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core douteux de parvenir à le rendre navigable. » En conséquence, il y eut décret qui déclara le navire innavigable, et qui en ordonna la vente.

Le délaissement fut fait aux assureurs. Ils opposaient que le risque assuré n'avait commencé à courir que depuis le 2 février 1775, jour que le senaut était parti de la Pointe-à-Pitre; que la voie d'eau manifestée peu de tems après, procédait du vice propre du navire, lequel depuis quelques années n'avait pas eu de radoub, et dont tous les bordages de franc bord étaient pourris, etc.

Sentence du 6 mai 1777, qui condamna les assureurs sur corps et facultés au paiement des sommes assurées. Arrêt du 18 juillet 1778, au rapport de M. Pazery de Thorame, qui réforma cette sentence vis-à-vis des assureurs sur facultés, mais qui la confirma avec dépens, à l'égard des assurances sur le corps.

On doit inférer de ces décisions que, dans le doute, l'innavigabilité est présumée fatale, pourvu toutefois que les rapports de visite prescrits par la déclaration de 1779 aient été faits.

Targa, cap. 60, pag. 256, dit que le cas d'innavigabilité arrive, lorsque, par fortune de mer, le navire est dans un état à ne pouvoir redevenir navigable.

Le Statut de Gênes, rapporté par Casaregis, disc. 10, no. 8, définit l'innavigabilité, lorsque, par cas fortuit, le navire est réduit in eum statum, qui providentiâ humanâ reparari non possit.

$ 6.

Pour qu'il y ait in navigabilité, faut-il que le navire ne puisse être radoube?

Si la réparation est trop coûteuse et

On se trouve au cas d'innavigabilité, lorsque, pour réparer le navire, il faudrait presque employer autant de tems et faire autant de dépenses que trop longue, pour en construire un nouveau: Si l'accomodamento è disastroso, longo, è dispendioso, e che habbi, più forma di rinovatione, che di riparatione à giudicio di periti. Targa, cap. 54, pag. 239.

Tel était le navire le Roi Salomon, qui fut déclaré innavigable, parce que la réparation aurait coûté plus de 100,000 liv. Suprà, $5.

Le navire la Victoire, capitaine Jean Biquant, agité par la tempête, relâcha à Sainte-Croix, île danoise, où étant impossible de trouver du bois et des matériaux pour le radouber, il fut déclaré innavigable. Sentence du 22 janvier 1763, qui condamna les assureurs, contre qui j'écrivais.

En 1774, la polacre la Sirène, capitaine le Pelley, de Saint-Malo, fut déclarée innavigable au Cap-Français, parce qu'on n'y trouvait point les courbes indispensables pour assujetir les barrots du navire.

En la même année, le vaisseau l'Adélaïde, capitaine Louis-Crispin Maurenq, fut déclaré innavigable à Port-au-Prince, parce qu'on ne trouvait pas sur les

Si le capitaine n'a ni argent, ni crédit.

$7.

Navire qui, mal

gré l'innavigabilité prononcée, conti

nue de naviguer.

lieux le bois nécessaire, et que l'endroit n'était du tout point propre à pouvoir
remettre le vaisseau en état de naviguer.

Si l'innavigabilité n'est prononcée que parce que le capitaine n'a ni argent, ni crédit, ni autres moyens pour réparer son navire, qui était réparable en lui-même, on peut, suivant les circonstances, considérer ce cas comme une fortune de mer, qui a fait aborder le navire en un lieu où le capitaine s'est trouvé sans ressource. Valin, art. 46, titre des assurances. Pothier, no. 120, titre des assurances.

Le vaisseau la Vierge de Bonne Rencontre, capitaine Icard, partit du CapFrançais. Le mauvais tems l'obligea à relâcher à la Martinique, où il fut déclaré innavigable, attendu la trop grande dépense qu'il aurait fallut faire pour le radouber. Il fut vendu à Dominique Pauquet, qui eut l'art de le réparer; il l'envoya à Marseille sous le nom du Conquérant, et le fit partir pour Cayenne, d'où ce navire revint à Marseille sain et sauf.

Nonobstant ces circonstances, l'abandon fait aux assureurs fut adopté par sentence du 27 mars 1767, qui les condamna à payer les sommes assurées. Le décret qui avait prononcé l'innavigabilité de ce navire n'était pas attaqué, et ne pouvait l'être, attendu que les choses n'étaient plus en leur premier état. Il était très-possible que l'excès de dépense que le radoub eût nécessité à l'époque de ce décret, eût été modifié par les occurrences postérieures. Il était encore possible que Pauquet, qui entendait l'art de la construction, cût donné, par son industrie particulière, une nouvelle naissance

au navire.

