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la marine militaire, bien organisée et recevant du Gouvernement la protection qu'elle devait en attendre, faire sentir toute sa force contre nos ennemis, en même tems qu'elle ruinait leur commerce et leur industrie. En vain prétendaient-ils exploiter pour eux seuls les productions des quatre parties du monde; en vain couvraient-ils leurs vaisseaux des livrées des soi-disant neutres; en vain simulaient-ils les connaissemens, les papiers de bord: toutes ces connivences, tout cet appareil de puissance, s'évanouissaient bientôt devant le courage et l'adresse de nos hardis navigateurs.

Cependant, comme la course maritime pouvait aisément dégénérer en abus et en brigandages, il a été nécessaire de l'astreindre à des lois et à des réglemens d'une police sévère. Mais les réglemens que chaque puissance belligérante est en usage de publier pour modifier la course en tems de guerre, sont variables selon le tems et les causes qui ont donné lieu à leur publication. Ils sont toujours par cette raison susceptibles, dans leur application, d'être tempérés par des vues de sagesse et d'équité. Il faut plutôt les restreindre que les étendre. On doit préférer le sens qui est le plus favorable à la justice et à la liberté.

Les lois sur la course varient donc et doivent nécessairement varier selon les tems et les circonstances; elles ne sont pas permanentes, et leur exécution est presque toujours subordonnée à la politique du moment. Chaque guerre a fait naître de nouvelles ordonnances ou des instructions sur la course, parmi lesquelles on distingue principalement les ordonnances du 7 décembre 1400, février 1517, 1. février 1650, 14 février et 7 décembre 1675, 22 juillet 1676, Ordonnances de 1681, titre des prises, 22 avril 1744, 28 mars et 24 juin 1778, etc. etc.; et les traités sur les armemens en course qui s'accumulent depuis les traitės de Munster, des Pyrénées et d'Oliva. (Voyez le Code des prises de Chardon, 2 vol. in-4°., et celui de Lebeau, 3 vol. in-4°., etc.)

La première règle de la course, qui est une règle universelle du droit des gens, c'est que nul ne peut armer vaisseau en guerre sans être pourvu d'une commission du Gouvernement, appelée en France lettre de marque, comme nous le verrons ci-après; la seconde règle, c'est qu'un armateur légitime a le droit de demander que la prise par lui faite lui soit adjugée; la troisième, enfin, c'est que la prise par lui faite ne peut être considérée sa propriété disponible qu'après lui avoir été légalement adjugée par le tribunal compétent. Ainsi, l'exercice du droit de prise maritime appartient en première ligne à la force publique de l'État belligérant. Tout vaisseau ou bâtiment armé au nom et pour le compte de cet État est par cela seul autorisé à courir sur les vaisseaux et bâtimens ennemis, et à s'en

emparer.

Ainsi, tout particulier peut aussi exercer ce droit de prise pour son compte, en armant à ses frais, après en avoir obtenu la permission du Gouvernement.

Ainsi, une prise est la saisie d'un vaisseau ou autre bâtiment ennemi, ou réputé tel, et des effets qu'il contient, exercée par un belligérant en tems de guerre, ou par quelque autre à qui son gouvernement a donné le pouvoir de le faire dans l'intention de s'en rendre maître, et de se l'approprier en en dépouillant le vrai propriétaire.

«< En procédant à l'arrestation ou à la saisie d'un vaisseau, observe l'auteur du Droit maritime de l'Europe, on peut avoir deux objets divers en vue ou de s'emparer du vaisseau et de sa cargaison, et alors c'est une prise absolue et proprement dite; ou de saisir les effets de l'ennemi ou les marchandises de contrebande de guerre, qui pourraient se trouver

à bord d'un navire neutre et ami; ce n'est dans ce cas qu'une simple arrestation, sans dessein de faire tort aux sujets des puissances amies.

« On distingue la prise en juste ou injuste: elle est injuste, lorsqu'elle est faite par un pirate, par un ami, par un neutre, contre les principes du droit des gens, ou primitif, ou conventionnel; elle est juste, quand elle est faite par un ennemi déclaré, et suivant les lois de la guerre.» (Voyez l'auteur du Droit maritime de l'Europe, M. Azuni, tom. 2, chap. 4, art. 1 ).

