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J'ai souvent entendu murmurer contre des capitaines neutres qui, interrogés à serment par le magistrat ennemi, avaient déclaré la vérité des faits. et donné lieu, par leur aveu, à la confiscation des marchandises hostiles, chargées dans leur bord.

Nos publicistes s'accordent à soutenir que pour vaincre l'ennemi, ou pour se dérober à ses poursuites, il est permis d'user de ruses, de simulation, de stratagêmes et de mensonge, dolus, an virtus quis in hoste requirat, pourvu qu'on ne blesse en rien le droit de la guerre et des gens. Grotius, liv. 3, ch. 1. Puffendorf, liv. 4, ch. 1. Vattel, liv. 3, ch. 10. Wolff, SS 352 et 359. Straccha, gl. 7; suprà, ch. 8, sect. 5.

Mais ils ajoutent qu'il n'est pas permis de confirmer par le serment une fausseté d'ailleurs licite : Falsiloquium licitum, juramento confirmare non licet. Wolff, § 368.

La nature du serment exclut toutes les exceptions qu'on pourrait alléguer, tirées de la personne de celui à qui l'on a affaire, parce qu'en jurant on promet de dire la vérité, non seulement à la personne à qui l'on jure, mais » encore à Dieu, envers qui on demeure obligé, lors même que la personne » ne peut acquérir aucun droit par nos paroles....... C'est une impiété abo, minable, que de prétendre qu'on peut tromper les hommes par des ser› mens, comme on trompe les enfans avec des osselets.» Grotius, liv. 5, ch. 1, § 19.

Ainsi, l'on a tort de faire un crime aux capitaines neutres de ce que, par leurs réponses judiciaires, ils ont dévoilé au magistrat de la nation belligérante les fausses expéditions dont ils étaient munis.

Au reste, la distinction entre le mensonge et le faux serment répugne à la saine morale. « Quelle différence y a-t-il entre un parjure et un menteur ? » Dès qu'une fois, dit Cicéron, on s'écarte de la vérité, la religion du ser»ment n'est plus un frein suffisant. Quel est l'homme qui sera retenu par l'invocation des dieux, s'il ne respecte pas sa foi et sa conscience? C'est » pourquoi les dieux réservent la même peine au menteur et au parjure; car il ne faut pas croire que ce soit en vertu de la formule du serment, que les › dieux immortels s'irritent contre le parjurc : c'est plutôt à cause de la per› fidie et de la malice de celui qui dresse un piège à la bonne foi d'autrui. » At quid interest parjurem et mendacem? Qui mentiri solet, pejerare consuevit. Nam, qui semel à veritate deflexit, hic non majore religione ad perjurium, quàm ad mendacium perduci consuevit. Quis enim deprecatione deorum, non conscientiæ fide commovetur? Proptereà, quæ pœna ab diis immortalibus perjuro, hæc eadem

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mendaci constituta est. Non enim ex pactione verborum quibus jusjurandum comprehenditur, sed ex perfidiâ et malitiâ, per quam insidiæ tenduntur alicui, dii immortales hominibus irasci et succensere consueverunt. Cicéron, pro Roscio Comado, cap. 16.

Voici un quiproquo fait par les Anglais, lors de la précédente guerre. Le capitaine Sicke Teckes, hollandais, commandant la Jeune Gertrude Adrienne, ayant mis à Cadix son navire sous charge à cueillette pour Marseille, reçut, entre autres choses, deux malles de vieilles hardes, l'une chargée par le sieur Thoro, à la consignation des sicurs Eon frères, Picot et Bouffier; l'autre, chargée par François de Arcos, à la consignation du sieur Pierre Lambert : l'une et l'autre sans marque.

Ce navire fut pris et conduit à Gibraltar. Le 4 juillet 1758, un jugement de la vice-amirauté fit main-levée, entre autres effets, de la malle de vieilles hardes chargées par de Arcos à la consignation du sieur Lambert, et confisqua, entre autres effets, la malle qui était à la consignation des sieurs Eon frères, Picot et Bouffier.

Le capteur anglais étant venu à bord pour enlever les effets confisqués, prit une malle pour l'autre.

Le capitaine arriva à Marseille. On s'aperçut alors que la malle existante était celle adressée à Eon frères, Picot et Bouffier.

Le 23 février 1759, requête de la part de ceux-ci, contre le capitaine, en expédition de leur malle, qu'ils estimaient 2,400 liv.

Le 1. mars, requête incidente du capitaine, en assistance de cause contre le sicur Lambert. Le 3 mars, requête incidente du sieur Lambert, contre le capitaine, en expédition de sa malle, qu'il estimait 2,000 liv.

