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auxquels il leur était impossible de se dérober. Ils se déterminèrent à mettre le feu à leur navire, et à s'enfuir à terre avec les gens de leur équipage, par le moyen des chaloupes. La chose fut ainsi exécutée.

Les assureurs, attaqués en paiement de la perte, disaient qu'un navire poursuivi par les ennemis peut leur échapper; qu'un danger, quelque imminent qu'il soit, n'est pas toujours suivi du sinistre; qu'on ne doit jamais. désespérer de la fortune, toujours variable par elle-même, et principalement sur mer; qu'un coup de vent, ou l'apparition d'une voile amie, écarte aisément les corsaires; que la recousse peut redonner le navire à ses anciens propriétaires, mais qu'un vaisseau brûlé était absolument anéanti; que la destruction ôte tout espoir ultérieur; que de deux maux il faut préférer le moindre; et qu'enfin, pour éviter un péril, il n'est jamais permis de réaliser le malheur même.

Ces considérations éblouirent notre tribunal de l'amirauté, qui, par sentence du 10 juin 1746, donna gain de cause aux assureurs.

Les assurés appelèrent au Parlement d'Aix. La même question était alors agitée à Bordeaux.

Le vaisseau l'Espérance, capitaine Elie Leysson, se trouvant sur les côtes de Galice, fut poursuivi par des corsaires. Le capitaine et l'équipage voyant la perte inévitable, et étant déjà canonnés, mirent le feu au navire, se jetėrent dans leur chaloupe, et se réfugièrent à terre. Les assureurs furent condamnés à payer la perte par sentence de l'amirauté de Guienne, rendue le 20 juillet 1747, et cette sentence fut confirmée par arrêt du Parlement de Bordeaux, le 7 septembre de la même année.

Les assurés de Marseille, encouragés par ce préjugé, poursuivirent leur appel au Parlement de Provence. Ils disaient que, d'après les consulats et les autres preuves du procès, les capitaines Artaud et du Belis s'étaient trouvés dans l'impossibilité d'échapper à l'ennemi; que par conséquent ils avaient agi avec autant de sagesse que de courage, en mettant le feu à leurs navires, et en privant les Anglais d'une proie qui eût alimenté les armemens et la course de cette nation; que s'il est permis de faire contre l'ennemi tout ce qui est nécessaire pour l'affaiblir et pour le mettre hors d'état de soutenir son injustice; si l'on est en droit de le priver de ses biens, à plus forte raison on doit s'opposer, autant qu'il est possible, à ses usurpations, et à tout ce qui peut augmenter ses forces. Les fortifications d'une place qu'on abandonne sont démolies, et l'on encloue le canon qu'on ne peut emporter.

L'espoir d'un secours inopiné ne dirige point la conduite du capitaine sage.

On considère le cours ordinaire des choses. Le cas de recousse est trop incertain pour laisser enlever le navire laisser enlever le navire par l'ennemi, dans l'espérance que l'ennemi pourra en être dépouillé dans les vingt-quatre heures.

Arrêt du Parlement d'Aix rendu le 30 mars 1748, au rapport de M. de Moissac, qui réforma la sentence de notre amirauté, et condamna les assureurs à payer la perte.

M. Valin, art. 26, titre des assurances, parle de ces deux arrêts, d'après 'la note que je lui en avais envoyée, et voici comme s'explique Pothier, n°. 53: Il est arrivé quelquefois, dit-il, que des capitaines ne pouvant plus dé» fendre le navire, y ont mis le feu pour l'empêcher de tomber entre les mains des ennemis ; il n'est pas permis d'en venir à cette extrémité, à moins que » le capitaine n'ait trouvé le moyen de faire sortir tout son monde du navire ⚫ avant que le feu y prît; le capitaine ayant eu cette précaution, fait brûler > le vaisseau; on demande si les assureurs peuvent se défendre d'en supporter » la perte, sur le prétexte qu'elle est arrivée par le fait du capitaine? Je pense » que les assureurs la doivent supporter, et qu'ils ne peuvent opposer qu'il » a été brûlé par le fait du capitaine, car le capitaine a eu un juste sujet de » le brûler, et quand même le navire n'aurait pas été incendié, il n'en aurait pas moins été perdu, puisqu'on suppose que la prise en eût été sans cela inévitable. »

CONFÉRENCE.

:

CXXII. L'art. 350 du Code de commerce, comme l'Ordonnance, met à la charge des assureurs les pertes et dommages occasionnés par le feu, sans aucune distinction d'où l'on pourrait conclure que les assureurs sont toujours responsables du feu, de quelque manière qu'il ait pris au navire ou aux marchandises. Cependant les assureurs ne sont véritablement responsables que dans le cas où le feu prend fortuitement ou par événement de force majeure. Les assureurs ne sont garans que des accidens arrivés par fortune de mer.

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Mais il n'est pas douteux que l'accident arrivé par le feu du ciel ou des ennemis ne soit à la charge des assureurs. Il en est de même de l'accident du feu arrivé pour cause de peste, de poursuite d'ennemis, afin d'empêcher le navire de devenir leur proie; en un mot, de tous accidens du feu arrivés par cas fortuit, et non par la faute du capitaine ou de l'équipage, ou par le vice propre des marchandises (art. 352 du Code de commerce), à moins. que dans ces derniers cas les assureurs ne se soient chargés de la baraterie de patron, ou soumis par une clause expresse à payer le dommage.

Les dispositions de l'Ordonnance, sur les précautions à prendre pour prévenir l'incendie des navires dans les ports et rades, sont loin d'être abrogées par les lois nouvelles, et si par sa faute son navire était incendié, le capitaine serait responsable de l'événement. La Cour royale d'Aix a eu, en 1823, occasion d'appliquer ces principes dans le cas d'un in cendie de bateaux. Voici l'espèce :

T. I.

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JURISPRUDENCE.

