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On ne conçoit guère que la chose puisse se faire autrement. Qu'est-ce en effet qu'un jugement? l'application de la loi à un fait.

Quelle application peut-il y avoir, tant que le fait n'est pas déterminé ?

Déterminé par les parties elles-mêmes, si elles sont d'accord sur le fait, mais non sur la loi; déterminé, à défaut des parties, par les Jurés ou les Juges de fait, sous les législations qui les admettent; déterminé enfin par les Juges eux-mêmes, sous les législations où les fonctions de Juge de fait et celles de Juge de droit sont cumulées.

Cette opposition au vœu de la majorité, que nous avons vu découler des questions complexes, se manifeste plus particulièrement lorsque celles-ci embrassent le fait et le droit. Sur la question, la demande estelle fondée ? on réunira en effet, et le Juge qui croit le fait sûr et le droit douteux, et le Juge qui croit le fait douteux et le droit certain, quoiqu'ils diffèrent du tout

au tout.

On ne saurait dissimuler, quant à la question de droit, l'influence de l'opinion personnelle du Juge sur le fait. On peut craindre, avec quelque fondement, qu'il ne soit disposé à disputer, à subtiliser sur l'application de la loi à un fait admis, malgré lui, pour constant.

Cet inconvénient est réel. Il est inhérent au système de la cumulation des fonctions de Juge du droit et de celles de Juge du fait. Il ne peut être entièrement levé que par leur séparation. Il sera du moins affaibli sensiblement, si nos Juges se pénètrent de l'importance de leurs doubles fonctions, de la nécessité de n'en point confondre l'exercice, de l'obligation que leur serment leur impose de répondre sur le fait, d'après leur conviction intime, en faisant abstraction du droit; et sur le droit, d'après la loi, en faisant abstraction du fait; s'ils se pénètrent de l'idée que hors de là il n'y a plus qu'incertitude et qu'arbitraire.

Une grande amélioration résultera de l'observation stricte et franche des règles ci-dessus.

La marche des Juges étant mieux assurée contre les chances d'erreur, il y aura moins de mauvais jugemens, et aussi moins d'appels.

Ce devoir du Juge de décomposer la cause en ses élémens, réfléchira sur la plaidoirie elle-même. Les Avocats étudieront leur cause dans ce sens ; ils prendront l'initiative de cette décomposition; ils en prépareront et fourniront les moyens ; ils reconnaîtront le besoin de la méthode; ils s'habitueront forcément à plus d'ordre et de précision.

Et ces procès, dont tout l'espoir de succès reposait sur la confusion, cesseront d'être défendables, alors que l'analyse, qui présidera à la position des questions, en mettra seule à nu la faiblesse et l'injustice (1).

Les articles 107 et 108 déterminent les objets que doit contenir la rédaction d'un jugement.

La loi française du 24 Août 1790 (Tit. v, art. 15), avait fixé des règles assez sages sur ce sujet.

Mais la rédaction des jugemens qui, dans l'intention du législateur, appartenait aux Juges, fut généralement abandonnée àux Greffiers et aux défenseurs des parties, du moins pour tout ce qui ne concernait pas le dispositif, et le besoin de faire des rôles étendit bientôt cette rédaction outre mesure, en grossissant les jugemens d'une foule de superfluités, sans que l'exposition des faits et des moyens en fût plus fidèle.

Quelle fidélité, quelle impartialité avait-on le droit d'attendre d'un défenseur, laissé, sans contrôle de la partie adverse, le maître de cette exposition?

Le Code de Procédure maintint aux Avoués la prérogative de rédiger les qualités des jugemens, contenant outre la désignation et les conclusions des parties, les points de fait et de droit du procès. Il introduisit l'obli

(1) L'art. 104 sera-t-il d'une exécution aisée? On l'a mis en doute. En donnant quelque développement à ses dispositions, on lèvera peut-être les difficultés qu'on craint. Si on n'y parvient pas, que conclurons-nous? l'abandon des règles posées? non, leur certitude est évidente; mais le vice de l'institution chargée de les appliquer. (Note de la re édit.)

gation de les signifier à l'Avoué de l'adversaire, la faculté d'y former opposition dans vingt-quatre heures, et un mode particulier pour vider le nouveau procès auquel cette opposition donnait lieu (1).

Un grand nombre de Cours d'appel (2) signalèrent les vices de ces systèmes. L'expérience a ajouté un nouveau poids à leurs objections.

Toutes ces dispositions du Code de Procédure sont en effet, tantôt inutiles, tantôt dangereuses, souvent inexécutables, toujours onéreuses.

Inutiles, si l'Avoué rédacteur se borne à consigner dans les qualités ce que les pièces et les écritures contiennent déjà.

Dangereuses, s'il va plus loin; si, par erreur ou à dessein, il y insère une exposition infidèle, à laquelle l'inattention, le silence de l'Avoué adverse, après un simple délai de vingt-quatre heures, vont imprimer le caractère d'un contrat judiciaire.

Inexécutables, si quelque intervalle s'étant écoulé dès la prononciation du jugement, les Avoués, les Juges qui l'ont obtenu ou rendu, ont cessé d'exercer leurs fonctions.