Le sieur Lambert disait qu'on avait chargé une malle à sa consignation; que cette malle n'avait pas été confisquée; qu'ainsi le capitaine devait la lui cony eût signer ou en payer la valeur; que peu importait que dans le bord il une malle à l'adresse des sieurs Eon frères, Picot et Bouffier.

Les sieurs Eon frères, Picot et Bouffier disaient que leur malle était dans le bord; qu'elle devait donc leur être consignée; que le jugement de confiscation n'avait aucune autorité en France; que, d'ailleurs, la malle se trouvant en France, elle appartenait à ses anciens maîtres par droit de postliminie. Le capitaine disait qu'il n'avait qu'une seule malle à consigner à qui il serait ordonné; que le quiproquo ne procédait pas de son fait.

D'abord, l'avis fut que dans les circonstances on ne pouvait reprocher au

$ 3.

Quiproquo fait par le capteur.

capitaine aucune faute, attendu que les malles n'étaient pas marquées. Le litige n'exista plus qu'entre les deux consignataires.

Il est vrai que les jugemens étrangers n'ont aucune vertu en France contre les Français; mais cela n'a pas lieu lorsque le jugement étranger a été exécuté dans le pays étranger, et qu'un Français se trouve intéressé dans cette exécution.

Il faut alors, par nécessité, admettre et le jugement de confiscation, et l'exécution qui en a été faite, parce qu'autrement le privilége du Français nuirait à un autre Français.

La malle des sieurs Eon frères, Picot et Bouffier avait été confisquée. Le sieur Lambert, qui est Français, était donc en droit d'alléguer comme titre cette confiscation, parce qu'il avait intérêt qu'on la considérât comme un titre valable.

La malle du sieur Lambert avait été retenue au lieu et place de celle dont la confiscation avait été prononcée. Elle avait procuré à son propre dam le salut de celle-ci. Elle l'avait rachetée en quelque manière. L'action negotiorum gestorum compétait donc à la malle du sieur Lambert, qui s'était sacrifiée pour l'autre.

Il était par conséquent aussi juste qu'équitable que les sieurs Eon frères, Picot et Bouffier, payassent la valeur de la malle retenue par équivoque, jusqu'à la concurrence de la valeur de celle qui avait été relâchée de fait.

C'est ainsi que la question fut décidée par notre amirauté, le 29 mai 1759. Il fut ordonné que les deux malles seraient estimées par experts, qui entendraient témoins, et auraient égard à tout ce que de droit, si mieux les sieurs Eon frères, Picot et Bouffier, n'aimaient abandonner à Lambert la malle qui était à leur consignation. Les dépens furent adjugés au capitaine, mais ils furent compensés entre les deux consignataires.

CONFÉRENCE.

.CXXV. On sait que la prise s'opère dès que par force on saisit un navire en mer, et que l'empêchant de naviguer à son dernier reste et au lieu de sa destination, on le conduit dans un autre endroit. L'accident de prise est alors consommé, que la prise soit juste ou injuste, et dès lors les assureurs ne peuvent s'empêcher de payer.

De même, les assureurs répondent de la confiscation prononcée par le tribunal du lieu où le navire pris a été conduit, quoique cette confiscation soit injuste, et que cette injustice procède de la corruption du juge ou de son ignorance. Mais cette confiscation n'est, en effet, ni une preuve que le véritable pour compte ait été caché, ni un titre que les assureurs puissent alléguer pour se dispenser de payer la perte, parce que les jugemens rendus

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par les tribunaux étrangers ne sont d'aucun poids en France, et les décisions rapportées par Emérigon sont dans les véritables principes.

Il est bien certain sans doute que s'il y avait eu simulation dans les objets assurés, et qu'on cût fait mystère aux assureurs de cette simulation, ils ne répondraient point de la confiscation des effets assurés. Valin, sur l'art. 49, titre des assurances, pense même qu'il en doit être ainsi, quoique l'assuré ignorât lui-même que ce fussent des marchandises de contrebande. Dans ce cas, les chargeurs sont tenus des dommages et intérêts soufferts par le capitaine, à qui la simulation avait été cachée.

Il en serait autrement si dans la police on avait déclaré aux assureurs la simulation du pour compte. Il suffit pour cela que, dans une guerre où la France est engagée, l'assurance ait été faite pour compte de qui il appartient. Cette clause indique à suffire que les effets chargés ne sont pas réellement pour un neutre. Alors, les assureurs ne peuvent plus excepter de la simulation; ils doivent payer.

