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titution de Duteil, était d'abord la difficulté de son remplacement. Grâce aux rivalités et aux prétentions personnelles de chacun, il eut été à peu près impossible de se mettre d'accord sur un nom. Tout le monde se serait entendu peut-être avec celui de Campdoras. Mais il parait que ce dernier ne voulut pas, à cause de sa jeunesse, assumer sur sa tête la lourde responsabilité d'un tel commandement. Et d'ailleurs, le remplacement de Duteil n'eut-il pas été un nouveau motif de division parmi les insurgés? Si aux yeux des meneurs intelligents, Duteil avait perdu son prestige, il avait néanmoins conservé un certain ascendant sur une partie des masses qui le suivaient. Ne fallaitil pas compter avec ce reste d'influence? Ces raisons sérieuses durent sans doute déterminer les principaux républicains à garder leur général, en lui adjoignant par précaution un comité dit de défense.

Devant les nouvelles fàcheuses recueillies dans les correspondances interceptées, et les craintes légitimes de Paul Cotte sur l'insuffisance des vivres, le comité de défense s'assembla. Il songea d'abord à mettre la colonne à l'abri d'une surprise du colonel de Sercey. Ce dernier, s'avançait en effet vers les insurgés menacés par lui à l'Ouest, tandis que M. Pastoureau les serrait à l'Est. Cette double manoeuvre ex

posait la colonne à être mise entre deux feux. Il fallait à tout prix conjurer ce danger. Dans ce but, le comité résolut de faire replier l'armée démocratique sur Aups, pour marcher de là sur Digne et opérer une jonction avec les républicains des Basses-Alpes. Des instructions furent immédiatement transmises en vue d'un prochain départ. Le bataillon du Luc et les contingents de plusieurs autres communes, formèrent l'avant-garde. Puis pour garder le derrière de la colonne, Arrambide, de Toulon, reçut l'ordre d'occuper avec un corps de huit à neuf cents hommes, la hauteur de Tourtour, position formidable qui commandait la route de Villecroze à Aups. Le gros de l'armée s'ébranla ensuite, par la route de Salernes. Le commandement de l'arrière-garde fut confié à Paulin David; les prisonniers marchaient avec lui. Avant le départ, Duteil leur avait adressé l'ordre du jour suivant :

« Aux prisonniers,

<< Les malheurs de la guerre, et surtout ceux « de la guerre civile, ordonnent aux chefs une «< circonspection qui cependant ne les affran«chit pas des égards qu'ils doivent au mal<< heur !

« Forcé de transporter sur un autre point << mon quartier-général, j'ordonne que le ci

<< toyen David, chargé spécialement de la garde << des prisonniers, ait autant de soins d'eux << qu'un capitaine de ses soldats.

<< Les prisonniers pourront m'adresser direc«tement leurs réclamations, et je rendrai << prompte justice.

« Le commandant général des forces

démocratiques du Var,

« DUTEIL.

« Quartier-général de Salernes, 9 décembre 1851. »

C'étaient là de nobles paroles, et contre lesquelles d'ailleurs l'histoire n'enregistre aucun fait, qui puisse servir de base à une protestation sérieuse. En dépit des assertions audacieusement erronées de M. Maquan, en dépit des allégations mensongères propagées par une chronique inqualifiable, les républicains furent pleins d'égards envers les prisonniers.

Lorsqu'à Salernes, ces derniers, toujours anxieux, jamais rassurés, avaient demandé les secours de la religion, leurs gardiens s'étaient empressé d'appeler auprès d'eux, M. l'abbé Jaume, vicaire de Salernes. Deux chambres avaient été affectées, dans l'hôtel Basset, au service des otages. Dans l'une de ces deux salles, l'abbé Jaume confessa les captifs, et pendant tout le temps qui leur fut consacré par le prêtre, les insurgés se tinrent respectueusement à l'écart.

Leur nourriture fut toujours suffisante et salubre; somptueuse parfois, eu égard à leur situation. Et cependant autour d'eux, les républicains n'avaient bien souvent que du pain sec pour assouvir leur faim. Ce contraste était frappant; et les otages, redoutant d'éveiller chez leurs gardiens, par le confortable dont on les entourait, des sentiments de haineuse envie, demandèrent à être traités comme ces derniers.

Triste revers pourtant des choses d'ici-bas. Lorsqu'à leur tour, ces puissants d'une heure furent prisonniers et proscrits, nul mauvais traitement ne leur fut épargné. Les vainqueurs se montrèrent impitoyables: ils étaient hors la loi; ils voulurent être hors l'humanité.

Pendant que Duteil marchait sur Aups, le préfet, mal renseigné sur la position exacte des insurgés toujours signalés à Salernes, se décida aussi à occuper Aups. Grâce au mouvement du colonel de Sercey, qui se dirigeait sur Barjols, la colonne insurrectionnelle allait être cernée de tous les côtés.

XIII

Aups, est une coquette ville située sur un plateau auquel on parvient par des routes escarpées, serpentant à travers une succession de collines aux pentes boisées. On arrive à Aups, soit par la route de Salernes, débouchant sur une esplanade complantée d'ormeaux magnifiques; soit par la route de Draguiguan aboutissant à la porte Saint-Sébastien. A l'Est de la ville, des prairies mollement ondulées, étalent leur frais et verdoyant tapis. Au Sud, à l'Ouest, le plateau est rempli d'oliviers grisâtres, couvrant la plaine d'Uchâne; plaine coupée de monticules et de murailles en pierres sèches. Au Nord, une haute montagne surplombe presque à pic la vieille cité.

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