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quelques désordres ont pû être suscités par les mesures dont nous parlons, en faire un argument contre la loi que nous présentons, c'est ne pas tenir compte des circonstances importantes que je viens de rappeler et qui n'existent past dans nos colonies.

« L'intervention protectrice que nous établissons dans. nos colonies, ne sera pas exercée par des agents stipendiés, mais par des magistrats de l'ordre judiciaire dignes d'inspirer une égale confiance aux deux classes de la population coloniale.

<«< Les membres qui ont critiqué la loi ont dit: Vous allez agiter les colonies; vous allez y réduire les moyens de travail; vous jetez le désordre dans les ateliers d'une manière aveugle sans vous préoccuper s'il sera possible plus tard de les réorganiser.

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« Cette argumentation n'a qu'un but, c'est celui de faire croire que la production coloniale va être réduite, et que le commerce maritime souffrira de la loi c'est un expédient de discussion pour se concilier quelques organes des ports, en leur faisant supposer que les intérêts qu'ils représentent seront, comme ceux des colons, sacrifiés à quelques idées plus généreuses que rationnelles.

« Mais, Messieurs, l'expérience vient précisément démontrer que les craintes que l'on veut provoquer sont chimériques. L'expérience est faite; ce que nous vous proposons a été pratiqué : qu'on se reporte aux tableaux statistiques du mouvement commercial de l'Angleterre de 1823 à 1831, et de 1832 à 1838.

<«< En 1820, l'importation du sucre dans la Grande-Bretagne, était de 3,769,000 quintaux: Maurice n'est pas compris dans ce chiffre.

« En 1832, l'importation était de 3,784,000 quintaux. <«< Ainsi, on voit que pendant cette période, qui comprend celle des mesures préparatoires, il n'y a point eu réduction dans la production du sucre, et les navires marchands n'ont pas eu à subir une diminution dans l'aliment principal de leur fret.

<«< Allons plus loin : dans la période qui suit, dans celle de l'apprentissage anglais, le même fait se constate, et cependant l'apprentissage était un pas bien autrement décisif vers l'émancipation que celui que nous accomplissons aujourd'hui, puisque cinq ans après cette épreuve, la liberte était complètement acquise aux noirs. Eh bien! en 1838, époque où finissait l'apprentissage, l'importation du sucre en Angleterre est encore de 3,521,000 quintaux, toujours non compris la production de Maurice.

<< Ne croyons donc pas aux appréhensions qu'on élève au sujet du travail; l'expérience prouve qu'elles ne sont pas fondées.

« On ajoute: Mais quel est le but de votre loi ? Vous ne faites que régulariser ce qui existe?

<«< Un orateur représentant des colonies, dit qu'elle n'a d'autre valeur, n'a d'autre effet que de légaliser l'ordre de choses actuel.

« A cet égard, je demanderai que l'on veuille bien constater d'une manière plus exacte qu'on ne l'a fait jusqu'à présent l'état de nos colonies.

« La législation des colonies se compose du Code noir, ordonnance de 1685, des lettres-patentes de 1723, de l'ordonnance de 1786, et d'un grand nombre d'arrêtés du Gouvernement. Eh bien, Messieurs, si vous voulez rapprocher entre eux ces différents textes, examinez ces règlements et leurs dispositions, vous verrez l'incohérence qui existe entre eux, combien leurs obligations sont différentes, et divers les régimes qui doivent en résulter, quoiqu'ils soient destinés à régir un état commun à nos quatre grandes colonies; l'état de l'esclavage.

« Aux Antilles, le Code noir a prescrit pour la nourriture et l'entretien des esclaves les mêmes dispositions, mais, quoique généralement observées, elles ne le sont pas pour tous les planteurs. Il y a des personnes qui refusent aux noirs le jour libre, quoique la demande leur en soit faite, et qui préfèrent leur donner l'ordinaire; d'autres ne leur donnent que la moitié d'un jour pour compenser la nourriture; plu

sieurs cumulent la nourriture et les vêtements en échange du jour libre.

« A Cayenne, en place de la nourriture, on n'accorde qu'un jour par quinzaine; il est vrai que là le travail à la tâche existe, tandis qu'il n'existe pas dans nos autres colonies. Aux Antilles, on accorde assez généralement un jardin au noir, qu'il cultive à son profit; à Bourbon, cette concession n'est point faite, et les obligations relativement à la nourriture et à l'entretien y sont très-vaguement déterminées.

« Ces incohérences sont déplorables; il n'est pas possible de les laisser subsister plus longtemps. Dès l'instant qu'il entrait dans la pensée du Gouvernement d'améliorer le sort de l'esclave, il devait faire en sorte que partout sa condition fût à peu près la même. Les lettres-patentes de 1723, rendues pour Bourbon et l'Ile-de-France, n'ont pas reproduit toutes les dispositions de l'ordonnance de 1685, et l'ordonnance de 1786, inspirée par des sentiments de charité qui caractérisent le roi dont elle émane, n'a pas été exécutée dans toutes les colonies.

