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airs, ce sera là le premier avant-coureur de votre étonnante destinée. »

Sorties de la maison d'Euphémie, les jeunes consultantes se regardèrent long-temps, en silence, sans pouvoir se rendre compte des divers sentimens qu'elles éprouvaient. Aussi se promirent-elles réciproquement le secret, et aucune des trois ne fut inquiète, ni enchantée de son sort. A la vérité, mademoiselle de S*** avoua ingénument, quelques jours après, à ses amies, qu'elle flottait entre la crainte et l'espérance; que, déjà, son esprit se livrait à mille conjectures sur son singulier horoscope. Morphée ne versait plus sur ses yeux ses pavots réparateurs; depuis plusieurs nuits, elle avait totalement perdu le sommeil.

Joséphine raconta quelque temps après à son père, la singulière prédiction qui lui avait été faite, à laquelle elle dit ne pas attacher la moindre importance, cependant elle la comparait à celle de la veuve Scarron. Comme elle la petite fille d'Agrippa d'Aubigné avait vu s'écouler ses premières années à la Martinique, et pourtant l'histoire nous apprend qu'un maçon lui prédit qu'elle monterait sur le trône de France; en se rappelant ces faits historiques, M. de Tascher croyait voir errer la grande âme de Louis XIV. « Je n'ai qu'un regret, disait - il, c'est de n'être pas né dans ce siècle, dont la lumière se répand encore sur le nôtre. » Son épouse se conten

tait de sourire, car elle n'envisageait la puissance que comme un écueil redoutable où, tôt ou tard, le vaisseau le plus solide vient se heurter et se briser : aussi, pendant quelques mois, s'amusa-t-elle beaucoup du rêve de la grandeur future de sa fille, et se plut-elle à lui répéter souvent cette pensée de Lucain : « Les oracles du ciel ne nous montrent l'avenir qu'à travers un nuage (*).

Enfin, la belle créole oublia totalement ce que la mulâtresse lui avait annoncé ; car elle disait confidentiellement à ses amies : Qui promet trop, inspire la défiance, et la chose était d'autant plus facile, pour elle, qu'Euphémie avait insisté pour qu'elle renonçât sérieusement à Williams, et Joséphine aimait encore à se flatter que, peut-être, un jour elle l'obtiendrait pour époux.

Jusqu'au dernier moment un malheureux espère.

(*) Tripodas, vatesque deorum sors obscura tenet.

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CHAPITRE III.

Ut inclius duo defendunt retinacula navem,
Tutius et geminos anxia mater alit.

Comme un vaisseau est plus en sûreté, quand deux cables l'attachent au rivage, de même une mère est plus tranquille, quand elle a deux enfans.

PROPERCE.

La famille de Joséphine touchait, enfin, au moment de voir s'accomplir tous ses vœux. «< Déjà les fêtes de l'hymen se préparent, écrivait madame Renaudin à son frère (6), des guirlandes de fleurs suspendues embelliront le temple de la divinité ; bientôt des nuages d'encens vont s'éleversur les autels. Le jour est presque arrêté pour la pompe de la cérémonie. » Tout-à-coup, mademoiselle de la Pagerie aînée est atteinte d'une maladie cruelle. La pâleur de son visage augmente; sa respiration devient de plus en plus pénible, elle sent à chaque minute son poulx battre plus lentement..... Ces signes terribles n'apprennent que trop à sa tendre mère que la parque inhumaine va trancher les jours de sa fille bien-aimée. «< Oui, s'écriait-elle dans sa douleur, oui, bientôt Maria n'aura plus d'autre lit que la tombe..... Les craintes que j'ai conçues dès le

principe de la maladie vont malheureusement se réaliser. Hélas! les couronnes de l'amour sont desséchées. La désolation devint alors extrême dans la famille; l'intéressante créole fut universellement regrettée ; elle méritait à tous égards de l'être. Jamais jeune personne n'avait eu une conduite plus régulière et ne s'était montrée plus estimable. Elle remplissait tous ses devoirs avec la plus scrupuleuse exactitude. Madame de la Pagerie fut au désespoir, et Joséphine fut encore moins malheureuse de sa douleur que de celle de sa mère, qui se contraignait pour ne pas la fatiguer de ses gémissemens. Peu - à - peu elle parut plus calme et parvint à trouver dans l'attachement de l'unique fille qui lui restait, seule distraction qu'elle pût goûter encore. Maria fut pleurée par sa soeur qui prit la résolution de suivre ses exemples, d'autant plus que sans cesse sa tendre mère prononçait le nom de cellé qui lui avait été ravie, et répétait douloureusement: Si Joséphine encore pouvait me consoler de la mort de son aînée !...

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la

Elle y parvint à force de soins, d'attentions et de complaisances; à tel point qu'elle ne se reconnaissait plus elle-même : l'adolescence avait mûri ses idées; en perdant la meilleure des amies qu'elle avait au monde, elle ne trouvait autour d'elle qu'une vaste solitude; sa famille lui restait du moins; elle réunit donc ses

efforts pour tâcher d'adoucir une perte, hélas!

irréparable. Elle passa quelques mois avant de pouvoir y parvenir.

Elle était devenue rêveuse, mélancolique ; l'ennui empoisonnait ses jours: fatiguée d'ellemême, elle redoutait de devenir insupportable aux autres; mille idées fâcheuses l'accablaient à la fois : sa gaîté n'avait plus d'aliment, et son cœur fut en proie à des peines d'autant plus vives, que c'étaient les premières de ce genre qui venaient l'assaillir. Son père fut le premier qui s'aperçut de sa véritable situation : il n'hésita point à en parler à Joséphine, qui lui découvrit le secret de son coeur. Il essaya, vis-à-vis de sa fille, le ton de la plaisanterie, et finit par employer le langage de la raison.

Il lui apprit alors, que, n'ayant pu remplir la promesse qu'il avait contractée avec madame Renaudin, c'était elle qu'il chargeait de l'accomplir. Ces derniers mots causèrent une grande surprise à Joséphine. Certaine que les prières ne lui eussent servi de rien, puisqu'il n'ignorait pas sur qui elle reportait ses affections, elle se leva et lui dit avec modération, mais avec fermeté : << Puisse un jour, mon père, ma destinée ne point faire couler vos larmes. » Il lui répliqua que sa tante pouvait faire son bonheur, ayant tout crédit sur l'esprit du marquis de Beauharnais, dont le fils destiné à devenir son gendre, paraissait consentir à un échange, et

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