1°. Le 12 novembre 1822, les sieurs Gignoux frères, commissionnaires de transports par eau, sont chargés, par des négocians de Marseille et de Bordeaux, d'expédier par mer, de Marseille à Arles et d'Arles à Lyon, par la voie du Rhône, diverses parties de marchandises.

Trois de leurs bateaux, porteurs de cette expédition, arrivent à Avignon le 12 décembre 1822, vers les quatre heures de l'après-midi, et sont mis en station près du quai.

Là, dans la nuit, un violent incendie se déclare tout à coup à bord de l'un de ces trois bateaux, nommé la Duchesse.

Les mariniers s'éveillent et appellent du secours; mais le feu est si actif, que tous les efforts sont vains, etc.

La Cour d'Aix a décidé qu'en général les voituriers, comme les capitaines de navire, sont responsables de l'événement qui a causé la perte de marchandises dont le transport leur était confié, lorsqu'ils ne peuvent indiquer les causes de cet événement et ne prouvent pas le cas fortuit ou la force majeure.

Qu'en particulier, l'incendie du bateau, survenu dans un lieu de station pendant la nuit, et dont on ne peut assigner la cause, est présumé provenir de l'imprudence ou de la négligence des gens de l'équipage, lors sur-tout qu'ils se sont bornés à une simple visite avant de se coucher, et n'ont pas veillé à la garde du bateau.

Que dans ce cas le voiturier était responsable de la valeur des marchandises qui étaient chargées sur le bateau incendié, et qui ont été perdues par le fait de l'incendie. (Arrét d'Aix du 6 août 1823, rapporté dans l'excellent Recueil de M. Cuson, Bibliothèque du commerce, à Bordeaux, 1825, pag. 93).

2o. La même Cour d'Aix, confirmant ce principe constant en matière d'assurance, que l'assureur n'est chargé que des dangers et fortunes de mer arrivés par cas fortuit, et que c'est à celui qui allègue la force majeure à la prouver, avait déjà décidé en 1821,

Qu'il ne suffit pas que le capitaine d'un navire incendié ait déclaré le fait de l'incendie, pour qu'il y ait lieu au délaissement de la part des assurés; qu'il faut encore que la cause du sinistre soit exprimée dans le rapport du capitaine.

Si le rapport ne fait pas connaître cette cause et ne fournit ni détails, ni circonstances qui puissent opérer la certitude, c'est aux assurés à prouver que le feu a été le résultat d'un cas fortuit, et non de la faute ou de la négligence du capitaine. — ( Arrêt du 10 décembre 1821, rapporté par Dalloz, Jurisprudence générale, au mot assurance, pag. 81).

$1. Définition.

SECTION XVIII.

Prise.

DANS une de mes consultations, insérée dans Valin, art. 48, titre des assurances, de l'Ordonnance, j'ai dit que la prise est lorsqu'on s'empare d'un

vaisseau dans le fait de la guerre, ou dans un esprit de déprédation, et avec dessein d'en priver le véritable maître.

Mais on peut distinguer deux sortes de prises: l'une, dont l'objet est de s'emparer du navire et de la cargaison; l'autre, dont l'objet est de prendre seulement les effets de l'ennemi, ou les effets de contrebande qui s'y trou vent chargés.

La première est une prise proprement dite et absolue.

La seconde est une espèce d'arrêt du navire, dont on n'a pas eu dessein de priver le sujet de la puissance neutre.

La définition que j'ai donnée de la prise ne paraît donc pas convenir à cette seconde espèce, dont je parlerai dans la section suivante.

On peut encore distinguer la prise juste d'avec celle qui est injuste. La prise juste est celle qui est faite par un ennemi déclaré, et suivant les lois de la guerre : Secundùm jus gentium. Grotius, lib. 3, cap. 5, § 1.

La prise injuste est celle qui est faite contre les règles établies par le droit des gens.

Que la prise soit juste ou qu'elle soit injuste, les assureurs en répondent. En effet, l'art. 26, titre des assurances, met à leurs risques toutes pertes et dommages qui arrivent sur mer, par prise », sans aucune distinction.

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Le Guidon de la mer, ch. 7, n°. 1, met à la charge des assureurs la prise faite par amis ou ennemis. Nos formules ne laissent aucun doute sur ce point.

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Veut que tous ceux qui prendront de cette assureté passent le même risque » que lui, tant divin qu'humain, d'amis, ennemis, connus ou inconnus, prises » et détention de seigneurie, réprésailles justes ou injustes. Formules de Marseille, d'Ancône, d'Anvers, de Rouen, de Nantes et de Bordeaux.

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Si navis etiamsi ab amicis injustè capta fuit, præcipuè ob pacta in apocha apponi consueta, nempè, tàm ab amicis, quàm inimicis, justè vel injustë occuparetur: assecuratores tenentur. Casaregis, disc. 1, no. 118.

L'assureur est responsable des prises faites par des amis ou par des ennemis non déclarés, tout comme si elles étaient faites par les ennemis propres et déclarés; car quiconque déprède quelqu'un est un corsaire et devient ennemi : Porche chionque depreda un'altro, è corsaro, e si fa innimico. Targa, ch. 52,

n°. 11.

Roccus, not. 41, 54, 55, 64 et 66; Rote de Gênes, dec. 101; Scaccia quest. 1, no. 135 et 137; Valin, art. 26 et 46, pag. 71 et 94; Pothier, n°. 54, tiennent le même langage.

Deux sortes de prises.

Prise juste.
Prise injuste.

S.2.

Les assureurs répondent de la prise.

La loi 18, ff commodati, met au rang des cas fatals l'incursion des ennemis, La prise est pré

sumée fatale.

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