Néanmoins, si rien dans la police n'indiquait que l'on a simulé la propriété d'un navire assuré; si, au contraire, les termes de cet acte annonçaient que le navire est réellement de la nation dont il porte le pavillon, l'assurance alors, quoique pour compte de qui il appartient, serait nulle, si le propriétaire n'était pas de la même nation, pourvu toutefois que le défaut de déclaration ait influé sur l'opinion du risque. Du reste, quoique d'après les publicistes, les jurisconsultes romains et nos casuistes, il soit permis de tromper un ennemi, cependant on ne saurait faire un crime à un capitaine neutre de ce que, par ses réponses en justice, il aurait démasqué la nature et la propriété de la chose assurée. (Voyez notre Cours de droit commercial maritime, tom. 5, pag. 528; tom. 4, pag. 25, 26 ̊ et suivantes, et 30 et 31).

SECTION XXI.

Du Rachat.

LE rachat est un contrat du droit des gens, par lequel, moyennant un certain prix ou un certain bénéfice, le capteur se désiste de la prise, et transfère le domaine de la chose aux anciens propriétaires, qui, par ce moyen, l'achètent en quelque manière de nouveau.

Le rachat peut se faire avant ou après les vingt-quatre heures, soit en mer, soit dans le lieu où le navire pris a été conduit. Infrà, sect. 27.

$ 1. Définition.

§ 2. Tems et lieu du

rachat.

$ 3. Capitaine peut-il

Si les propriétaires ne sont ni sur le bord, ni à portée d'être consultés, le capitaine, après avoir pris l'avis de l'état-major, peut racheter le navire aux racheter le navire? meilleures conditions qu'il lui est possible. Consulat, ch. 227, 228. Guidon de la mer, ch. 6, art. 3, 7 et 9. Valin, art. 66, titre des assurances.

Le capitaine qui fait le rachat agit

Si les propriétaires sont sur le bord ou à portée de donner leurs ordres, le capitaine ne doit point faire le rachat sans leur participation. Consulat et Guidon de la mer, aux endroits cités.

Ou plutôt, c'est alors à ceux-ci à racheter leurs effets. Art. 66, titre des assurances, de l'Ordonnance. Déclaration du 22 septembre 1638.

Le capitaine agissant ou contractant en sa qualité de muître du navire, agit pour compte de qui et contracte pour compte de ceux dont il est le facteur.

il appartient.

54.

Donative faite par

Telle est la règle dictée par le droit commun, au sujet des actes passés par les procureurs et commissionnaires. L. 18. L. 42, § 2, ff de adquir. possess. L. 8, C. eod. L. 13, ff de adquir. rer. domin. L. 6, § 1, ff de preca. Oléa, tit. 4, quest. 11, pag. 267. Pothier, des obligations, n°. 74.

Il suit de ces principes que le capitaine qui rachète le navire n'acquiert rien pour lui-même. Les choses sont censées avoir été rachetées pour compte des anciens propriétaires. Infrà, § 11.

Le capitaine à qui le capteur donne partie des effets pris, ne peut point le capteur au capi- les garder pour lui; il doit restituer la chose à qui elle appartient. Guidon de la mer, ch. 6, art. 2.

taine pris.

$ 5.

Deux manières de faire le rachat.

Telle est la disposition du droit commun, au sujet des mandataires : Ex mandato, apud eum qui mandatum suscepit, nihil remanere oportet. L. 10, § 3. L. 20, ff mandati. L. 46, § 4, ff de procurator. L. 23, ff de negot. gest.

Un négociant de Marseille, qui avait remis un diamant à un capitaine pour le vendre aux Iles françaises, s'était fait assurer 500 liv. sur cette pacotille. Le navire fut pris. Le coffre du capitaine, dans lequel le diamant se trouvait, fut rendu à ce capitaine.

L'assuré se pourvu contre l'assureur. Celui-ci disait que le diamant n'était pas perdu, et qu'il n'était pas garant de la baraterie du capitaine, qui détenait ce bijou par dol et fraude.

On répondait que l'assureur se trouvait au lieu et place de l'assuré; qu'il s'agissait ici d'une baraterie commise depuis le sinistre; que le délaissement avait un effet rétroactif au moment du sinistre même, dont les suites, sans exception, sont pour le compte de l'assureur.

Sentence du 9 février 1748, qui condamna l'assureur à payer la somme assurée, sauf à lui son action contre le capitaine, lequel aurait été condamné à rendre le diamant, s'il eût été appelé au procès.

Le rachat se fait en deux manières.

La première et la plus ordinaire est de déterminer une somme pour laquelle

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