Autre décision. La corvette Notre-Dame de Bonne Rencontre, après avoir essuyé de mauvais tems et fait jet, arriva à Gênes. Un rapport d'experts déclara qu'elle était extrêmement endommagée, ayant les membres de dedans presque » tout pourris, et si fort gâtés, que, quand même on voudrait y faire une doublure, les clous n'y pourraient pas tenir, et ne pourrait sortir du port sans

D

«

› un péril évident, n'étant pas possible qu'elle puisse tenir la mer, faisant sans
» cesse une prodigieuse quantité d'eau, qui oblige à donner continuellement
⚫ à la pompe. »

En conséquence de ce rapport, la corvette fut déclarée innavigable par dé-
cret du consul français.

Le sieur Martichou, assuré, fit abandon du navire à ses assureurs. Il fut ensuite passé un accord, par lequel il fut convenu que Martichou demeurerait chargé de la corvette en l'état qu'elle était, pour en disposer à sa volonté, nonobstant l'abandon déjà fait, moyennant quarante-huit pour cent que les

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assureurs lui payèrent sur les sommes par eux assurées. Martichou envoya Gênes le capitaine Laurens Gueyrouard, lequel conduisit la corvette avec son seul lest à Marseille, où elle fut dépecée.

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Requête et lettres de rescision de la part des assureurs, sur le fondement, 1. que l'innavigabilité, si elle avait été véritable, procédait de la vétusté du navire; 2°. que cette innavigabilité était une idée vaine, puisque le navire était retourné à Marseille; 3°. que le rapport des experts leur avait été caché.

L'avis fut, 1°. que peu importait que le navire fût arrivé à Marseille, dès qu'il y était venu avec son seul lest, sans avoir pu recevoir aucune cargaison. Quand on parle d'un navire navigable', on entend un navire qui puisse naviguer avec un chargement; au lieu que la corvette fut traînée à Marseille, pour y être dépecée. Le capitaine Gueyrouard avait ordre de la faire échouer à la première rade, si elle n'eût pu tenir la mer; 2°. que si les assureurs n'avaient pas signé l'accord dont il s'agit, on les admettrait à prouver que le vice du navire existait lors du départ de Marseille; mais qu'ayant signé le susdit accord, dans lequel il était dit qu'ils étaient instruits de l'innavigabilité, ils étaient non recevables à exciper d'aucune erreur de fait. Sentence du 22 juin 1750, qui, sans s'arrêter aux lettres de rescision, débouta les assureurs de leur réquête.

Le capitaine Jérôme Petit, commandant le vaisseau le Saint-Louis, partit de Marseille le 30 mai 1752, pour aller à la Martinique. Il essuya diverses. tempêtes. Un coup de vent le démâta de ses deux mâts de hune, et l'obligea de relâcher à Carthagène, où il arriva le 4 juillet suivant. Le consul français ordonna une visite par experts, qui déclarèrent que le vaisseau était en état de continuer son voyage, en pompant environ une heure par quart.

Le 9 octobre d'après, le navire mit à la voile de Carthagène. Le 15, il débouqua le détroit. Le 26, il essuya divers gros coups de mer, qui augmentèrent la voie d'eau. L'équipage engagea le capitaine à retourner sur ses pas. Le 9 novembre, on arriva à Gibraltar, où, après que le navire eût été visité, le tribunal de la vice-amirauté rendit un décret, en ces termes La Cour > est d'opinion que ledit vaisseau n'est pas en état à présent de poursuivre le » voyage à la Martinique, jusqu'à ce qu'il soit réparé; mais qu'il est en état › de poursuivre, en côtoyant, son voyage à Marseille, en cas que ledit capitaine Petit le trouve conforme aux ordres ou intentions des armateurs. » Enfin, après un voyage de sept mois et douze jours, le navire revint à Marseille. Les sieurs Delisle et compagnie, et les sieurs Eon frères, Picot et 73

T. I.

$8. Navire qui revient sur ses pas, par la

crainte de devenir

innavigable.

$ 9.

Innavigabilité doit

Avoir été prononcée.

Bouffier, présentèrent requête contre leurs assureurs, en abandon et en paiement des sommes assurées, sur le fondement que le navire était revenu à Marseille, par la crainte de devenir tout à fait innavigable et de faire naufrage.

Les assureurs, qui étaient francs d'avarie, répondaient que l'innavigabilité n'avait pas été prononcée par les juges de Gibraltar, et que la crainte du sinistre n'est pas le sinistre même.

Sentence du 27 avril 1754, qui débouta les assurés de leur requête, attendu que c'est ici une matière de droit étroit, où il n'est pas permis d'argumenter d'un cas à l'autre.

