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XVII

Il est temps de savoir maintenant ce qu'étaient devenus les débris des bandes insurrectionnelles, qui, sous la conduite de leurs chefs, avaient su résister aux troupes et se ménager ainsi une retraite dans les montagnes.

En quittant la plate-forme confinant à la chapelle Notre-Dame, les insurgés gagnèrent les hauteurs. Là, une émotion poignante les attendait. La fusillade cessait à peine dans la plaine d'Uchâne, quand retentit tout-à-coup le bruit d'un feu de peloton... Les prisonniers venaient-ils d'être fusillés par les soldats? Chacun le crut, et bien des larmes vinrent aux yeux de ces infortunés! Duteil lui-même, qui avait

dans ce désastre une part si large de responsabilité, faillit se trouver mal.

Cette fusillade, dont les insurgés survivants ont gardé un effrayant souvenir, fut, assuret-on, une sorte de bravade des soldats, heureux de la facile défaite des républicains.

Revenu à lui, Duteil comprit l'énorme faute commise en ne pas fixant de point de ralliement. Pour réparer, dans la mesure du possible, les suites de cette ineptie, il s'empressa de faire arborer au bout d'une pique, en guise de drapeau, son caban retourné simulant une bannière rouge... Mais la déroute était complète... Plusieurs hommes de la Garde-Freinet et quelques insurgés amenés par Amalric, répondirent seuls à ce signal. On délibéra alors sur la question de savoir s'il fallait rentrer dans Aups, et tenter de nouveau le sort des armes. Martel souhaitait qu'on se dirigeât immédiatement sur Digne. On finit par se décider à rallier avant tout Cotte et Dauphin, qui devaient se trouver à Moissac avec plus de six cents hommes.

On prit aussitôt la route de Moissac. A Moissac, des vivres furent généreusement fournis aux insurgés par les habitants. Mais à l'exception de rares Brignolais, la bande de Cotte s'était déjà dispersée. Cotte et ses compagnons avaient en effet dépassé Moissac, quand le bruit

lointain de la fusillade à Aups arrêta leur marche. Cotte éperdu, attendit en vain des ordres... Il vit arriver de tous les côtés les fuyards en pleine déroute... Il devina que la bataille était perdue... Le clerc d'avoué Brunet, et plusieurs autres républicains qui vinrent le rejoindre, ne lui laissèrent bientôt plus aucun doute sur l'issue de la surprise d'Aups par les troupes. Le chef salernais et ses amis, démoralisés par cette triste nouvelle, regardèrent la lutte comme désormais inutile, et congédièrent leur avant-garde. Cotte, Dauphin et Renoux, conseiller général, se dirigèrent sur Baudinard. Au moment de les quitter, les Salernais avaient voulu leur servir d'escorte. Renoux, homme dont le caractère était à la hauteur de ses convictions ardentes, refusa cette offre courageuse. A Baudinard les trois amis se séparèrent... Renoux s'achemina vers Moustier; Cotte et Dauphin revinrent à Salles où ils se tinrent cachés, jusqu'au moment où ils purent gagner

le Piémont.

Parvenu à Moustier, Renoux y connut la victoire des troupes dans les Basses-Alpes, et l'occupation de la ville de Digne par les soldats. Il prit alors une résolution héroïque, et bien digne de ce grand cœur! Quittant une retraite sûre d'où il pouvait facilement passer à l'étranger, il vint se constituer prisonnier

à Draguignan, entre les mains du procureur de la République. « Je suis seul coupable du « soulèvement de Salernes, lui dit-il; je dois « seul en supporter la responsabilité (1)! »

La dispersion des bandes de Cotte, rendant impossible la réalisation du projet formé par Duteil et ses amis de retourner en force à Aups, il fut décidé, en l'absence de nouvelles des Basses-Alpes, que l'on y transférerait le quartier général de l'insurrection. La colonne, forte encore de plusieurs centaines d'hommes, quitta Moissac, et traversa successivement les villages de Rodignac, de Montagnac, de Mezel. La plus touchante hospitalité accueillit partout les proscrits, et l'on m'assure que les femmes de Rodignac versèrent des larmes amères, à la pensée du terrible avenir qui attendait les républicains.

A Mezel, on leur annonça que Digne était tombée au pouvoir des troupes, et que des préparatifs formidables de défense y étaient faits, en vue de la prochaine irruption de la colonne du Var.

Ces nouvelles fatales jetèrent dans l'âme des insurgés, avec le découragement le plus profond, une exaspération terrible dont Duteil

(1) Incarcéré sur le champ, Renoux fut plus tard condamné par la commission mixte à cinq années de transportation.

faillit être victime. Je laisse parler Campdoras. «Duteil peut dire qu'il l'a échappé belle. « Le surlendemain (de la déroute) nous avons << eu toutes les peines du monde à empêcher « nos hommes de le fusiller. Dans la nuit du « 12 au 13, j'ai gardé pour ainsi dire à vue un «< jeune homme de vingt-cinq ans, un bon ci<«<toyen, fils d'un propriétaire assez riche, qui << voulait lui envoyer une balle. Ce n'est qu'à « grand'peine que je suis parvenu à lui faire «< comprendre que chez Duteil, il y avait lâcheté « et non pas trahison (1) ! »

Devant la certitude de la défaite des républicains des Basses-Alpes, la pensée de continuer la lutte à main armée était chimérique. Chacun le comprit, et les chefs conseillèrent à leurs compagnons de se disperser dans toutes les directions, pendant qu'ils allaient eux, mal

(1) Au point de vue du jugement définitif à asseoir sur le rôle joué par Duteil dans l'insurrection du Var, l'opinion de Campdoras d'un homme dont l'énergie et la loyauté sont restées légendaires dans le Var a évidemment une importance capitale. Je dois ajouter que cette opinion de Campdoras est partagée par les anciens chefs que j'ai pu voir. Duteil était vraiment républicain, mais il avait abusé de la permissien d'ètre incapable. Sa bravoure était aussi des plus minces, et je suis convaincu que si à Aups les insurgés d'élite eussent été commandés par un vaillant capitaine, qui eut su mener au feu ces bandes indisciplinées, les troupes auraient été facilement repoussées! Or qui sait ce qu'eut amené une première victoire de l'insurrection?

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