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qu'elle était conséquente sous cette doctrine des preuves légales, qu'une fausse interprétation du Droit romain, et plus encore l'instruction écrite, avaient rendue générale.

Deux témoins uniformes (1) étaient forcément crus, quelque suspecte, quelque invraisemblable que parût leur déposition. La conscience du Juge devait se taire et céder à leur affirmation. Le témoin se trouvait ainsi le véritable et le seul juge. Il n'y avait donc rien que de raisonnable à exiger qu'il en réunît les qualités.

Ce système des preuves légales, que les Codes français ont expressément banni du criminel, l'ont-ils maintenu au civil? C'est une question qu'aucun texte ne décide, et sur laquelle on est réduit à de simples inductions.

Il nous a paru indispensable de ne laisser, sur un point aussi important, aucune espèce d'incertitude. Nous avons transporté au civil les règles suivies au criminel (Art. 190). L'office du Juge ne consistera plus seulement à compter les témoignages, mais à les peser, et à apprécier toutes les circonstances propres à corroborer ou à affaiblir le degré de crédibilité qui leur est dû. C'est à sa conscience que nous nous en remettons, des moyens qui auront formé sa conviction (2).

(1) On a été jusqu'à fixer le degré respectif de confiance dù aux témoins de chaque sexe. Le témoignage de deux femmes ou filles devait servir autant et ni plus ni moins que celui d'un homme, et celui de quatre femmes ou filles autant que celui de deux hommes. C'est, entr'autres statuts, dans ceux du Pays de Vaud, que je trouve cette distinction absurde, plus humiliante pour le législateur que pour le sexe qui en était l'objet. (Note de la 15e édition.)

(2) Ces règles ne sont point nouvelles, elles ne sont que le retour à la jurisprudence classique de Rome. Toute cette partie de notre Rapport, u'est que l'exposition de la Loi 3 au Digeste De testibus. Le jurisconsulte résume les conditions, les circonstances diverses qui doivent fonder la confiance du Juge dans le témoin. A l'appui de sa doctrine, il invoque le texte même des instructions d'Adrien aux magistrats de ses provinces. A celui-ci l'Empereur écrivait : « Tu magis scire potes, • quanta fides habenda sit testibus : qui, et cujus dignitatis, et cujus æstimationis sint: et qui simpliciter visi sint dicere, utrum unum eumdemque meditatum ⚫ sermonem attulerint; an ad ea quæ interrogaveras, ex tempore verisimilia res¬ ⚫ ponderint. — A celui-là : « Quæ argumenta ad quem modum probandæ cuique • rei sufficiant, nullo certo modo satis definiri potest;.... Hoc ergo solum tibi res⚫cribere possum summatim, non utique ad unam probationis speciem cognitionem ⚫ statim alligari debere: sed ex sententia animi tui te æstimare oportere quid aut • credas aut parum probatum tibi opinaris. » — A cet autre, c'est l'autorité de sa propre pratique que l'Empereur apporte à l'appui de la proposition, que c'est le

Mais dès lors le motif des exclusions cessait. Aussi avons-nous écarté également, et la règle si large de nos Edits, et les dispositions plus restreintes du Code de Procédure, pour nous borner à la seule exclusion des parens et des alliés jusqu'au degré d'oncle et de neveu.

Au surplus, toutes ces règles sur les exclusions et les reproches des témoins, ne reposaient que sur des caractères extérieurs, bien souvent trompeurs. Ce témoin était cousin issu de germain de l'une des parties; mais il ne la connaissait pas même. Il était maître, commensal, associé, mais l'homme le plus estimé, le plus véridique. Il était créancier ou débiteur, mais d'une somme trop faible pour exercer la moindre influence sur l'homme le plus dépravé, etc.

Et à côté de ces nombreuses catégories d'exclusions, que d'intérêts et de relations avaient été omis, soit par imprévoyance, soit par impossibilité de les saisir ! Le lien qu'établit l'amitié, une religion commune, l'esprit de parti, n'est-il pas souvent plus étroit, et son influence plus forte, que celui d'une parenté ou d'une alliance éloignée?

