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pourraient faire aucunes dispositions qui tendraient à diminuer soit la faveur, soit l'efficacité des compromis. Cette Assemblée et les deux suivantes furent fidèles à ce principe. Le système de l'arbitrage avait la faveur du

moment.

Des décrets successifs dépouillèrent les tribunaux de leurs plus importantes attributions, pour en revêtir les arbitres. Cette même Loi du 24 Août 1790 confia à des arbitres pris parmi les parens, amis ou voisins des parties, la décision des contestations entre mari et femme, père et fils, grand'père et petit-fils, frères et sœurs, oncles et neveux, alliés aux mêmes degrés, pupilles et tuteurs. La Loi du 20 Septembre 1792, qui introduisit le divorce, chargea ces mêmes arbitres de prononcer sur les demandes en divorce pour cause déterminée. D'autres lois renvoyèrent à des arbitres, et les difficultés sur les procès en partage des biens communaux, et les contestations auxquelles donneraient lieu les lois nouvelles sur les successions (1).

Dans cette manie d'arbitrage, on alla plus loin; le mot de juge cessa d'être un terme légal; on ne reconnut plus que des arbitres volontaires ou des arbitres publics, selon qu'ils étaient nommés par les parties ou par les assemblées électorales (2).

Cette contagion nous atteignit. Au tribunal de l'Audience, une loi éphémère (3) substitua des arbitres forcés. L'office du Juge de paix se bornait à constater le choix des parties, et à nommer un arbitre pour les défaillans.

L'expérience mit bientôt à découvert les vices de ce système, et une voix générale accusa l'imprévoyance du législateur. De toutes parts on citait en France des sentences arbitrales où les lois avaient été impudemment violées, les intérêts les plus sacrés compromis; où des

(1) Décrets du 10 Juin 1793, du 17 Nivôse an II, etc.

(2) Constitution de 1793.

(3) Loi du 27 Juillet 1794.

arbitres ignorans, pusillanimes, subornés, n'avaient écouté que leurs préjugés, la crainte ou la faveur. Deux ans de règne suffirent à l'arbitrage forcé pour accumuler plus d'abus que n'en avait présenté l'ordre judiciaire dans une longue suite d'années.

Enfin, les tribunaux de famille et l'arbitrage forcé furent supprimés (1), et nous détruisîmes à notre tour l'œuvre d'une imitation servile.

L'impression de ces funestes effets subsistait encore lorsque le Code de Procédure parut. On ne sut pas distinguer le mal qu'avait fait l'arbitrage forcé, du bien que pouvait produire l'arbitrage libre. On les confondit dans la même défaveur; on oublia la recommandation de l'Assemblée constituante; et si l'on n'alla pas jusqu'à décréter l'entière abolition de l'arbitrage, du moins on chercha à le rendre moins facile et plus rare, par les formes qu'on y introduisit. Toutes les dispositions de ce Code respirent, en quelque sorte, la haine des compromis, et décèlent le désir secret d'en anéantir l'usage. (2)

Le Code de Commerce, postérieur d'un an au Code de Procédure, maintint la disposition de l'Ordonnance de 1673, qui exigeait que toute contestation entre associés, pour raison de leur société, fût jugée par des arbitres; il dégagea, en partie, ce genre d'arbitrage des formes compliquées et vicieuses du Code de Procédure. (3)

C'est en cet état que cette branche de la législation s'offrait à nous. L'arbitrage volontaire nous a paru une voie paisible, accélérée, économique, de terminer les différends; un moyen de prévenir, d'adoucir du moins les conséquences, quelquefois si graves, d'une lutte judiciaire. Il n'y a eu qu'une voix pour le maintenir.

Nous n'avons pu envisager du même œil l'arbitrage

(1) Par deux lois du 9 Ventôse an IV.
(2) Liv. III, tit. uniq. de la seconde partic.
(5) Liv. I, tit. III, sect. II.

forcé (1), quoique restreint aux sociétés commerciales. Les avantages en ont été contestés. Ils l'avaient été déjà par le Conseil de commerce de l'une des premières villes de France (2). De sérieuses objections furent présentées contre ce mode. Ses adversaires opposaient la difficulté d'obtenir des arbitres, la difficulté plus grande encore d'obtenir une décision de leur part, l'inutilité de toute contrainte pour les obliger à prononcer, le scandale de ces démissions concertées avec une partie pour différer sa condamnation. Ils citaient quelques exemples d'arbitrages forcés, prolongés sans résultat pendant des années entières. Ils donnaient la préférence au tribunal de commerce jugeant à huis-clos.

Quelque vérité qu'il pût y avoir dans ces observations, nous en avons ajourné l'examen à l'époque où l'on s'occupera de la révision du Code de Commerce. Une dérogation aussi essentielle, ne pouvait être admise incidemment dans une loi de procédure.

Nous avons autorisé (Art. 85), la plaidoirie à huis-clos des causes entre associés, afin de préparer la substitution du tribunal de commerce aux arbitres, en levant d'avance l'objection tirée d'une publicité, que ne comportent pas toujours les opérations de commerce et les intérêts des associés.

