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moins le sacrifice du prince. Ma fille, qui s'était jointe à nous, lui répéta plusieurs fois qu'en donnant la liberté au duc d'Enghien, il allait se couvrir de gloire et acquérir un ami bien précieux. Tout fut inutile, il rejeta nos prières; et le mauvais génie qui gouvernait alors le grand homme, le fit rester inébranlable dans le parti funeste qu'on lui avait en quelque sorte fait embrasser malgré lui. Il nous conjura du ton le plus expressif de nous retirer; et jugeant par l'excès de son trouble qu'il était peut-être au moment de céder à nos larmes, il s'enfuit précipitamment du côté opposé à celui où nous étions. Nous redoublâmes nos efforts, sa mère lui parla en ces termes : « Tu succomberas le premier, dans l'abîme que tu creuses aujourd'hui sous les pas de ta famille. >>

Alors je ne craignis point d'intercéder de nouveau, je lui peignis avec les couleurs les plus vives et les transports d'un cœur profondément affligé, quels seraient sa douleur et son profond repentir s'il osait faire exécuter un attentat aussi odieux. Je lui disais encore : » Si ce prince avait été fait prisonnier en France, peut-être, devant vos lois inflexibles, serait-il digne de la mort; mais il était à Eteinhein, et sous la protection particulière de l'électeur de Bade. Cette puissance doit désapprouver votre coupable infraction à tous les traités qui attachent les nations les unes aux autres. Sans doute son gouver

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Omon Epoux, mécriai je, j'aurais voulu aujourd'hui vous faire partager ma douleur, mais c'est en vain le sang du Duc d'Enghein doit rejaillir. sur vous: que dis-je sur les hommes assex perfides pour vous conseiller de ternir votre gloire

nement devait l'hospitalité à ce français si malheureux, elle ne lui avait été accordée que par votre consentement. Le duc n'a donc pas enfreint la convention tacite que vous aviez vousmême reconnue. Et, bien que votre parole doive être inviolable, le petit-fils du grand Condé s'est vu arracher d'une contrée qu'il avait le droit de croire hospitalière. Que diront désormais les partisans du premier Consul ? ils diront: Bonaparte a voulu montrer, en sacrifiant l'un des membres de la famille des Bourbons, qu'il était bien près de se frayer un chemin pour aller s'asseoir lui-même sur le trône du malheureux Louis XVI. Depuis long-temps j'ai deviné vos secrets sentimens, ô mon époux, m'écriai-je, j'aurais voulu aujourd'hui vous faire partager ma douleur, mais c'est en vain; le sang du dục d'Enghien doit rejaillir sur vous: que dis-je, sur les hommes assez perfides pour vous conseiller de ternir votre gloire.... » A l'instant je jetai un coup-d'oeil de mépris sur plusieurs qui l'environnaient. Je vis la pâleur de la mort altérer leurs figures; mais bientôt reprenant leur audace accoutumée, ils me firent voir l'ordre barbare qui allait enlever à la France l'un de ses plus nobles et de ses plus illustres appuis (*).

(*) Lorsque Bernadotte était ministre de la guerre, le duc d'Enghien vint secrètement à Paris; c'était pendant l'été de 1799, Bonaparte était encore en Egypte. Le gou

On conspire de toutes parts contre moi, nous dit Bonaparte, on m'observe, on m'épie; peutêtre même suis-je à la veille d'être la victime d'infâmes complots... et vous voulez que je temporise! Non, je veux prouver à la France entière que jamais je ne ferai revivre le rôle de Monck; que c'est à tort que l'on me suppose cette pensée. Je dois donner un gage aux hommes de la révolution, qui les assure que je suis loin de vouloir renverser l'édifice dont ils ont posé les bases et que je me suis plu à élever. Je leur

vernement républicain n'avait plus de force, et le parti des Bourbons espérait de se relever promptement. Le général Bernadotte attirait alors tous les regards, tant par l'éclat de sa renommée que par cette décision rapide dans les occasions périlleuses, qui est le caractère auquel on reconnait les hommes destinés à jouer un grand rôle. Le duc d'Enghien, au moyen d'un ami commun, lui confie son séjour à Paris, et lui fait offrir en même temps l'épée de connétable, s'il voulait rétablir les Bourbons sur le trône. Je ne puis servir leur cause, répondit le général Bernadotte, mon honneur me lie à la volonté de la nation française; mais puisqu'un homme, puisque le descendant du grand Condé s'est confié à moi, il ne lui en arrivera point de mal. Que le duc d'Enghien parte donc à l'instant, car son secret, sous trois jours, ne pourrait plus être le mien, et je le devrais à la patrie. C'est ainsi qu'un cœur vraiment magnanime trouve toujours le moyen de concilier les devoirs les plus opposés en apparence. ( Mém. pour servir à l'histoire de Charles XIV, Jean, roi de Suède et de Norwège.)

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