Il est peu de sujets où l'on se soit plus mépris que sur celui qui nous occupe.

Comme s'il était libre aux parties de choisir les témoins des faits qu'elles ont besoin de prouver, non-seulement on a multiplié les causes de reproches, mais on est allé jusqu'à faire de l'exclusion du témoignage une peine d'une nature nouvelle.

Ainsi le Code pénal français déclare indigne à jamais de déposer en justice, tout condamné à une peine afflic

témoin et non sa déposition écrite qu'il faut croire: « Quod crimina objecerit apud ⚫ me Alexander Apro, et quia non probabat nec testes producebat, sed testimoniis • uti volebat, quibus apud me locus non est, nam ipsos interrogare soleo, etc. etc. » — Enfin c'est dans le même esprit qu'il adresse à un quatrième ces paroles pleines de sens: Alia est auctoritas præsentium lestium, alia testimoniorum quæ recitari solent, etc. Et c'est avec de tels textes sous les yeux que les tribunaux, dans les pays mêmes le plus aveuglément soumis au Droit romain, ont substitué à une doctrine aussi pure, le système monstrueux des enquêtes écrites et des preuves légales! (Note de la 1re édition.)

tive ou infamante; il va plus loin, il autorise les tribunaux à prononcer, dans certains délits de police correctionnelle, par exemple, contre celui qui aura tenu une loterie non autorisée par la loi (1), l'interdiction à temps, pour cinq à dix ans, du droit de témoigner en justice. Si c'est là une peine, elle est étrange; ce n'est pas le coupable qu'elle atteint, c'est celui auquel son témoignage est nécessaire. Pour le premier, c'est un privilége (2).

Nous avons considéré, dans tout le titre qui nous occupe, le témoignage moins comme un droit civil, ainsi que le fait le Code pénal, que comme, ce qu'il est réellement, une obligation, un devoir, une charge que la société impose à ses membres. C'est sous ce rapport que nous avons renforcé les peines contre les témoins qui se refusent à comparaître et à déposer. (Art. 182 à 184, et 204 à 206.)

Obtenir d'un témoin qu'il ne comparaisse pas, qu'il se taise, est un genre de subornation, dont l'effet serait d'autant plus étendu et plus fàcheux, qu'en y cédant, on ne s'expose ni à la honte du mensonge, ni aux peines du parjure. Nous en déjouons le projet par les moyens de contrainte que nous donnons aux Juges pour vaincre la résistance et le silence du témoin.

Des innovations importantes, au point de constituer, sur l'enquête par témoins, un système entièrement opposé à celui qu'une pratique de plusieurs siècles avait introduit et maintenu au civil, exigeaient que nous donnassions à nos motifs le développement nécessaire pour faire comprendre et pour justifier les dispositions nouvelles de notre loi. Les titres suivans ne demanderont pas la même étendue.

(1) Art. 28, 42, 410. Nous verrons disparaître ces dispositions absurdes, dans les lois pénales dont le travail se prépare, et avec elles l'opposition qu'offriront momentanément le système de notre procédure civile et celui de nos lois crimi(Note de la re édition.)

nelles.

(2) Ceux qui voudraient une réfutation complète de cette doctrine de l'exclusion de la faculté de témoigner en justice, peuvent consulter la Théorie des peines,etc. de Bentham. Liv. IV: Des peines déplacées. Inadmissibilité à témoigner. me édit. Tom. I, pag. 440. (Note de la 1e édition.)

TITRE XVI.

DES EXPERTS.

ART. 214. Lorsque les Juges ordonneront un avis d'experts, ils désigneront les experts et les objets sur lesquels leur avis doit être donné. [Voyez Arrêts, no 73. ]

ART. 215. Les experts seront nommés d'office, à moins que les parties ne s'accordent de suite à l'audience sur cette nomination. ART. 216. Les experts seront au nombre de trois.

Toutefois si les parties y consentent, ou s'il s'agit d'objets de peu de valeur, il n'en sera nommé qu'un seul.

