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gré les dangers, malgré les épreuves, essayer de gagner la terre de l'exil!

Ces ordres furent écoutés... et les chefs, après avoir fait à leurs compagnons les plus touchants adieux, prirent le chemin de la frontière. A travers le froid et les fatigues, ils gagnèrent Barrême, le dépassèrent et arrivèrent à Moriez où ils goûtèrent un peu de repos. De là, ils se dirigèrent au nombre de trente-six environ— car plusieurs insurgés étaient venus les retrouver à Moriez - vers le village d'Angles, puis sur Vergons. A Vergons, on vint les prévenir qu'on se disposait à leur couper la route du pont de Gueydan, seul point par lequel il leur était loisible de gagner le Piémont. Malgré leur fatigue, ils se remirent de nouveau en marche... Duteil a décrit dans une brochure ces heures d'angoisse!

<< Par où nous avons passé? Il me serait << bien difficile de le dire. Nous étions tantôt <«< au milieu des rochers, tantôt au bord des << précipices dont la vue donnait le vertige et «fesait dresser les cheveux sur la tête. La «<lune, qui éclairait cette nature abrupte de << montagnes couvertes çà et là de plaques de <<< neige, occasionnait des phénomènes de mi«rage: je voyais des villes, des clochers et « des forêts, là où il n'y avait que des rochers << volcaniques et des masses de granit. Nous

<«< nous donnions le bras pour nous soutenir « les uns les autres; on poussait en avant les « plus fatigués. Martel, avec les guides, était « en éclaireur. Amalric et Campdoras aidaient <«<les trainards à nous rejoindre. Enfin, après « avoir monté et descendu, remonté et des<«< cendu encore, traversant quelques villages <«<en silence, nous arrivâmes à trois heures << dans une sorte de plaine qui paraissait fer«mée de tous côtés par des rochers perpen«diculaires. C'était comme un cercle de l'enfer <«< du Dante. Nous longeâmes le côté que n'é<«<clairait pas la lune. Le pont de Gueydan « n'était plus qu'à cent pas devant nous. Là, « était un poste de la douane qu'on avait peut« être renforcé. On s'arrêta un moment dans « une caverne, pendant que Martel et les gui« des allèrent reconnaître le passage. Pendant « ce temps, on réamorça les armes; puis, à uñ «coup de sifflet, on s'ébranla pour aller de « l'avant. Perès, le vieux capitaine de la Garde« Freinet, n'avait qu'un pistolet; je n'avais << rien du tout; on nous fit mettre au centre, << et l'arme haute, le doigt sur la détente, nous << passâmes devant la douane, laissant le pont « à notre droite, et continuant toujours, dans « l'ombre, notre route en longeant les bords << rocailleux du Var. Après avoir fait cinq cents « pas, nos guides nous embrassèrent, nous

<«< disant : « Vous êtes sauvés. » Ils pleuraient de « joie. On leur donna comme souvenir nos plus <<< belles armes de chasse. »

Au point du jour, les républicains arrivèrent à Sausse... Ils y restèrent peu d'instants et une demi-heure après, ils touchaient le sol piémontais... Ils trouvèrent une réception cordiale dans une pauvre ferme de la frontière... Le 17 décembre au soir... ils entraient dans Nice.

Je n'ai pas à les suivre dans cette vie de l'exil, que partagèrent bientôt tant d'émigrés français, proscrits à la suite du coup d'État. Je n'ai qu'à dire ici, que la terre étrangère reçut ces infortunés avec un généreux empressement... Aussi le 18 décembre, un rédacteur de l'Avenir de Nice, pouvait écrire ces mots, sans être démenti : « Il ne s'agit pas ici d'opinion -« politique, mais d'humanité. Devant la pros<«<cription et le malheur, il n'y a pas d'enne<< mis: il n'y a que des frères! >>

XVIII

Je ne dois pas clore encore le martyrologe des insurgés de décembre! Il me reste à raconter le plus lugubre drame que je connaisse, le plus inutile crime que le livre des guerres civiles ait à enregistrer. Dans le cours de ce récit, j'ai montré la Réaction implacable dans sa victoire! On va la voir maintenant plus cruelle que le destin, se hâter de réparer les généreux oublis de la Providence, et livrer à la mort celui dont la mort n'avait pas voulu.

J'ai déjà narré l'essai de fusillade fait aux environs du château de la Baume sur l'estafette Martin Bidouré, expédiée par Duteil à Arrambide. Martin n'était pas mort. Après le passage de la colonne, il se releva sur les ge

noux, et tout sanglant s'assit sur le bord du chemin. Puis, lentement, il gagna le château de la Baume où le fermier le recueillit et lui donna les premiers soins. Mais, la nouvelle du désastre d'Aups arrivant inopinément, le fermier pensa que l'hospitalité accordée à Bidouré allait le compromettre, et songea à s'en débarrasser... Le fermier agit-il sous son impulsion personnelle... Qu'importe? Celui qui a eu l'idée de livrer le proscrit a dû, depuis longtemps, trouver dans les remords de sa conscience, le châtiment de sa lâcheté.

Le samedi, 13 décembre, à cinq heures du soir, Martin escorté par les femmes du château de la Baume, entrait à l'hospice d'Aups. Ce point ne saurait être contesté. La supérieure de l'hospice d'Aups, de qui je tiens tous les détails qui vont suivre, affirme, en effet, avoir vu le samedi seulement, et non point le vendredi comme l'a dit M. Maquan, Martin pour la première fois.

Bidouré avait à la jambe une blessure causée par un coup de sabre; il portait en outre derrière l'oreille une éraflure produite par une balle. Il pria doucement la religieuse de le panser. Cette dernière, avec un dévoûment évangélique, s'empressa de le soigner. En ce moment sans doute, l'autorité fut avertie de l'arrivée de l'insurgé le pansement était à

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