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Quelles conséquences tirerons-nous de ces principes?

Les voici :

1°. Puisque l'administration de la justice civile est une institution dont profitent également tous les citoyens, la charge doit en être commune, et acquittée sur les fonds destinés aux dépenses générales de la société.

2o. Puisque les plaideurs ne profitent pas de cette institution plus que les autres citoyens, on ne saurait sans injustice leur faire payer une portion plus forte de la dépense qu'elle exige, moins encore en rejeter sur eux seuls leffardeau, et moins encore les gréver en sus d'un impôt applicable à des services étrangers à l'administration de la justice civile.

On a cherché à justifier les droits fiscaux, dont on accable partout les plaideurs, en les considérant comme un moyen d'écarter la chicane, comme une peine infligée à la mauvaise foi qui succombe.

Sans doute des frais de justice élevés préviendront plusieurs procès, éloigneront plusieurs plaideurs. Mais quels seront ces procès, quels seront ces plaideurs? Nous n'hésitons pas à le soutenir, plus de demandes justes que de prétentions injustes, plus de plaideurs de bonne foi que de plaideurs de mauvaise foi.

Nous avons fait à Genève l'expérience de deux systêmes opposés. Avant 1798 le fisc n'apportait aucune entrave à l'accès de la justice; jamais trésor public ne reçut moins des plaideurs. A cet ordre de choses notre réunion à la France substitua le règne de la fiscalité; des droits énormes de toute espèce vinrent fondre sur les plaideurs. Qu'on ouvre les registres de ces deux époques, qu'on en compare les résultats, qu'on nous dise sous lequel de ces différens régimes la chicane s'est le plus exercée, sous lequel elle s'est déployée avec plus d'audace et de scandale?

Loin que les frais contiennent, rebutent l'esprit processif, nous avons vu le plaideur, semblable au joueur dont la fureur s'accroît en proportion de l'objet du jeu ou du pari, s'exciter, s'animer par l'énormité même des ta

xes judiciaires. Nous avons vu la prétention la plus insignifiante, la plus puérile, devenir un procès où les frais dépassaient dix, cent fois l'objet de la demande, et un chétif terrain être disputé avec une telle ardeur, que l'argent dépensé par les parties eût pu en couvrir la surface. Mais si l'énormité des frais ne décourage, n'arrête que la bonne foi, elle est toute en faveur de la mauvaise foi, dont elle assure l'impunité; elle va à fin contraire, elle opère comme prime d'encouragement.

Que de sagesse dans une mesure qui ferme les tribunaux à tous ceux qui ne sont pas assez riches pour se les faire ouvrir! Que de convenance à une peine qui frappe aveuglément et sans distinction le plaideur malheureux, victime de l'obscurité de la loi ou de l'imprévoyance du législateur, et le plaideur téméraire armé de fraude et de mensonge! Quelle admirable équité, que celle qui inflige à la partie lésée elle-même la peine que l'insolvabilité de la partie coupable ne permet pas de lui faire subir!

Nous osons croire que, pour réprimer et punir la chicane, il est des moyens plus assurés et plus justes (1). Passons aux dispositions de nos lois fiscales, en ce qui touche l'administration de la justice civile.

Les lois françaises, sur cette matière, sont restées en vigueur dans le Canton jusqu'au 1 Juillet 1816, où elles furent remplacées par la loi du 13 Juin précédent.

Les Conseils apportèrent par cette loi de grands adoucissemens au régime fiscal. Ils supprimèrent en entier ces droits de greffe qui se répartissaient suivant l'espèce des actes, à raison de un à trois dixièmes pour les Greffiers, et de sept à neuf dixièmes pour le trésor public. Ils réduisirent les droits de timbre et d'enregistrement.

(1) Les vérités que nous essayâmes d'établir dans cette partie de notre rapport, se trouvent développées avec une évidence à laquelle on ne saurait résister, dans une brochure de Bentham, intitulée Protest against Law taxes, dont M. Dumont a donné un excellent extrait dans la Bibliothèque universelle, en Février 1820, pag. 128. (Note de la première édition.)

Ils cherchèrent surtout à soustraire le pauvre à ce fardeau. Ils mirent un terme à ce honteux spectacle d'un fisc dévorant, entrant en part avec de malheureux créanciers, sur le produit des débris du mobilier, des hardes d'un débiteur insolvable. Nous fìmes un pas sensible vers un système d'amélioration.