Mais soit que la prise soit juste ou injuste, soit que la prise ait été faite de bonne guerre, soit qu'elle ait été faite par hostilité ou par brigandage, l'assureur en est responsable. De quelque manière que la prise ait été faite, c'est une fortune de mer. Or, les assureurs sont tenus de toutes les fortunes de mer. (Art. 350 du Code de commerce ).

Cependant, le capitaine serait responsable et l'assureur déchargé, si la prise était évidemment de sa faute, comme s'il eût pu éviter l'ennemi, s'il n'avait pas fait ce qu'il était possible de faire pour se défendre de l'ennemi et empêcher la prise, s'il avait quitté l'escorte, etc. (Argument tiré de l'art. 351 du même Code).

Néanmoins, si l'assureur s'était rendu garant de la baraterie de patron, il serait tenu des fautes et prévarications du capitaine, c'est-à-dire de la prise faite, même par la faute de celui-ci. (Art. 353 ).

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Il n'y a pas de doute que dès le moment de la prise l'action en délaissement ne soit ouverte. C'est ce qui résulte de l'art. 369 du Code de commerce, qui a remplacé l'art. 46 du titre des prises de l'Ordonnance. C'est aussi l'opinion de M. Estrangin sur Pothier, n°. 115. Lorsque les particuliers exercent le droit de prise pour leur compte, en armant des corsaires, il est rare que de pareils armemens se fassent isolément; ils se font toujours par des sociétés qui sont soumises à des règles spéciales prescrites par l'arrêté du Gouvernement du 2 prairial an 11.

L'art. I de cet arrêté porte : « Les sociétés pour la course, s'il n'y a pas de conventions » contraires, seront réputées en commandite, soit que les intéressés se soient associés par » des quotités fixes, ou par actions, etc. »>

Quand la course a produit des sommes suffisantes pour réarmer, la société continue de droit. L'armateur est autorisé à procéder à la nouvelle expédition; le capital primitif n'est pas rendu aux actionnaires, et nul d'entre eux ne peut retirer sa mise, si ce n'est de gré à gré.

Il est accordé un droit de deux pour cent de commission à l'armateur, sur les frais de construction, et de deux pour cent sur le montant des prises, etc.

Il n'est permis aux armateurs de prendre parmi les marins classés, et non actuellement employés sur les bâtimens de l'Etat, que la huitième partie de leur équipage, à moins d'une permission spéciale du ministre.

L'Etat, pour l'ordinaire, accorde telle somme pour chaque prisonnier et chaque canon pris sur un bâtiment ennemi. Ces gratifications, à titre d'encouragement, appartiennent entièrement à l'équipage. — (Voyez le réglement de 1804).

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On attribue aussi des récompenses à ceux qui ont été blessés ou estropiés dans les combats, aux veuves et aux enfans de ceux qui ont été tués, ou qui sont morts de leurs bles

sures.

T. I.

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La vente des prises doit être faite sous l'inspection de l'administration maritime, aux enchères, par lot et non en bloc, après affiches, dans les principales villes de commerce. L'administration de la douane intervient pour ce qui la concerne, et perçoit les droits d'entrée ordinaires, à la charge de l'acheteur; les articles prohibés ne sont vendus qu'à la condition de les exporter.

Le produit de chaque prise donne lieu à une liquidation particulière, qui constate son montant net des frais qui s'y rapportent; laquelle est faite par le tribunal de commerce du lieu de la vente, sur les pièces probantes que l'armateur est tenu de produire, etc.

Quand la course est finie par la rentrée du corsaire ou par sa perte, l'armateur dépose au tribunal de commerce du lieu de l'armement les liquidations particulières des prises, les comptes des frais de relâche et de désarmement, et il est procédé à la liquidation générale sur les rôles indiqués, savoir: cinq pour cent pour les invalides de la marine; un tiers du restant pour les équipages, restitution faite des avances; deux tiers, outre le produit de cette restitution, pour les armateurs. Les liquidations générales sont imprimées.

Le mode de la répartition des prises faites par les vaisseaux de l'Etat, agissant avec ou sans le concours des corsaires particuliers, est réglé d'après les dispositions de l'ordonnance du 28 mars 1778, de la loi du 1. octobre 1793, et de l'arrêté du 9 ventôse an 9.

Le mode de la répartition des prises faites par des corsaires particuliers est réglé par les dispositions de l'arrêté consulaire, du 2 prairial an 11.