Notre loi ne permet pas l'arbitrage sans exception. Nous l'avons interdit d'abord aux personnes n'ayant pas le libre exercice de leurs droits, et ensuite dans les causes d'état, dans les demandes en divorce ou en séparation, et sur les objets non susceptibles de transaction (Art. 337) (3). Il fallait ici assurer la protection due à

(1) Il ne s'agit ici que de l'arbitrage forcé légal, et non de l'arbitrage forcé conventionnel. La convention, par laquelle les parties se lient d'avance pour soumettre à des arbitres des différends à naître, nous a paru mériter l'appui de la loi, comme celle où elles compromettent sur un différend déjà né. (Art. 356.)

(2) Celui de Bordeaux dans ses observations sur le Code de Commerce.

(3) La loi 8 au Digeste De transactionibus, défend à ceux à qui des alimens ont été laissés, de transiger sur ces alimens sans l'autorité du Préteur. Cette loi, que l'humanité dicta à Marc Aurèle, échappa aux rédacteurs du Code civil. Le législateur se la rappela dans le Code de Procédure; il ne permit pas de compromettre

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la faiblesse, et donner à des questions de cette gravité, toutes les garanties qu'offrent les tribunaux. D'ailleurs, dans la plupart de ces cas, il s'agit moins du droit privé du droit public, auquel les parties ne peuvent déroger. Or, permettre l'arbitrage dans l'application de ce dernier droit, ç'eût été, dans le fait, accorder la faculté d'y déroger indirectement.

que

D'après les Codes de Procédure et de Commerce, les arbitres sont en nombre pair. Ils sont choisis, moitié par l'une des parties, et moitié par l'autre. Ils nomment un sur-arbitre, en cas de partage d'opinions entre eux. Et, s'ils ne s'accordent pas, le choix appartient au tribunal ou à son Président. (1)

Notre loi écarte ce mode. Nous introduisons, comme pour les tribunaux et pour les experts, le nombre impair. Nous admettons les parties à concourir au choix de tous les arbitres.

Deux changemens, en apparence si légers, amélioreront sensiblement notre système d'arbitrage. Il n'y aura plus ni partage, ni nomination de sur-arbitre. Nous faisons l'économie du temps et des frais qu'entraînait le circuit de ces formalités inutiles.

A ces délibérations successives des arbitres, d'abord seuls, et ensuite réunis au sur-arbitre, nous substituons, d'entrée, une délibération commune, avant toute divergence d'opinions. Nous prévenons par-là le conflit des amours - propres. On apportera dans la discussion plus de calme et plus de maturité. Enfin, les arbitres, du choix de toutes les parties, revêtiront mieux ce caractère d'impartialité, qui en fait de véritables juges. Ils cesseront d'être ce qu'ils sont trop souvent aujourd'hui, les défenseurs de celui qui les a nommés.

Nous avons dit que le Code de Procédure contenait plusieurs dispositions destructives de l'arbitrage. Telle

sur les dons et les legs d'alimens (Art. 1004.) Mais cette interdiction devenait illusoire dès qu'il était libre de transiger.

(1) Code de Procédure, art. 4017, Code de Commerce, art. 60.

est celle qui exige que les parties et les arbitres suivent les délais et les formes établis pour les tribunaux. Telle est encore celle qui prescrit aux arbitres de décider d'après les règles du droit (1). Tout le bien de l'arbitrage disparaissait par-là; car les avantages de ce mode consistent précisément, et dans la substitution d'une marche plus simple, plus accélérée, aux formes plus régulières, mais plus longues, plus coûteuses des tribunaux, et dans la faculté accordée aux arbitres de faire céder la rigueur du droit aux préceptes de l'équité, en prononçant d'après leur conscience, ex æquo et bono.

L'arbitrage était comme anéanti par ces deux dispositions; mais ce qui le sauva, ce fut le pouvoir donné aux parties de déroger à la loi, de renoncer à tout ce système de rigueur; sans cette clause, il est douteux qu'aucun compromis eût jamais été contracté sous l'empire de ce Code.

Nous revenons à des formes simples, expéditives, conformes à l'esprit et au but de l'arbitrage. (Sect. 11.)

Nous assimilons le jugement arbitral aux jugemens des tribunaux, quant à ses effets et aux voies d'exécution, dès que l'ordonnance du Président du tribunal lui a imprimé le sceau de l'autorité publique (Art. 356). Nous avons adopté les dispositions du Code de Procédure sur la forme de cette ordonnance et sur le dépôt du jugement arbitral (Sect. iv). Mais nous avons fixé, pour effectuer le dépôt au greffe, un terme fatal de dix jours, afin de prévenir toute tentation, tout soupçon d'antidate. (Art. 353.)

Si les arbitres sont sans mission, si leurs pouvoirs sont expirés, s'ils ont prononcé sur une question dont la loi ou les parties leur interdisaient la connaissance, dans tous ces cas, nous ouvrons, comme le Code de Procédure, la voie de nullité contre l'acte qualifié de jugement arbitral. (Art. 358.)

(1) Code de Procédure, articles 1009 et 1049.

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