Echouement avec

bris.

Echouement sans

bris.

$ 2.

Echouement sim

d'eau de la mer, est relevé, soit par les forces de l'équipage, soit par des secours étrangers, c'est alors un échouement simple qu'on avait tort parmi nous de confondre avec l'échouement accompagné de bris ou de naufrage. Sous prétexte du mot échouement, inséré dans l'art. 46, titre des assurances, ple donne-t-il lieu notre tribunal de l'amirauté était en usage d'admettre le délaissement tant du corps que des facultés; par cela seul que le navire avait échoué, quoiqu'il n'eût souffert ni bris, ni dommage, et quoiqu'il fût parvenu au lieu de sa destination, pourvu qu'il eût été relevé à l'aide de quelque secours emprunté.

au délaissement ?

Premier exemple. Les sieurs Joachim et François Surian s'étaient fait assurer 266,900 liv. sur le corps et les facultés du vaisseau le Grand Saint-Paul. Ce vaisseau échoua dans la rivière de Bordeaux. On déchargea la marchandise à terre. Le navire fut remis à flot. L'abandon fut fait aux assureurs, qui, par sentence du 7 octobre 1757, furent condamnés au paiement des sommes assurées. Le corps et la cargaison qui, malgré ce sinistre, se trouvaient en bon état, furent considérés comme sauvés de l'échouement.

Second exemple. La barque le Saint-Esprit échoua dans le petit môle de Livourne. Elle fut remise à flot. Elle arriva avec tout son chargement de blé à Naples, lieu de sa destination. Sentence du 28 juin 1765, rendue en faveur de Jacques Fourrat, qui condamna les assureurs sur facultés au paiement des sommes par eux respectivement assurées.

Troisième exemple. Le 10 décembre 1764, la tartane les Ames du Purgatoire, capitaine Jérôme Gaud, échoua dans le môle de Livourne à dix heures du soir. Le lendemain elle fut remise à flot. Elle continua sa caravane. Sentence du 7 février 1766, qui admit l'abandon du corps et des facultés, et qui condamna les assureurs à payer les sommes assurées à Gleiveau frères. Quatrième exemple. Le sieur Jean-Baptiste Jullien s'était fait assurer, franc d'avarie, 123,000 liv. sur les facultés de son vaisseau le Salutaire. Ce navire, revenant d'Alexandrie, échoua dans la baie du lazaret de Toulon. Les marchandises furent déchargées à terre, et le navire remis à flot. Arrêt du Parlement d'Aix, rendu le 26 juin 1767, au rapport de M. Pazery de Thorame, confirmatif de la sentence de notre amirauté, qui condamna les assureurs sur facultés (à qui l'abandon avait été fait), à payer les sommes assurées. On ne cessait de se récrier contre une pareille jurisprudence, qui donnait lieu aux plus grands abus, et qui était contraire non seulement à l'esprit, mais encore à la lettre de l'Ordonnance. On n'avait qu'à conférer l'article 46 avec celui qui précède, pour se convaincre que le législateur, en

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