Il est expressément défendu aux marins de vendre à l'avance leur part de prise, et à qui que ce soit de l'acheter, sous peine de perdre les sommes qui pourraient avoir été payées pour cet effet, etc. (Art. 10 dudit arrêté).

Au reste, la manière dont on doit exercer le droit de prise maritime, la police de la course, les mesures à observer au moment et à la suite des captures, des rançons, etc., toutes les règles que les anciennes lois avaient prescrites sur ces divers objets ont été renouvelées, avec quelques modifications, par les articles de l'arrêté du Gouvernement, du 2 prairiał an 11, ci-dessus cité. (Voyez Bulletin de lois, pag. 280, n°. 2771).

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Mais comme une prise n'appartient aux capteurs que lorsqu'elle a été jugée valable par l'autorité compétente, nous devons examiner par qui et comment il doit être statué sur la - légitimité ou l'illégitimité des prises.

D'abord par qui? Est-ce par le juge du capteur ou du capturé?

Si la prise est conduite dans un port neutre, est-ce au juge de ce port qu'appartient la connaissance de la validité de la prise?

1o. Il est de principe constant, chez toutes les nations, que le juge du capteur est seul compétent pour connaître de la prise conduite dans un port qui dépend du souverain de celui-ci.

2o. En est-il de même, quant à la prise amenée dans un port neutre? Tous les auteurs sont d'accord sur l'affirmative, lorsque la prise a été faite en pleine mer, et que non seulement le bâtiment, mais encore la cargaison entière, est propriété ennemie, parce que le souverain de ce port, où la prise a été conduite, ne peut soumettre les gens d'un équipage étranger aux lois civiles de son État, et encore moins les obliger à relâcher une prise légitime.

3. Il en serait autrement, si la prise n'avait pas été faite en pleine mer, si elle l'avait été

sous le canon de la puissance neutre, dans le port duquel le capteur l'aurait ensuite amenée : il n'y a aucun doute que cette puissance ne puisse, soit d'office, soit sur la réclamation du capturé, la faire relâcher, parce qu'elle a le droit de garantir son territoire de toute invasion étrangère, et de réprimer les atteintes qui peuvent être portées à sa propre souveraineté.

4. Mais quid, si la prise a été faite en pleine mer par un corsaire légitime, et que, soit le navire, soit la cargaison, soit l'une et l'autre, soient propriété neutre?

Il faut distinguer le cas où le neutre capturé n'est pas sujet de la puissance dans le port duquel le capteur a conduit la prise, du cas où il est sujet de cette puissance.

Les auteurs, comme l'observe M. Merlin, sont divisés sur la première question. Les uns, tels que M. Azuni, soutiennent que le capturé peut réclamer la justice du souverain du port dans lequel la prise a été conduite. « Cette jurisdiction, dit-il, est tellement conforme aux principes de la raison universelle, que les puissances européennes ont été obligées » dans tous les tems, pour la rendre vaine, d'en faire un article spécial de leurs traités. » De son côté, Hubner cite trois jugemens rendus conformément à cette opinion. — (Voyez Azuni, Droit maritime de l'Europe, tom. 2, chap. 4, art. 3, et Hubner, de la Saisie des bâtimens neutres, tom. 2, chap. 1, § 7).

Les autres, tels que Lampredi, soutiennent que, dans cette hypothèse, il en doit être du neutre comme de l'ennemi, et que l'un ne peut pas plus que l'autre s'y pourvoir devant le juge du lieu neutre où se trouve la prise, pour la faire annuler; le juge du capteur est seul compétent. (Voyez Lampredi, du commerce des neutres, S 14, pag. 208).

Mais il est certain que cette dernière opinion a été de tout tems celle du Gouvernement français, et qu'elle a été constamment pratiquée pour les prises faites sous son pavillon.(Voyez le réglement du 8 novembre 1779, la loi du 8 floréal an 4, et l'arrêté consulaire du 6 germinal an 8; voyez aussi au mot réunion, du Répertoire, le plaidoyer sur la demande en cassation de l'arrêt de la Cour d'appel de Gênes, du 31 janvier 1807, et l'arrêt de cassation, du 29 mars 1809).

