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février 1566, renouvelle les mêmes défenses, confirmées encore en 1570, 1571, 1586, et plus tard. Cette ordonnance de Moulins confond dans une même disposition les privilèges et les permissions dans son art 78, ainsi conçu « Défendons << aussi à toutes personnes que ce soit d'imprimer ou faire im<< primer aucun livre ou traité sans notre congé et permission << et lettres de privilège expédiées sous notre grand scel, au<<< quel cas aussi enjoignons à l'imprimeur d'y mettre et insérer <<< son nom et le lieu de sa demeurance, ensemble ledit congé « et privilège, et ce sur peine de perdition de biens et puni<< tion corporelle. »

M. Vitet (1) a publié sur la puissance de la presse à cette époque des réflexions desquelles j'aime à extraire ici un passage. « Le gouvernement de la Ligue se garda bien d'affranchir les presses parisiennes; mais, comme il ne leur interdisait que de servir ses ennemis, et que pour dire du bien de la sainte-union il leur laissait liberté absolue, comme, d'un autre côté, il y avait à Tours un gouvernement qui n'était hostile qu'aux écrits qui n'étaient pas royalistes, et qu'à Genève un autre gouvernement ne censurait que ce qui n'était pas protesta. de ces trois censures partielles naissaient trois fragmens de liberté, dont la réunion compose une liberté complète. En ce sens on peut donc dire que la Ligue affranchit momentanément la presse.

«C'est elle aussi qui lui révéla sa force en s'en servant comme de son arme favorite. Sans doute les protestans imprimaient beaucoup depuis trente ans et plus; leur mission était de prêcher en même temps que de combattre; la presse leur était donc aussi nécessaire que leurs mousquets, et ils s'en servaient également bien, témoins le To csin contre les massacreurs, le Cabinet du roi de France et autres pièces écrites avec éloquence et habileté; mais tant que la réforme ne

(1) De la Presse au seizième siècle, et de son influence sur les études historiques (Globe du 12 mai 1830).

fut combattue que par le pouvoir royal, comme le pouvoir, qui de sa nature est assez taciturne, ne répondait guère aux écrits de Genève que par de l'intrigue ou des levées d'hommes, les protestans, réduits ainsi à ne faire que des monologues, laissèrent plus d'une fois la presse inactive. Au contraire, lorsque l'association catholique se fut érigée en troisième pouvoir militant, elle entreprit, non-seulement d'extirper le protestantisme, mais encore de parler plus souvent et plus haut que lui; or, comme rien n'est plus contagieux que la parole, une fois que la Ligue se fut mise à faire ainsi gémir les presses, on vit les protestans imprimer à redoublement, et enfin le royalisme, sortant de sa majesté silencieuse, s'en vint brocher sur le tout, et finit par écrire encore plus que tous les

autres.

«C'est depuis 1583, et plus particulièrement depuis les Barricades, que les écrits ligueurs commencèrent à déborder. On les voit surgir par douzaines. La mort des Guise donne naissance à plus de cent relations sous ces divers titres : Martyre des deux frères, Cruautés sanguinaires, Discours déplorable du meurtre de Blois, Portraits lamentables des deux saints, etc. Puis vient ensuite le feu croisé des trois camps. A Paris on publie la Trompette de l'union, le Martel en tête des catholiques français, le Bouclier de la foi, le Testament, la Confession de Henri de Valois, le vrai Moyen pour attraper ce faux hérétique et cauteleux grison de roi, la Complainte du commun peuple à l'encontre des boulangiers qui font du petit pain et des taverniez qui brouillent le bon vin, lesquels seront damnés au grand diable, s'ils ne s'amendent; avec la louange de ceux qui vivent bien et la chanson des brouilleurs de vin. A Tours ou à Genève on lance en réponse le Contre-avis, le Contre-devis, le Contrepoison, l'Eponge pour effacer les mauvais bruits semés contre le roi, ou bien on prend l'offensive avec la Remontrance aux vrais catholiques, l'Aiguillon aux Français, les Cruautés des ligues, le Fleau des zélés, etc.

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La grande mêlée, la crise de cette guerre de pamphlets ne dure guère que les deux années 1588-1589: après quoi l'ardeur des combattans s'amortit peu-à-peu, jusqu'à ce qu'enfin, en 1594, les vainqueurs prenant encore une fois la parole terminent cette grande et laborieuse campagne par le roi des pamphlets de la Ligue, cette satire Ménippée qui, au dire d'un grave historien, ne fut guère moins utile à Henri IV que les batailles d'Arques et d'Ivry. »

L'édit de Nantes, d'avril 1598, s'exprime ainsi en son article 21: «Ne pourront les livres concernant ladite religion pré« tendue réformée être réimprimés et vendus publiquement « qu'ès villes et lieux où l'exercice public de ladite religion « est permis; et, pour les autres livres qui seront imprimés << ès autres villes, seront vus et visités tant par nos officiers << que théologiens, ainsi qu'il est porté par nos ordonnances. « Défendons très expressément l'impression, publication et « vente de tous livres, libelles et écrits diffamatoires, sous les << peines contenues en nos ordonnances, enjoignant à tous « nos juges et officiers d'y tenir la main ». Des édits, ordonnances et arrêts ont, par la suite, fréquemment renouvelé les peines contre les libelles et écrits diffamatoires. On peut voir notamment l'édit de pacification de mai 1616, art. 42, le règlement de 1618, l'édit de 1686, la déclaration du 12 mai 1717, le règlement de 1723, la déclaration du 10 mai 1728, l'ordonnance de police du 8 juin 1735.