Onéreuses, par les frais et les délais que ces formalités entraînent. Elles entent procès sur procès.

Nous n'avons point hésité à les abandonner. L'article 107 de la loi nouvelle distingue, dans la rédaction du jugement, deux parties; l'une, l'œuvre des plaideurs, de leurs Avocats ou Procureurs, comprend leur désignation et leurs conclusions, telles qu'elles auront été remises lors de la plaidoirie, avant la prononciation du jugement (Art. 57, 87, 88); l'autre, l'œuvre des Juges, embrasse les questions de fait et de droit posées et résolues par eux, les motifs de leur décision, et le dispositif.

(4) Voyez les articles 142 à 143 du Code de Procédure.

(2) Les Cours d'appel d'Aix, de Bordeaux, de Colmar, de Dijon, de Grenoble, de Nancy, de Nimes, d'Orléans, de Rennes, et le Procureur-général de la Cour d'appel de Douai.

Les conclusions du ministère public formeront, dans les cas où elles sont requises, une troisième partie dont la rédaction appartient au membre du parquet qui a porté la parole.

Enfin l'article 108 exige que cette rédaction contienne les aveux, déclarations, offres, acquiescemens et désistemens faits à l'audience, et dont le tribunal aura donné acte.

Le travail du Greffier se bornera à réunir, à transcrire littéralement ces élémens de la rédaction du jugement.

Malgré la simplicité à laquelle nous réduisons cette rédaction, le nombre et la nature des objets que nous exigeons ne nous permettent, sous aucun rapport, de partager la crainte manifestée, que les Juges d'appel, les parties elles-mêmes, après un certain laps de temps, cessent d'y reconnaître le point du litige.

Une observation n'échappera pas ici. Les qualités actuellement rédigées par les Avoués, contiennent la copie ou l'extrait des pièces et des écritures produites, et rien de ce qui s'est passé à l'audience, rien de ce qui étant oral est nécessairement fugitif, tandis que nous écartons au contraire tout ce qui est déjà écrit pour n'admettre que le résultat utile de la discussion orale (1).

TITRE X.

DES DÉPENS.

ART. 114. Tout jugement, même sur incident, condamnera aux dépens la partie qui succombera. [Voyez Arrêts, no 37.]

ART. 115. S'il y a plusieurs parties condamnées, les dépens se

(1) Nous renvoyons à la suite du Tit. XXIII de l'appel, les détails de statistique judiciaire qui se rapportent au Titre des Jugemens. (Note de la 2e édit.)

partageront entre elles par tête ou à raison de leur intérêt dans la contestation.

ART. 116. Lorsque plusieurs parties seront condamnées pour cause de violence, de fraude, ou d'obligation solidaire, les dépens seront adjugés contre elles avec solidarité.

ART. 117. Si les parties succombent respectivement sur quelques chefs, les dépens seront compensés ou supportés entre elles dans la proportion que les Juges fixeront. [Voyez Arrêts, no 38 à 40.]

ART. 118. Les Juges pourront toujours compenser les dépens entre époux, ascendans et descendans, frères et sœurs, alliés aux mêmes degrés, et associés.

ART. 119. Les tuteurs, curateurs, et autres administrateurs, qui, dans une cause, ont compromis les intérêts de leur administration, pourront être condamnés aux dépens personnellement et sans répétition.

ART. 120. Les Juges pourront accorder la distraction des dépens au profit des Procureurs (1) qui affirmeront, lors de la prononciation du jugement, que ces dépens leur sont dus.

ART. 121. Les dépens comprendront,

1o Les droits du fisc;

2o Les émolumens des Greffiers, Procureurs et Huissiers réglés conformémeut au tarif (2);

3o L'indemnité des témoins et des experts (Art 200 et 220);

4° Les frais de voyage et de séjour des parties, lorsque le voyage aura été fait dans la seule vue du procès.

Les honoraires des Avocats (3) n'entreront point dans les dépens; ils seront pris en considération, lorsqu'il y aura lieu d'adjuger des dommages-intérêts. (Art. 751 et 752.)

ART. 122. L'état des dépens sera dressé et signé par le Procureur (4) de la partie qui les aura obtenus.

Il sera remis au greffe avec les pièces justificatives.

Les déboursés et l'émolument y seront exprimés séparément. ART. 123. Dans les causes où il n'aura point été constitué de Pro- ' cureur (5), l'état des dépens sera dressé par le Greffier.

ART. 124. L'état des dépens sera vérifié, arrêté et signé par le Président ou le Juge qu'il commettra.

Il sera annexé à la minute du jugement, et transcrit à la suite de l'expédition exécutoire. (Art. 110.)

(1) Ou Avocats. Loi du 20 Juin 1834, art. 7.

(2) Art. 128 de la Loi judiciaire du 15 Février 1816, modifiée le 3 Décembre 1832. Art. 7, 16, 17 et 23 Loi sur les Avocats, Procureurs et Huissiers, du 20 Juin 1834.

(3) Art. 10 Loi du 20 Juin 1834.

(4) Ou Avocat représentant la partie. Loi du 20 Juin 1834, art. 7. (5) Idem.

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