Dans la seconde hypothèse, il faut décider que la prise faite sur un neutre doit être restituée à celui-ci, de l'autorité de son souverain, dès qu'elle se trouve dans un port soumis à sa domination. C'est l'opinion de M. Azuni, justement fondée sur les art. 14 et 15 du titre des prises de l'Ordonnance de 1681, et de l'édit du mois de février 1650, malgré que Valin ne soit pas tout-à-fait de cet avis. Au surplus, M. Azuni rapporte quatre jugemens des tribunaux sardes qui ont adopté ce principe, en condamnant des corsaires anglais à restituer des marchandises appartenant à des sujets du roi de Sardaigne, qui faisaient partie des prises amenées dans les ports de Ville-Franche et de Cagliari. (Voyez M. Azuni, Droit maritime de l'Europe, tom. 2, chap. 4, art. 3, § 18).

Maintenant, le droit de juger les prises appartient-il aux tribunaux ordinaires, ou rentre-t-il dans les attributions spéciales de l'administration suprême ?

Le jugement des prises appartenait autrefois aux amirautés, et ensuite, par l'ordonnance du 20 décembre 1759, à un conseil composé de dix conseillers d'état et de six maîtres des requêtes, présidé par l'amiral. La Convention réserva au Conseil exécutif, alors établi, de décider du sort des prises par voies d'administration. ( Décret du 18 brumaire an 11). Le Comité de salut public s'attribua le même droit. Par les lois des 14 février 1793, 3 brumaire an 4 et 26 vendémiaire an 6, le jugement des prises fut dévolu aux tribunaux de com

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merce, et le recours fut ouvert au tribunal de cassation. Enfin, sous le consulat, un Conseil des prises fut établi par la loi du 26 ventôse an 8 et l'arrêté du 6 germinal suivant. Le recours de ses décisions ne fut pas rendu à la Cour de cassation, et ne fut pas autre que celui qui peut être essayé contre toute décision de l'autorité, en s'adressant au Gouvernement lui-même, en Conseil d'état. ( Avis du Conseil d'état du 11 janvier 1808). Mais ce recours n'avait point d'effet suspensif. (Avis du Conseil d'état du 22 décembre 1807, approuvé le 11 février 1808). A la paix qui a suivi la restauration, le Conseil des prises a été supprimé, et ce qui lui restait d'affaires à terminer a passé au Comité du contentieux du Conseil d'état, par ordonnances du roi des 22 juillet 1814, 9 janvier, 23 août et 5 septembre 1815.

Enfin, comme l'arrêté du 2 prairial an 11 servait de réglement en matière de prises, sur l'instruction préparatoire et sur l'instruction définitive devant le Conseil des prises, ainsi que sur l'exécution des décisions de ce Conseil, toutes les dispositions contraires à cet arrêté avaient cessé d'avoir leur effet,

On ne pouvait se pourvoir contre les décisions du Conseil des prises par requête civile. Cependant il y avait lieu à révision toutes les fois qu'il était prouvé que la décision par lui rendue était fondée sur des pièces fausses, ou dont la traduction était reconnue infidèle. Ainsi décidé le 23 ventôse an 9 (1801), dans l'affaire du navire danois le Wilhembourg, capitaine Jeus-Booyseu.

D'un autre côté, les transactions consenties par un armateur n'étaient exécutoires que lorsqu'elles avaient été sanctionnées par le Conseil et qu'elles avaient reçu son attache. Telle a été la décision du 13 prairial an 8, conforme à un ancien arrêté du Conseil du roi, du 7 décembre 1675, et à la lettre du grand-amiral de France, rapportée par Valin. (Voyez d'ailleurs l'auteur du Droit maritime de l'Europe, tom. 2, chap. 4, art. 4, SS 10 et 11; voyez aussi Merlin, Répertoire, aux mots course maritime, Conseils des prises, déclaration de guerre, etc.)

Au reste, tous les amis de l'humanité, tous les amis de la prospérité nationale, formeront, avec Emérigon, le vœu pour un armistice salutaire et généreux, semblable à celui que proposa Louis XIV à ses ennemis, en faveur de la navigation marchande. Que les belligérans adoptent le systême violent de se faire entre eux le plus de mal possible, c'est une nécessité malheureuse que les passions irritées ont consacrée comme loi dans le Code destructeur du genre humain. Mais cet acharnement de politique et de haine devrait-il porter les nations jusqu'à vouloir détruire leur commerce respectif, au lieu d'écouter la voix bienfaisante de leur avantage réciproque ?

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