ART. 217. Les experts pourront être récusés pour cause postérieure à leur nomination.

Ils pourront l'être aussi pour cause antérieure, lorsqu'ils auront été nommés d'office.

Dans ce dernier cas la récusation ne sera pas recevable, si elle n'est proposée dans les trois jours de la nomination.

ART. 218. Les causes de récusation seront les mêmes que pour les Juges (1).

ART. 219. Elles seront proposées et jugées à l'audience, parties présentes ou citées.

ART. 220. Les experts seront appelés à l'audience comme les témoins. (Art. 181.)

Leur défaut de comparution et leur refus de donner leur avis entraîneront les mêmes peines, sauf l'emprisonnement. (Art. 182, 183 et 204.)

Leur indemnité sera fixée dans la même forme. (Art. 200.)

ART. 221. Si l'objet de l'expertise est de nature à ce que les experts puissent immédiatement donner leur avis, ils seront entendus de suite à l'audience, séparément, dans l'ordre réglé par le Président et de la manière prescrite pour les témoins par les articles 193, 194, 196, 197, 198 et 199.

ART. 222. Si l'expertise ordonnée exige la vue des lieux ou tout autre examen préalable, le tribunal fera prêter aux experts, dans la forme prescrite par l'article 194, le serment de bien et fidèlement remplir leur mission.

(4) Loi judiciaire du 13 Février 1816, modifiée le 5 Décembre 1832, Titre VIII, des Récusations.

Il déterminera l'audience où sera reçu leur rapport, et s'il sera verbal ou écrit.

ART. 223. Si le tribunal ordonne un rapport verbal, la déclaration des experts sera reçue à l'audience comme dans l'art. 221. ART. 224. Si le tribunal ordonne un rapport écrit, les experts le dresseront après en avoir conféré entre eux.

Le rapport énoncera leur avis motivé, et, en cas de diversité d'opinions, celui de chacun d'eux.

Il sera daté, écrit par l'un des experts et signé par tous. L'expert, qui ne partagera pas l'avis de la majorité, pourra écrire lui-même dans le rapport son opinion individuele.

ART. 225. Si les experts ne savent pas tous écrire, ou, si aucun d'eux ne peut rédiger un rapport, le tribunal commettra pour l'écrire, et, au besoin, pour assister les experts, un de ses membres, un Auditeur, ou le Maire de la commune.

En ce cas le rapport sera signé par le magistrat qui l'aura écrit et par ceux des experts qui sauront signer.

ART. 226. Le rapport sera déposé au greffe par l'un des experts ou par le magistrat qui l'aura écrit.

Le Greffier constatera le dépôt en faisant mention, sur le rapport, du jour où il lui aura été remis.

Cette mention sera signée par lui et par le déposant, s'il sait signer.

ART. 227. A l'audience fixée pour recevoir l'avis des experts, le Greffier fera lecture du rapport déposé.

Les Juges pourront ordonner la comparution des experts à l'audience, pour obtenir de leur bouche les renseignemens propres à éclaircir leur rapport écrit.

ART. 228. Si les Juges ne sont pas suffisamment éclairés par un premier rapport d'experts, ils pourront en donner un second par les mêmes ou de nouveaux experts. [Voyez Arrêts, no 74 et 75.]

ARRÊTS.

Article 214.

[N° 73.]

BORNAGE. PROPRIÉTÉ CONTESTÉE.

ACTION NON RECEVABLE.

1. L'expertise aux fins de bornage ne peut être ordonnée, que lorsque les limites des propriétés contiguës ne sont pas contestées, ou après décision du litige. (C. Civ. 646, 1515; L. Proc. 214.)

2. L'action en bornage ayant son fondement dans la loi, on peut bien déclarer non recevable en l'état celui qui ne justifie pas de l'étendue de sa propriété: mais on ne peut l'en débouter, à moins que les propriétés contigues dont s'agit ne soient déjà bornées.

Comte contre Demoiselle Gavairon.

Fait. Les frères Comte demandent à la demoiselle Gavairon le bornage de leurs cours respectives, lequel aura lieu d'après une ligne qu'ils

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