[[Les lois de finances annuelles, postérieures à celle du 13 Juin 1816, contiennent presque toutes quelques dispositions tendant à diminuer, en faveur des plaideurs malheureux, la charge des impôts judiciaires de l'enregistrement et du timbre. Ainsi celle du 12 Avril 1817 réduisit le droit d'enregistrement des jugemens; celle du 17 Mars 1821, augmenta le nombre des actes à enregistrer gratis ou dispensés d'enregistrement. Celles des 30 Mars 1829 et 26 Mars 1830, changèrent le droit proportionnel sur les sommes montant des condamnations judiciaires, en un droit fixe de deux florins (94 centimes) jusqu'à 2,500 florins (1,153 francs 85 centimes). Le droit proportionnel ne se paie que sur les sommes excédantes; les saisies furent enregistrées gratis, et les jugemens du tribunal du Président civil exemptés de timbre. La loi du 30 Mars 1831 exempta d'enregistrement et de timbre les actes relatifs aux interdictions et conseils judiciaires, et permit de produire en justice les actes sous seing-privé non enregistrés. Enfin celle du 21 Mars 1834 diminua encore le droit proportionnel sur les condamnations judiciaires, réduisit de moitié le coût du papier timbré destiné aux expéditions délivrées par les Greffiers, et exempta de timbre les saisies mobilières et celles de fruits pendans par racines, etc. ]]

Le produit des taxes judiciaires avait fourni, sous le régime français, à la dépense totale de l'administration de la justice civile, et présenté un très-fort excédant, employé à d'autres parties du service public.

Les plaideurs furent soulagés de cet excédant. Les réductions qui furent faites semblent avoir été calculées

pour que le produit des taxes couvre la dépense de la justice civile, sans la dépasser. En effet, d'une part, nous pouvons estimer la dépense du trésor public, pour l'administration de la justice civile, à environ 43,800 florins, soit à la moitié de la somme qui figure annuellement au Budget cantonal pour la dépense totale de l'ordre judiciaire, tant au criminel qu'au civil; et d'autre part, d'après une moyenne prise sur les trois dernières années, nous nous tromperons peu en évaluant à 40,000 florins le produit annuel des droits de timbre et d'enregistrement sur les actes judiciaires.

[[Nous avons eu sous les yeux les comptes détaillés de la direction de l'enregistrement pour les années 1830, 1831, 1833, 1834 et 1835, années postérieures aux fortes réductions d'enregistrement judiciaires faites par les lois ci-dessus citées, mais où d'autres part le nombre des procès a été très-considérable. Il en résulte que pendant ces cinq ans le coût total d'enregistrement des exploits d'huissiers a été de 27,894 florins 4 sous, et que celui de l'enregistrement des actes des tribunaux (non compris le droit proportionnel sur les ventes forcées, qui n'est autre que le droit de mutation ordinaire) s'est élevé à 46,465 florins 5 sous; total 74,359 florins 9 sous, soit moyenne annuelle 14,871 florins 10 sous pour l'enregistrement judiciaire. Comme pendant ce temps il a été porté devant les divers tribunaux civils du Canton 14,712 causes de toute nature, il en résulte que chaque cause ne rapporte en moyenne à l'Etat que 3 florins 1 sous 10 deniers (1 franc 45 centimes) de droit d'enregis

trement.

Resterait maintenant à savoir pour combien la justice civile entre dans l'impôt du timbre. Pendant les cinq années susdites, le timbre de dimension, qui est le seul employé en matière judiciaire, a rapporté en moyenne 37,617 florins 3 sous. Comme le papier timbré représenté par cette valeur sert non-seulement aux actes judiciaires, mais encore aux transactions entre particuliers,

aux actes notariés, etc., il ne nous est pas possible de connaître avec exactitude quelle est la part de cet impôt qui peut être considérée comme supportée par les plaideurs. Toutefois, si nous supposons que la justice civile consomme la moitié du papier timbré débité, nous aurons pour l'impôt total payé par les justiciables 33 à 34,000 florins par an, résultat qui présente une notable diminution sur les calculs faits par M. Bellot il y a seize ans, quoique dès-lors le nombre absolu des procès ait notablement augmenté. ]]

Si nous rapprochons ce résultat de celui qu'offrent la France, l'Angleterre, la plupart des pays de l'Europe, où l'exploitation de la justice civile forme une branche importante de revenu public, dont le produit surpasse de beaucoup la dépense, notre sort est sans doute digne d'envie.

Mais si nous rapprochons ce même résultat de celui de notre ancien état judiciaire, qui ne coûtait aux plaideurs que 5,500 florins, savoir 3,900 florins pour épices des Juges et 1,600 florins pour droit sur les greffes; si nous nous pénétrons de la vérité des observations présentées plus haut, nous reconnaîtrons qu'il nous reste encore quelque chose à faire pour que le bienfait de la simplification des formes soit entier.

TITRE XI.

DU DÉFAUT ET DE L'OPPOSITION.

SECTION I.

DU DÉFAUT.

ART. 129. Défaut sera prononcé,

1o° Contre la partie qui, à l'audience indiquée par l'exploit d'a

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