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son audace. I entrevit dans cette circonstance un nouvel avenir pour lui; mais la ville infortunée (le second berceau de sa réputation militaire) offrait alors aux yeux des Français effrayés le spectacle le plus douloureux et le plus lamentable.

C'en était assez pour ces deux hommes altérés par la soif de la célébrité et jaloux d'avoir fait trembler la capitale. La modération de l'un et la prévoyance de l'autre, firent poser les armes aux Français les plus prononcés contre les actes d'un pouvoir aussi faible qu'il était arbitraire. Chacun des partis se calma, déplora son aveuglement, et finit même par s'entendre; les vainqueurs consternés en voyant les fruits amers qu'ils recueillirent de leurs sanglans succès, auraient voulu qu'un voile éternel fût tiré sur tant d'erreurs politiques; mais les Français ne pardonneront jamais à la Convention nationale d'avoir ordonné de faire feu sur le peuple; et le général, lui-même, encourut le blâme pour avoir suivi trop ponctuellement les ordres barbares qui lui étaient transmis par cette autorité.

Le parti victorieux avait fait rentrer dans l'ordre les prétendus rebelles, et s'en applaudissait. Le carnage aurait été plus considérable sans l'harmonie qui régna entre ces deux dépositaires du pouvoir. Le premier voyait son ambition satisfaite, et l'autre cherchait une nouvelle occasion pour développer encore son cou

rage. Malheureusement, ces deux politiques dès lors on conçut qu'un

se rencontrèrent

jeune homme aussi ardent était capable de bouleverser les nations; il devint le protégé des directeurs; bientôt on lui promit de l'avancement. Mais Barras, le seul Barras s'empressa d'acquitter à son égard la parole qui lui avait été donnée (54).

Avant cette époque si douloureuse, les terroristes de la Montagne avaient déjà fait tous leurs efforts pour ressaisir le sceptre que le député Tallien avait brisé si victorieusement entre leurs mains; ils avaient conçu dans un comité secret, le projet de se conserver par la force. Il faut, disaient-ils, alimenter la discorde parmi les sections pour les porter à l'insurrection: il faut faire ensorte que le parti le plus exalté aille bloquer la Convention. Hélas! Paris se rapellera long-temps les fruits de cette malheureuse journée, dont les chances furent calculées avec autant de sang-froid que de mystère. Il paraît, cependant, que l'un des plus fameux généraux qui figurèrent du côté opposé au gouvernement était à peu près initié dans le secret; mais au moment de l'exécution, il ne voulut point commencer cette guerre civile, et il fut obligé d'en remettre le commandement à un autre. Cet honnête homme recueillit de bien tristes gages de sa rare modération (55).

La capitale avait commencé à reprendre un

:

aspect moins sombre depuis ces derniers événemens. Cependant une affreuse disette s'était fait sentir la malveillance s'en empara; mais le peuple se contentait de gémir, il restait calme. Dans les provinces, les esprits s'agitaient encore, et la guerre de la Vendée, à peine éteinte, semblait renaître de ses cendres. On résolut enfin de rendre la paix à cette belle partie de l'antique Bretagne. Le général Hoche fut choisi d'une voix unanime pour entreprendre cette fameuse négociation : on le connaissait ; on ne pouvait trop louer sa rare modestie. Républicain zélé, ses formes étaient agréables; et si, ́quelquefois, il s'était vu contraint de publier des ordres rigoureux, il cherchait du moins à en adoucir l'exécution. Les incendies et les criptions de l'Ouest le révoltaient, il ne pouvait prévoir quel en serait le terme; mais il était un des premiers à rendre justice au courage et aux talens des généraux. Il plaignait les malheureux cultivateurs, qui n'étaient qu'entraînés; aussi, la plupart trouvaient grâce à ses yeux. Souvent même il sauva par adresse des officiers pris les armes à la main. Il faisait offrir un asile aux vieillards, aux femmes et aux enfans. Plusieurs fois il chercha à renoncer au commandement de cette armée : il ne put obtenir sa démission. On l'a vu verser des larmes sur la barbarie à laquelle les soldats s'abandonnaient : il ne pouvait tempérer leur rage quand ils faisaient des pri

pros

sonniers, et souvent il vit jaillir sur lui-même le sang de ces victimes au milieu de la chaleur du combat. Son autorité ne pouvait empêcher ces terribles exécutions : les ordres étaient formels; point de prisonniers, guerre aux châteaux, paix aux chaumières. (*)

Ce triste pays n'offrait plus que l'image de la dévastation: la mort était empreinte sur tous les visages, et la plupart des villes ne présentaient à l'œil du spectateur effrayé, que des ruines encore fumantes. Tel était l'état de ces malheureuses contrées, où durant cinq ans les crimes succédèrent aux crimes, et les désastres aux désastres; Hoche aurait voulu réparer tant de maux, en faisant renaître les moissons, l'industrie et l'espérance; mais la chose était impossible. Par le moyen d'une pacification avec les chefs principaux, il espérait avec le temps voir scrtir ces provinces de l'anéantissement où elles étaient plongées depuis l'origine des guerres civiles. L'honneur du nom français traita donc de bonne foi avec les principaux officiers qui composaient l'armée Vendéenne. Ce jeune héros

(*) 1 est certain que le député Tallien proposa au géné. ral Hoche de solliciter la grâce des émigrés faits prisonniers Quiberon. Ce courageux militaire prit la poste aussitôt, pour se rendre à Paris, mais le pardon qu'il demandait lui fut impitoyablement refusé.

y apporta la candeur et la franchise d'un homme de bien et non l'austérité sévère, ni la fierté d'un républicain; sa mission fat couronnée par le plus grand succès. Les royalistes, depuis long-temps, redemandaient inutilement le fils de Louis XVI: ils offraient de poser les armes pour prix de cette restitution. On prétend que cette clause fut l'un des articles se→ crets du traité; mais alors les Vendéens ne pouvaient plus insister sur la translation du jeune Roi, au quartier-général de leur armée. Le député Sévestre avait annoncé publiquement sa mort à la Convention nationale. Il fallut donc se promettre un mutuel oubli du passé, le renvoi pur et simple des prisonniers, et la soumission entière des départemens insurgés aux lois qui gouvernaient la République. Ainsi rentrèrent dans leurs foyers, ces Français qui venaient de combattre contre leurs frères. Ce fut le fanatisme qui arma le bras de quelques-uns d'en tr'eux, et prolongea les malheurs de cette guerre sanglante. Ainsi ce vaste embrasement se perpétua long-temps, malgré la profonde expérience du général en chef, qui avait réuni tous ses efforts pour l'éteindre. Hoche était parvenu cependant à refermer, peu-à-peu, le volcan qui menaçait encore la France de nouvelles éruptions.

Je recevais très-souvent des nouvelles du Men

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