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RECUEIL GÉNÉRAL

DE

TRAITÉS

ET

AUTRES ACTES RELATIFS AUX RAPPORTS

DE DROIT INTERNATIONAL.

CONTINUATION DU GRAND RECUEIL

DE

G. FR. DE MARTENS

PAR

CHARLES SAMWER ET JULES HOPF.

DEUXIÈME SÉRIE.

TOME VI.

lère LIVRAISON.

GOTTINGUE,

LIBRAIRIE DE DIETERICH.

1881.

1.

GRÈCE, TURQUIE.

Protocoles des Conférences tenues à Prévéza, du 8 février (27 janv.) au 18 (6) mars 1879, pour la rectification des frontières de la Grèce.

Livre jaune 1879.

Protocole No. 1.

Séances des 27 janvier et 8 février 1879.

Sa Majesté le Roi des Hellènes et Sa Majesté l'Empereur des Ottomans, animés du désir de s'entendre sur la rectification des frontières entre la Grèce et la Turquie, conformément aux résolutions du Protocole No 13 du Congrès de Berlin*), ont décidé de nommer à cet effet Commissaires:

Sa Majesté le Roi des Hellènes: MM. Scharlato Soutzo, Général de Brigade, Commandant en chef de l'armée de la Grèce orientale; Georges Zinopoulo, Secrétaire général du Ministère de l'Intérieur, et Panos Colocotronis, Major d'artillerie, Aide de camp de Sa Majesté;

Sa Majesté l'Empereur des Ottomans: Son Excellence Ghazi Moukhtar Pacha, Maréchal de l'Empire, Chef de l'Etat-Major général et Commandant militaire de Janina, et Son Excellence Constant Pacha.

Lesquels, suivant l'indication de Son Excellence Ghazi Moukhtar Pacha, s'étant réunis à Prévéza, entrent en séance aujourd'hui samedi à 1 heure P. M. Au début de la séance, MM. les Commissaires de Sa Majesté le Roi donnent lecture de la déclaration suivante:

> Le Congrès de Berlin, dans sa treizième séance, a décidé que la Sublime Porte serait invitée à s'entendre avec la Grèce, pour une rectification des frontières en Thessalie et en Épire. Cette décision du Congrès, insérée dans le Protocole No 13, et sanctionnée par l'article XXIV du Traité de Berlin **), est formulée dans les termes suivants:

> Le Congrès invite la Sublime Porte à s'entendre avec la Grèce pour une rectification des frontières en Thessalie et en Épire, et est d'avis que cette rectification pourrait suivre la vallée de Salamyrias (ancien Peneus), sur le versant de la mer Égée, et celle de Kalamas, du côté de la mer Ionienne.

>En exécution des susdites résolutions du Congrès de Berlin, le Gouvernement de Sa Majesté Hellénique s'adressa, dès le 5/17 juillet 1878, à M. le Ministre de Turquie à Athènes pour provoquer de la part de la

*) V. N. R. G. 20 Série, III, 390. **) V. ibid. p. 449.

Sublime Porte la nomination de Commissaires ottomans, afin que, de concert avec ceux qui seraient désignés par le Gouvernement Royal, il fût procédé aux travaux de démarcation. En réponse à cette communication, Melik Effendi, Chargé d'affaires de Turquie à Athènes a, par sa lettre du 13/25 décembre dernier, notifié à Son Excellence M. le Ministre des Affaires étrangères de Grèce, par ordre du Gouvernement ottoman, que la Sublime Porte a désigné les Commissaires chargés de procéder, de concert avec les Délégués qui seront désignés pár lé Gouvernement hellénique, aux travaux de rectification des frontières entre les deux États.

> En conséquence de cet accord des deux Gouvernements sur le principe de la rectification des frontières entre les deux pays, conformément aux résolutions du Congrès de Berlin, les Commissaires grecs se croient autorisés à prier Son Excellence Ghazi Moukhtar Pacha et Son Excellence Constant Pacha, Commissaires du Gouvernement ottoman, de vouloir bien s'expliquer sur les points de démarcation qui, selon l'opinion de la Sublime Porte, répondraient aux indications dudit treizième Protocole du Congrès de Berlin.<<

Leurs Excellences les Commissaires ottomans, en réponse à cette déclaration, croient devoir faire observer à MM. les Commissaires helléniques, que la décision du Congrès à laquelle il est fait allusion, loin d'être irrévocable, est, en termes généraux, l'expression d'un voeu, dont la réalisation est subordonnée à l'entente des deux parties. Pour s'en convaincre, il suffirait de recourir au Protocole No 13 du Congrès, et surtout de se bien pénétrer de l'esprit du paragraphe suivant, sur lequel ils ont l'honneur d'attirer d'une façon toute particulière l'attention de MM. les Commissaires de Sa Majesté le Roi:

>> Le premier Plénipotentiaire de France croit devoir servir également les intérêts des deux pays en proposant au Congrès d'indiquer d'une manière générale, et sans porter atteinte à la Souveraineté de la Porte, les limites qu'il voudrait voir assignées à la Grèce. L'autorité de la haute Assemblée européenne donnerait aux deux Gouvernements, ottoman et grec, la force morale nécessaire, au premier pour consentir à des concessions opportunes, au second pour résister à des revendications exagérées. Mais pour atteindre ce but, Son Excellence pense qu'il faut, d'une part, ne point solliciter de la Porte des sacrifices impossibles, de l'autre, faire appel à la modération de la Grèce.<

Son Excellence M. Waddington n'a eu en vue, en faisant cette propo sition, que d'indiquer un moyen pour arriver à établir entre la Turquie et la Grèce une entente sincère, et à faire disparaître la méfiance qui caractérise les relations existant entre les deux États. Aussi M. le premier Plénipotentiaire de France, en faisant preuve d'une hauteur de vues auxquelles les Commissaires ottomans rendent toute justice, mais en faisant aussi abstraction des difficultés que l'on devait inévitablement rencontrer dans la pratique, s'est-il borné à tracer une ligne, qui ne constitue ni une obligation pour la Turquie, ni un engagement envers la Grèce. Une fois ce principe établi, ils ne peuvent s'empêcher de considérer les limites indiquées dans le Protocole plus haut cité comme inadmissibles, même au

point de vue des intentions du Congrès. Les sentiments qui animent la population du pays, sentiments dont ils se sont rendu compte dès leur arrivée à Prévéza, leur permettent d'affirmer qu'une rectification de frontières faite dans les conditions indiquées par M. le premier Plénipotentiaire de France à Berlin ouvrirait une ère de luttes implacables dans les Provinces que la Grèce revendique.

En dehors même de cette éventualité redoutable, il se produirait encore des inconvénients trop graves pour que l'on puisse à cet égard prendre aucune décision à la légère; ainsi l'Albanie, dont la population est composée d'éléments homogènes, se trouverait morcelée, et il est à prévoir que les Albanais, justement alarmés en voyant leur homogénéité ainsi entamée, considéreront leur nationalité menacée de disparaitre, et feront indubitablement des efforts énergiques pour la conserver intacte; partout des litiges continuels surgiront, par suite de cette nouvelle division politique, litiges qui donneront continuellement naissance à des complications et à des conflits entre la Turquie et la Grèce; en un mot, les bonnes relations que M. le premier Plénipotentiaire de France a eu en vue d'assurer, en faisant au Congrès la proposition de rectification, deviendraient impossibles.

Ne serait-ce donc pas aller à l'encontre des désirs de l'Europe que de faire passer sous la domination de la Grèce des populations qui renferment des éléments sur les sentiments desquels il n'y a plus à se faire illusion? Ce n'est donc qu'en ménageant le sentiment national des Albanais, et en évitant tout morcellement de leur territoire, qu'il serait possible d'arriver à une solution de nature à satisfaire les intérêts des deux États, et il serait de toute nécessité pour le Gouvernement hellénique de ne pas insister pour l'adoption de la ligne de démarcation indiquée par MM. les Plénipotentiaires de France au Congrès de Berlin, et d'en proposer une nouvelle, plus propre à servir de base à une entente entre la Sublime Porte et la Grèce.

Leurs Excellences les Commissaires ottomans s'en rapportent, à cet égard, à l'esprit de modération et de conciliation de MM. les Commissaires de Sa Majesté le Roi; ils s'en rapportent surtout à la connaissance que possèdent ces derniers des circonstances locales, que ne pouvait prendre en considération M. le Ministre des Affaires étrangères de France.

Du reste, Son Excellence M. Waddington, en proposant les limites que MM. les Commissaires hellènes semblent vouloir prendre comme base pour les négociations présentes, n'avait d'autre intention que d'indiquer le maximum des prétentions que la Grèce pourrait élever, et non d'imposer à la Sublime Porte une obligation, dans le sens strict du mot; donc MM. les Commissaires de Sa Majesté le Sultan, se basant sur les considérations développées plus haut, prient MM. leurs Collègues hellènes de modifier leur première manière de voir, pour formuler des prétentions plus en harmonie avec les exigences de la situation et aussi plus conformes au sens et à la portée des arguments émis par M. le premier Plénipotentiaire de France au Congrès, pour appuyer sa proposition de rectifier les frontières turco-grecques.

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