<< Mais si ces ordonnances sont tombées en désuétude, si leurs principales dispositions ne sont point observées, à qui faut-il s'en prendre? Au législateur du temps. Il a oublié d'y insérer des sanctions pénales, et vous savez que les meilleures lois, lorsqu'elles en sont dépourvues, manquent leur effet ou sont bientôt mises de côté. Les devoirs que ces ordonnances et règlements imposent aux maîtres sont impunément négligés; dans l'état actuel de la législation, nous n'avons aucun moyen de les contraindre. Avec la meilleure volonté du monde, de la part des magistrats et des autorités locales, ces prescriptions sont inefficaces pour le bien qu'elles se proposaient.

<< Dès le moment qu'il était question d'améliorer la situation de l'esclave, nous devions fortifier l'autorité et lui fournir des moyens de répression et de coercition contre les personnes qui désormais enfreindraient nos règlements. Ainsi, faire disparaître de fâcheuses incohérences dans l'ancienne législation, rendre générales celles de leurs dispositions les

plus bienfaisantes, et les imposer à l'observation de tous par des pénalités corrélatives à chacune d'elles, tel est un des buts importants de la loi.

« Une amélioration non moins grande, introduite par la nouvelle loi, est celle relative au mariage. Jusqu'à présent, vous le savez, les esclaves se sont mariés devant le prêtre, mais cette union n'a point d'effets civils. Le maire n'intervient pas. A quoi servirait cette intervention? Le noir non libre, devant la loi actuelle, ne possède point, et ne peut léguer à ses enfants. Il n'est pas une personne civile; il est une chose. Nous le relevons de cet abaissement. La conséquence logique est donc que désormais le mariage non-seulement soit consacré par l'officier civil comme il l'est par le prêtre, mais aussi qu'il donne naissance à tous les droits de la famille,

<< Puisque nous voulons préparer un ordre de choses nouveau, notre premier soin doit être de créer la famille ; la famille est la principale base de tout ordre social. Ce n'est donc pas une prescription de peu de valeur que celle que nous avons insérée dans la loi, et qui a pour but de multiplier les unions légitimes et d'assurer à ceux qui les formeront, tous les effets de notre législation civile sur le mariage.

«Mais pour apprécier tous les bienfaits de la loi, il faut se rendre compte de ce que seront le pécule et le rachat forcé. A l'occasion de ces deux conditions nouvelles de l'état de l'esclavage, nous avons entendu des opinions bien opposées ! Les uns nous ont dit que nous faisions une énormité qui allait amener l'émancipation des noirs sans indemnité ; les autres nous ont dit que nous ne faisions rien, si ce n'est présenter un leurre aux malheureuses victimes de l'esclavage.

<< Messieurs, ce n'est pas peu de chose que de faire que le noir possède par son propre droit et non par le seul fait de la tolérance de son maître. Cette possession pour lui est d'autant plus précieuse, qu'il peut léguer à ses enfants ce qu'il a, qu'il peut en faire un moyen de libération pour lui

ou pour eux. Le pécule et le rachat forcé sont deux dispositions qui se prêtent un mutuel appui. Le rachat est possible, parce que le pécule est consacré par la loi; le pécule a une valeur d'autant plus grande, qu'avec l'ordre et le travail, il devient pour l'esclave le moyen de son affranchissement. On fait des calculs plus ou moins ingénieux, mais que je crois faux, pour démontrer qu'il faudra la vie d'un homme pour amasser la somme nécessaire pour effectuer le rachat. Mais cette assertion n'est-elle pas réfutée par les colons qui s'écrient qu'ils vont perdre un grand nombre de travailleurs? Il y a certainement exagération des deux côtés. Non, la stipulation du rachat n'est pas illusoire; un certain nombre d'ouvriers patients, économes et laborieux, parviendront à se racheter. Mais lorsqu'ils le feront, ils auront contracté des habitudes de bonne conduite et de travail; d'ailleurs, par le système de notre loi, ils seront obligés de contracter pendant cinq ans un engagement sous le régime du salaire.

« Outre les noirs attachés aux habitations rurales, il ne faut pas perdre de vue qu'il existe des esclaves de ville. Ceux-là ont des états; ils sont forgerons, maçons, fermiers. Ils peuvent gagner beaucoup plus que ce qu'ils sont tenus de rapporter par semaine ou par jour à leur maître. Plusieurs d'entre eux possèdent déjà des pécules considérables; presque tous peuvent assez rapidement arriver à acquérir ce qui leur est nécessaire pour se racheter. Croyez-vous donc que pour cette catégorie de noirs la loi ne soit pas un grand bienfait? Croyezvous que ceux qui, même à présent, offrent inutilement à leurs maîtres des sommes très-importantes pour se libérer, ne vous béniront pas d'avoir brisé leur chaîne? Ah! soyez convaincus, messieurs, que déjà la loi fait un assez grand nombre d'hommes libres pour mériter vos suffrages. La législation nouvelle se complète par des dispositions pénales qui manquaient à l'ancienne. Désormais plus de lacunes à cet égard.

« Lorsque le maître n'exécutera pas ses obligations relativement à la nourriture, à l'entretien de ses esclaves; quand il leur refusera le moyen de former leur pécule, ou qu'il

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