Page images
PDF
EPUB

QUATRIÈME PARTIE

L'EXIL

XIX

La déroute d'Aups fut le coup de grâce de l'insurrection dans le Var. A partir de ce moment, la terreur courba ce département sous un joug de fer dont il ne s'est pas relevé!

Plusieurs mouvements de troupes eurent lieu encore. Le 12, le colonel Trauers, accompagné du préfet Pastoureau, occupa militairement la Garde-Freinet. Déjà le 9, le sous-préfet de Toulon et le procureur de la République, à la tête de deux compagnies, avaient marché sur Collobrières. De son côté, le colonel de Parron commandant la place d'Antibes, envoyait cent cinquante hommes à Grasse, et cinquante à

Saint-Laurens du Var, pour tenir en respect les villages voisins de la frontière piémontaise. Mais ces opérations sans importance, n'amenèrent d'autre résultat que l'augmentation du nombre, déjà énorme, des prisonniers.

Ce nombre fut considérable, et près de trois mille citoyens allèrent méditer dans les prisonssur les bienfaits du coup d'État! Les campagnes furent littéralement dépeuplées; et le Moniteur du 29 janvier 1852 constate que, dans le Var, les récoltes ne purent être faites, faute de bras. Les olives restèrent partout sur les arbres... Enfin, par arrêté du général Levaillant commandant l'état de siége, les familles des insurgés furent soumises au régime des garnisaires.

Il n'est pas inutile, dans une histoire comme celle-ci, de rappeler les traitements auxquels le zèle des agents secondaires du coup d'Etat, soumit les prisonniers de décembre. Ces traitements furent inexorables; car dans les victoires de la force contre le droit, si la responsabilité des attentats doit peser sur ceux qui en sont les ordonnateurs suprêmes, c'est chez les tyranneaux subalternes qu'il faut chercher la bassesse de la vengeance et le raffinement de la cruauté.

Les arrestations furent faites en masse et sans discernement. Sur la plus légère dénonciation,

les maisons étaient envahies, fouillées de fond en comble; sur les apparences les plus futiles, leurs propriétaires étaient détenus et conduits, enchaînés, la corde au cou, dans les prisons ou les casemates. « Pourquoi les enchaîner, << disait M. Maquan à M. de Colbert, en voyant passer les prisonniers,... puisqu'ils ne nous « ont pas enchaînés nous-mêmes?... » Accusation terrible! Mais en ces jours de deuil toute pitié semblait éteinte dans l'âme des vainqueurs!

Parfois les républicains essayaient de se soustraire par la fuite aux mandats d'amener décernés contre eux. Tentative périlleuse... Témoin cet ouvrier bouchonnier, Minjaud, qui glissa entre les mains des gendarmes et échappa par miracle aux coups de feu tirés sur lui par ces derniers.

Les captifs étaient dirigés sur Draguignan et sur Toulon où on les enfermait dans la sombre citadelle du fort Lamalgue. Pendant la route, les menaces de mort les plongeaient à chaque instant dans des angoisses affreuses. Qui ne connaît dans le Var l'histoire de ce notaire de Salernes, M. Garriel, qui dans le trajet de cette ville à Draguignan, fut par trois fois sur le point d'être fusillé ?... A un moment donné,. il crut même si bien sa dernière heure venue, qu'il confia sa montre à un gendarme de l'es

corte, en le priant de vouloir bien la remettre à sa famille, à titre de souvenir !

De tous les points du département, les prisonniers étaient conduits entre des haies de soldats, dans les cachots bientôt encombrés par ces hôtes inattendus! C'est ainsi qu'à Cuers on laissa pendant plusieurs heures un convoi de cent quatrevingts hommes environ, entassés dans une geôle pouvant au plus en contenir dix ou douze... Les murs de cette prison étaient barbouillés d'ordures; les dalles couvertes d'urine corrompue... Quant au fort Lamalgue, désigné comme le dépôt central des insurgés arrêtés... il reçut à lui seul près de quinze cents républicains!

C'est là surtout que les patriotes eurent le plus à souffrir. Le commandant du fort, M. Cruppy, homme d'une sévérité inouïe, a laissé au cœur de ceux qui furent soumis à ses rigeurs, les plus cuisants souvenirs! Lorsque les insurgés arrivèrent au fort, on les fit mettre sur deux rangs, et, comme au bagne, on les numérota! Puis, on les entassa dans les casemates, souterrains humides et infects! Des Arabes les y avaient précédés..... laissant sur la paille pourrie une vermine qui dévora les prisonniers. Ces oubliettes étaient plongées dans une morne obscurité...

La paille qu'on leur avait accordée étant insuffisante, ils dormaient les jambes allongées

sur les dalles nues... Puis, comme les souterrains étaient privés d'air, vu l'absence de ventilateurs, des miasmes délétères empestèrent bientôt les salles profondes... Ces prisonniers seraient morts peut-être des suites de quelque terrible épidémie, sans la charité d'un capitaine qui ordonna d'établir dans les casemates un fort courant d'air.

La veille de la Noël, une grande joie fut concédée aux captifs. Ils purent éclairer des chandelles! Jusque-là ils avaient vécu dans la nuit noire, au milieu des douleurs, des amertumes, des nostalgies sans nom de la captivité! Ils eurent aussi la faculté d'écrire, sous la surveillance du commandant, à leurs familles désolées. Au bout d'une vingtaine de jours, on leur permit enfin de monter dans les casemates supérieures.

Leur nourriture était détestable et insuffisante (1). Les favorisés de la fortune pouvaient seuls se procurer un supplément de ration, qu'ils payaient très-cher et qui n'en était pas moins exécrable. Un condamné militaire du nom de Bourbon, était, en sa qualité de cantinier, le fournisseur de ces rations supplémentaires. Cet homme dut réaliser là d'importants bénéfices!

(1) Marquetty me disait avoir trouvé dans la soupe des cheveux, des morceaux de peignes, et jusqu'à des vers énormes !...

« PreviousContinue »