On ne se formerait qu'une idée fort imparfaite des rapports de la presse avec le pouvoir et avec la société, si l'attention s'arrêtait exclusivement sur la législation pénale. La police et la discipline de l'imprimerie et de la librairie ne sont pas moins importantes à étudier. Les dispositions qui y sont relatives furent réunies en statuts généraux par le règlement de 1618. Antérieurement à cette époque, elles se trouvent éparses dans un grand nombre d'édits, d'ordonnances et d'arrêts dont nous avons déjà fait connaître quelques-uns, et dont nous devons examiner d'autres plus particulière

ment lorsque nous nous occuperons spécialement des privilèges.

Le dernier août 1539, des règlemens de police, en dix-huit articles, avaient été donnés à l'imprimerie de Paris; ils étaient surtout relatifs aux devoirs réciproques des maîtres, compagnons et apprentis, et destinés à réprimer les monopoles, assemblées illicites, forces, violences et ports d'armes des compagnons. Ils furent confirmés par lettres-patentes du 19 décembre 1541, enregistrées le 9 janvier, au Châtelet. L'article 16 est ainsi conçu : « Item, ne pourront prendre, les <<< maîtres imprimeurs et libraires, les marques les uns des <«< autres, ains chacun en aura une à part soi, différentes les « unes des autres, en manière que les acheteurs des livres << puissent facilement connaître en quelle officine les livres <<< auront été imprimés, et lesquels livres sé vendront aux<<<< dites officines et non ailleurs. >>

Lé 28 décembre 1541 de semblables règlemens, en dix-huit articles, furent portés concernant l'imprimerie de Lyon; ils étaient «< tirés et extraits de mot à mot, mué ce qui faisait <<< à muer, des lettres-patentes sur ce octroyées et concédées « à ceux de Paris >>.

Les compagnons imprimeurs formèrent opposition à ces règlemens; mais le procès, évoqué au conseil, fut jugé contre eux par arrêt du 11 septembre 1544. (1)

Ces règlemens furent renouvelés, presque dans les mêmes termes, par édit donné à Gaillon, en mai 1571. Les articles 23 et 24 sont ainsi conçus :

« Art. 23. Que les maîtres imprimeurs, qui sont de présent en ville de Paris, éliront par chacun an deux d'entre eux, avec deux des vingt-quatre maîtres libraires jurés pour ladite année, l'office desquels sera de regarder qu'il ne s'imprime aucun livre ou libelle diffamatoire ou hérétique, et que les impressions qui se feront en chacune ville soient bien et convenablement faites, c'est à savoir correctement et en bon papier et bons caractères ne qui soient pas (1) Voyez Fontanon, tome IV, p. 467 et suiv.

trop usés. Et où lesdits jurés trouveront quelques fautes qui méritent répréhension, soit en ladite impression, ou que les présens articles ne soient observés, ils en feront leur rapport pour y être pourvu par le juge ordinaire, civil ou criminel, selon l'exigence du cas. Autant en feront ceux de Lyon.

« Art. 24. Item, ne pourront lesdits libraires vendre la feuille des livres de classe, latin de grosses lettres, sans commentaires ne grec, plus de trois deniers tournois, le grec plus de six, et autres livres de menue lettre, ou plus grand papier que celui de classe, au prorata. En sorte que advenant que lesdits libraires aient meilleur marché des journées et salaires des compagnons, seront tenus de diminuer le prix des livres, selon l'avis des recteur, doyens, maîtres et vingt-quatre libraires jurés de ladite université. »

Sur l'opposition des compagnons, quelques modifications furent apportées à ces règlemens par déclaration du 10 septembre 1572.

Quoique j'aie négligé d'indiquer les nombreuses ordonnances confirmatives des privilèges et immunités accordés aux libraires et imprimeurs, néanmoins il n'est peut-être pas inutile de citer la déclaration du dernier avril 1583; elle déclare inapplicable à l'art de l'imprimerie l'édit de création des métiers de décembre 1581. Au nombre des immunités, dont jouissait la librairie, était l'exemption de tous subsides, droits d'entrée, issue, péages et autres, sur les livres. Elle fut confirmée par arrêt du conseil, du 22 septembre 1587, rendu sur la plaidoirie de Marion (1). L'avocat reporte l'origine de cette immunité à l'édit de Louis XII, de 1513 : « Ordonnance, dit-il, digne d'être écrite en lettres dorées dedans l'émail du ciel, si la plume des hommes y pouvait atteindre.

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(1) Simon Marion, baron de Druy, né à Nevers, mourut à Paris, le 15 février 1605, à soixante-cinq ans. Avocat pendant trente-cinq ans, il devint ensuite président aux enquêtes, conseiller d'état, avocat-général. Ses plaidoyers, écrits avec toutes les digressions et toute l'emphase érudite de ce temps, ont été plusieurs fois réimprimés de 1594 à 1629. Bayle raconte

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