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m'en servir, quelque commode que soit l'emploi des dénominations acceptées par l'usage.

En bornant cet ouvrage à l'examen des droits civils que la publication des produits de l'intelligence dans la littérature, les sciences et les beaux-arts, fait naître pour les auteurs, le champ à parcourir reste encore assez vaste. Mon principal effort a été de ramener à un petit nombre de règles fondamentales la solution de cette multitude infinie de cas que la pratique journalière soulève. Je tiens pour avéré que les théories générales sont les meilleurs de tous les secours pratiques, quelque peine qu'elles aient à trouver grâce devant une foule d'esprits dont l'ambition est de passer pour positifs; comme si l'on pouvait tirer parti des faits sans les classer, et comme si toute classification ne supposait pas une théorie. On dépouille la jurisprudence de toute grandeur scientifique et de toute influence profonde, lorsqu'on la réduit à n'être qu'un recueil de décisions, assemblées au hasard suivant la chance des cas particuliers. Il faut énergiquement protester contre cette paresseuse routine qui, à notre époque de travail facile et de jouissances hâtives, tend à usurper la place de la science. Le défaut de foi dans les principes généraux passe pour habileté auprès de ces esprits à étroites proportions qui se piquent de scepticisme tout en faisant office de casuistes, et qui, de peur de se soumettre aux larges considérations d'une justice élevée, subissent toutes les impressions occasionnelles que des faits variables leur apportent. Ils ne comprennent ni la beauté ni la force de la règle, et ils tirent vanité de cette ignorance, en disant qu'ils se méfient des abstractions. Sans nul doute, il faut se défier de toute préoccupation, théorique ou autre, qui nuirait à l'observation exacte des faits; mais, une fois les faits constatés, plus est haute la généralité des principes de droit qu'on leur reconnaît applicables, plus est facile et sûre la solution pratique des difficultés qu'ils présentent.

Avant d'exposer les principes, et comme pour leur préparer les voies, j'ai tâché de reconnaître quels ont été les droits

des auteurs à des époques diverses; et, après être remonté aux principes par l'histoire, je suis descendu, avec leur aide, dans la discussion des cas spéciaux.

La recherche des vicissitudes que les droits des auteurs ont éprouvées n'est pas un des côtés les moins curieux de l'histoire de l'esprit humain. L'embarras même où je me suis trouvé, à ce sujet, par l'absence de guide, m'a fait penser que mes ébauches pourraient être de quelque secours à d'autres; et je me suis senti encouragé à les publier par l'espérance de ne pas demeurer inutile si jamais de sérieux travaux viennent à être entrepris sur cette matière jusqu'à présent négligée. Je passe d'avance condamnation sur le reproche que l'on me fera peut-être d'avoir étendu mon exposé historique au-delà des bornes exactes de mon sujet; mais j'espère que mes lecteurs ne me sauront pas mauvais gré de leur avoir communiqué beaucoup de documens mal connus que l'étude des sources de la législation sur l'ancienne librairie française m'a conduit à rassembler.

PREMIÈRE PARTIE.

HISTOIRE DES DROITS D'AUTEURS.

Observations préliminaires.

Le privilège de jouissance exclusive que notre législation actuelle garantit aux auteurs pendant leur vie, et qu'elle conserve, après leur mort, à leurs représentans pendant un temps qu'elle détermine, diffère essentiellement des privilèges de librairie accordés sous l'ancienne législation fran- . çaise.

Le privilège actuel existe de plein droit, au profit des auteurs qui ne le tiennent que de leur travail et de la loi : il est en harmonie avec le principe de liberté en vertu duquel chacun peut publier sa pensée sans la permission de personne, et avec le principe de sociabilité qui veut que tout travail obtienne son salaire. Les privilèges anciens étaient des concessions individuelles, conférées, dans leur origine, à titre de faveur, et nées de l'opinion qu'il n'existait de droits que ceux qui étaient octroyés, et de publications légitimes qu'après une permission préalable.

L'étude de l'ancienne législation sur les privilèges de librairie, ne valût-elle que par ses rapports intimes avec l'his

toire littéraire, mériterait, à ce seul titre, de ne pas être. laissée dans l'oubli; mais elle se recommande aussi par d'autres considérations. Ignoré d'abord, se faisant ensuite reconnaître, mais apparaissant comme un étranger au milieu d'une société où sa place se trouvait prise, parce qu'il avait convenu aux inquiétudes du pouvoir et aux habitudes du monopole d'élever là des barrières, le droit des auteurs parvint à se conquérir une position après avoir long-temps combattu, ayant tantôt pour alliés, tantôt pour ennemis, le gouvernement central, le clergé, les tribunaux, les imprimeurs, les libraires, les comédiens. Ce spectacle d'un droit se faisant jour à travers les agitations de la vie sociale et les obstacles de la législation n'est pas un objet de curiosité vaine; il rend sensible, par un exemple, une des lois fondamentales de la perfectibilité humaine, la loi qui veut que chaque idée vraie arrive, tôt ou tard, à régir les affaires, et passe de la théorie dans la pratique, quand elle est parvenue à entrer dans les lieux communs du bon sens.

Notre législation sur les produits intellectuels est incohérente et surtout incomplète; mais, du moins, elle est enfin assise sur une base stable, et l'établissement des privilèges temporaires a résolu le problème qui consistait à concilier les droits des auteurs avec ceux de la société. Nous n'avons pas tellement rompu avec les conséquences de la législation ancienne, que nous puissions la rejeter hors de nos études : beaucoup de dispositions et d'usages dont la logique toute seule ne rendrait pas raison s'expliquent par le passé. Et d'ailleurs, tout en sachant critiquer nos lois pour arriver à les améliorer, il faut demeurer équitable envers elles et apprécier les progrès dont elles nous ont mis en possession; or, on ne saurait point le faire si l'on néglige de les comparer avec celles dont elles ont pris la place. Un peuple qui se soucierait peu de conserver de la mémoire risquerait de n'avoir ni science, ni prudence, ni justice.

J'ai essayé, ainsi que je l'avais fait à la suite de mon Traité

des Brevets d'invention, de faire connaître quelques documens de législations étrangères. A mesure que la civilisation générale s'améliore et que les communications entre les peuples gagnent en étendue, en sûreté, en rapidité, l'utilité de l'étude des législations comparées devient plus sensible. Les différences, encore profondes, qui séparent les nationalités diverses, tendent à s'effacer de jour en jour; et les emprunts fréquens que se font les législateurs de tous les pays doivent amener tôt ou tard, non sans doute l'unité des législations, mais du moins quelque homogénéité dans la reconnaissance des principes fondamentaux conformes à la condition de l'humanité et à l'éternelle justice. La législation sur les droits d'auteurs est l'une des matières sur lesquelles il serait le plus utile que les lois des divers pays parvinssent à se rapprocher; car, si l'on a raison de souhaiter, à cet égard, l'établissement d'un droit international, on ne peut l'espérer qu'entre des pays qui soumettront leur droit privé à l'empire de príncipes

communs.

J

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