Page images
PDF
EPUB

que ce serait elle qui le dédommagerait de la perte de sa fiancée.

On a déjà dit que M. de la Pagerie aimait sa fille cadette à l'idolâtrie : le parallèle qu'il faisait entre elle et sa sœur, était toujours à l'avantage de la dernière. C'est ainsi que la plupart des parens s'aveuglent toujours sur les défauts de leurs enfans. Joséphine resta un moment interdite; mais bientôt elle le supplia de se ressouvenir qu'elle était promise à Williams. M. de Tascher se troubla un moment; cependant il se remit, et lui dit avec fermeté : « Ce que tu me demandes, ma bien aimée, est impossible ! j'ai tout fait pour voir combler enfin le plus cher de mes Voeux, il faut que tu obéisses! d'ailleurs, ma fille, les temps ne sont plus les mêmes ; tu es aujourd'hui notre unique espérance. » Il finit par lui faire observer qu'au moyen des bienfaits qu'elle allait recevoir de sa tante, elle était de venue l'un des partis les plus avantageux de la Martinique; que par cette raison, le fils de M. de K*** ne pouvait maintenant devenir son époux. «Ta main lui fut, il est vrai, destinée ?...-Mais vos intentions ne sont plus les mêmes, s'écriaelle en pâlissant!... Chère enfant !!! - Comment cela s'est-il décidé? pour quelle raison mon père a-t-il renoncé à ce dessein? - Parce que l'immense héritage qu'il pourra recueillir, n'est, en effet, qu'une substitution; car, en prenant le titre de lord Lov***, il est engagé à donner sa

main à la petite nièce du testateur, et ce n'est qu'à cette condition que Williams prendra le nom et les armes du vieux Baronnet: d'ailleurs, ajouta -t-il encore, tout prouve que ce jeune homme t'a tout-à-fait oubliée depuis son départ pour l'Angleterre. » Joséphine ignorait heureusement que Williams lui eût écrit vingt lettres , que ses parens avaient soustraites à sa curiosité. Elle l'accusa de froideur, d'indifférence, d'ingratitude même; et forma le soupçon que sa jeune cousine pouvait l'intéresser. Elle promit donc à ses parens de se soumettre à tout ce qu'ils pourraient exiger d'elle. En voulant se venger du fils de M. de K***, elle s'infligeait à elle-même une plus grande punition; et cependant, c'était elle qui, la première, allait violer ses sermens. Les scènes de son enfance se retraçaient à son imagination : chaque objet qui s'offrait à elle, lui rappelait un souvenir!... Elle aimait à fréquenter les endroits qui avaient été les témoins de leurs derniers adieux : et là elle s'abandonnait seule à des pensées tumultueuses et mélancoliques.

Un jour, elle remarqua un palmier où son jeune ami avait entrelacé leurs noms! On ne saurait exprimer la vive émotion qu'elle éprouva en voyant son chiffre uni avec celui de l'objet qu'elle croyait parjure : elle détruisit sur-lechamp ces symboles de l'amitié. « Hélas! se ditelle, les rayons du soleil ont éclairé la naissance

de notre amour, mais il est à craindre qu'il ne vive au milieu des foudres, des orages les plus effrayans le plus sombre avenir est devant

:

nous.... » et avec la pointe d'un couteau, elle écrivit ces mots d'une main incertaine : Malheureux Williams, tu m'as oubliée!!! Elle se trouva bien de cette légère vengeance. Le temps finit par rappeler l'usage de sa raison; d'ailleurs elle cherchait à se pénétrer de cette vérité que, << Rien au monde, après l'espérance,

« N'est si trompeur que l'apparence. »

Il arrivait souvent des nouvelles de France, et madame Renaudin insistait toujours pour que sa nièce vînt auprès d'elle. Elle aurait voulu, pour son bonheur, que la famille la Pagerie consentît à venir la retrouver à Fontainebleau, où elle s'était fixée depuis quelque temps. Son frère se serait décidé facilement; mais la mère de Joséphine ne pouvait s'arracher à sa patrie; son époux n'oubliait pourtant rien pour piquer sa curiosité, et même il se plaisait à lui faire une description pompeuse du pays fortuné que

leur fille allait habiter. « A deux mille lieues d'une capitale, il est bien facile d'embellir ou de défigurer les objets, lui répondait madame de Tascher!» Il fut donc résolu que Joséphine partirait seule. Ses parens lui laissaient ignorer qu'ils avaient fini par consentir à se séparer d'elle. Mais pouvait-elle être assez aveugle pour ne point

voir ce que chacun de leurs regards lui disait? Sa mère la prenait dans ses bras, la regardait en silence, et s'efforçait de retenir ses larmes, qui, bientôt après, n'en coulaient qu'avec plus d'abondance.Si sa fille lui demandait: Qu'avez-vous, chère maman? elle lui répondait par une observation, par un trait de morale; elle lui disait quelquefois : « Le moment où l'homme se livre à la joie est souvent celui qui précède immédiatement le malheur qu'il redoute le moins! ou bien, on devrait sans cesse préparer son coeur à soutenir le poids de l'infortune. » Joséphine ne savait pas ce qu'elle entendait par ces mots, et elle croyait son chagrin léger, puisqu'elle avait encore la force de faire des réflexions. Elle ne connut que par la suite son dessein, et qu'elle avait voulu la préparer à supporter, avec courage, leur douloureuse séparation. Lorsqu'elle eut enfin dévoilé le mot de cette effrayante énigme, Joséphine ne put qu'étendre ses bras tremblans vers cette mère adorée, et lui dire duton du plus triste désespoir: « Je sais maintenant que mon père a disposé définitivement de ma main. » Puis, accablée du poids de sa douleur, elle tomba à ses pieds en s'écriant: «< Ah! sauvez, sauvez la soeur de Maria!» En ce moment, M. de Tascher entra dans la chambre où elles étaient; il soutint son épouse qui était prête à tomber en faiblesse; et dit à sa fille avec l'accent de l'indignation : « Ses

[ocr errors]

jours précieux ont-ils cessé de vous être chers? » Cette exclamation terrible rendit à Joséphine la force nécessaire pour l'aider à plâcer sa mère sur un fauteuil. « Ah, chère enfant, lui dit madame de la Pagerie avec l'expression de la douleur et celle de la tendresse la plus vive, nous sommes bien malheureuses, l'une et l'autre, tu vas entreprendre une longue et pénible navigation. Les vents furieux de l'hiver agiteront violemment les flots; mais la mer sera encore moins agitée que mon cœur. O ma fille! dans cet instant je te contemple au sein de l'orage, ballottée par d'effroyables tempêtes, et poussée d'écueils en écueils. Hélas! j'entrevois l'avenir, il me glace d'effroi....... » A l'instant même une vive rougeur colora les traits de Joséphine, elle s'appuya sur le sein de sa mère, et s'écria d'une voix affaiblie par la douleur : « Je n'ose m'expliquer devant mon père », et son visage altéré marquait le trouble profond de son ame. M. de Tascher, qui était encore présent, l'entendit; il pleurait, il la pressait affectueusement; il lui promettait son appui; mais il n'eut pas le courage de les rappeler l'une et l'autre à la douce espérance; bien plus, il les quitta; cependant il était facile de voir quel combat dut s'élever dans un coeur, qui sacrifiait froidement à sa vaste ambition, l'existence d'une fille bien aimée.

Le moment du départ s'offrait à l'idée de Jo

« PreviousContinue »