Le sieur Faure, de Bordeaux, se fit assurer à Marseille 40,000 liv., un quart sur le corps, et trois quarts sur la cargaison du vaisseau le Saint-Louis, de Brest, capitaine Joseph Lartigues, de sortie des Iles françaises jusqu'à Bordeaux, franc d'avarie, moyennant la prime de quarante pour cent, com pensable en cas de perte,

Ce navire, pendant sa route, essuya de mauvais tems. Partie de ses mâts furent coupés. Il fut fait jet. Il s'ouvrit une voie d'eau. En cet état, il relâcha å Rochefort, où le capitaine fit son consulat, et protesta des avaries. Des experts furent nommés pour visiter le bâtiment, et déclarèrent que pour le radouber, il en coûterait 14,500 liv.

Le sieur Faure fit abandon du corps aux assureurs de Marseille, et présenta contre eux requête en paiement des sommes assurées. Dans le même tems, il poursuivait le paiement de l'avarie contre les assureurs de Bordeaux.

Les assureurs de Marseille présentèrent requête en paiement de la prime. Sentence rendue par notre amirauté le 7 juillet 1758, qui débouta le sieur Faure de sa requête principale en délaissement, et le condamna à payer la prime.

Le motif de cette sentence fut, 1, que le navire n'avait pas été déclaré innavigable par l'amirauté de Rochefort; 2°. que ce navire ne pouvait pas être navigable pour les assureurs de Bordeaux, et innavigable pour ceux de Marseille, vivant et mort en même tems. Les assureurs de Bordeaux n'étaient pas francs d'avarie; voilà pourquoi on les fit condamner au paiement de l'avarie, qui fut réglée à vingt-cinq pour cent. Les assureurs de Marseille étaient francs d'avarie; voilà pourquoi on leur faisait abandon, sous prétexte d'innavigabilité.

Depuis la déclaration du 17 août 1779, ce point est encore moins susceptible de difficulté. Dans le cas, dit l'art. 4, où le navire, par fortune de

.

» mer, aurait été mis hors d'état de continuer sa navigation, et aurait été » condamné en conséquence, les assurés pourront faire délaissement à leurs assu» reurs du corps. Il faut donc que le navire ait été condamné, et que l'innavigabilité ait été prononcée par le juge.ni ..

On a vu ci-dessus que nos auteurs comparent l'innavigabilité au naufrage. De là on concluait, parmi nous, que l'innavigabilité du navire donnait lieu au délaissement, non seulement du corps, mais encore des facultés, même dans le cas où les marchandises versées dans un autre vaisseau parvenaient dans le lieu de leur destination. Telle était notre jurisprudence. Elle avait pour base l'usage où nos assureurs sont de stipuler la clause franc d'avarie, à laquelle on donnait la plus grande étendue. On croyait qu'en cas d'innavigabilité, les assureurs sur facultés devaient être ou déchargés de toute garantie, ou soumis à l'action indéfinie d'abandon. On ne considérait pas qu'il était au pouvoir des parties de modifier la clause franc d'avarie. On ne voyait pas que le texte de l'Ordonnance et les vrais principes s'élevaient contre cette jurisprudence, de laquelle on abusait de la manière la plus intolérable. Par le moyen d'une innavigabilité très-souvent officieuse, on convertissait la valeur numéraire de la monnaie des îles en monnaie effective de France; on grossissait d'un tiers son capital, et on avait le secret de s'enrichir aux dépens des assureurs.

Le vaisseau l'Adelaide, capitaine Maurenq, parti de Port-au-Prince, essuya une violente tempête. Il relâcha au Fayal, une des îles Açores, où il fut déclaré innavigable. Les marchandises débarquées à terre furent transportées par un autre vaisseau à Marseille, lieu de leur destination. Les assurances sur facultés se montaient à la somme de 190,450 liv. Le délaissement fut fait aux assureurs, qui étaient au nombre de cent cinquante. Cent quarante-neuf payèrent les sommes par eux assurées sur les facultés. Le sieur Matthieu Hermitte, assureur de 3,000 liv. sur une pacotille des sieurs Reynoard et Castellan, négocians à Marseille, fut le seul réfractaire. Il fut condamné par sentence du 30 juin 1755 à payer la somme assurée.

En cause d'appel, il soutint que les facultés assurées étant parvenues à Marseille, le délaissement ne devait pas avoir lieu. Il offrit de payer le dommage réel que la pacotille avait souffert, et il s'éleva avec force contre la jurisprudence qu'on lui opposait. M. Hermitte, jeune avocat (1), dressa à ce

(1) Il fut reçu avocat-général en la Cour des comptes, aides et finances de Provence. Il avait des talens distingués. Une mort prématurée nous l'a ravi en 1781 : Pulvis et umbra sumus !

$ 10. Innavigabilité du navire donne-t-elle

lieu au délaissement

des facultés ?

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