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M. Maurel pria les insurgés de respecter cet intérieur désolé. Ils y consentirent sans difficultés, et l'engagèrent seulement à se faire donner les fusils appartenant à M. Gerffroy. Mme Gerffroy ignorait où étaient ces armes. M. Maurel sortit bientôt en déclarant n'avoir rien trouvé. Un paysan lui cria: « Cherchez dans «tel tiroir. » M. Maurel rentra seul, fit ouvrir ce tiroir et y trouva en effet de la poudre et des balles, aussitôt remises aux insurgés.

Et voilà l'histoire de ces perquisitions violentes dans ces foyers « que nul ne res« pecta (1) ».

Pendant que l'insurrection grandissait dans le canton du Luc, des scènes analogues bouleversaient la Garde-Freinet.

(1) L'interventlon de M. Maurel lui valut de la commission mixte dix ans de déportation.

VI

La Garde-Freinet, située sur la crète des Maures, est entourée de bois énormes, de forêts de châtaigniers et de chênes-liége, sombre et luxuriant tapis de verdure jeté sur les montagnes de granit. En 1851 ce village était composé d'une population de rudes montagnards, d'un courage à toute épreuve, et depuis longtemps imbus des idées républicaines. Déjà, dès l'automne de la même année, des désordres assez graves avaient eu lieu à la suite d'un arrêté préfectoral, ordonnant la fermeture d'un prétendu club (1). Pour parvenir à ses

(1) Ce club n'était autre chose, que le siége d'une association formée par les ouvriers bouchonniers, pour faire une concurrence légitime au monopole des riches négociants de liége...

fins, l'autorité avait cru devoir user d'un stratagème pittoresque! « L'autorité judiciaire qui «se transporte immédiatement sur les lieux, << a besoin de s'entourer d'un appareil militaire «< imposant. Un jeune substitut, plein de ré« solution, d'énergie et d'intelligence, M. « Niepce, ne parvient à faire respecter la loi, « qu'à force de patience, et grâce à un ingé<< nieux stratagème. Sous prétexte de rensei<< gnements à demander, il convoque au do« micile du maire les gens les plus compromis, << après avoir pris ses mesures de concert avec «<les chefs militaires. Les coupables arrivent « sans défiance.... Les meneurs, comme pris « au piège, sont arrêtés à leur entrée dans « la maison du maire. »

Je voudrais bien savoir ce que M. Maquan aurait écrit sur « ce stratagème » si les insurgés s'en étaient servi à l'encontre de M. Niepce. Quoiqu'il en soit, l'expédition du jeune substitut laissa dans le cœur de ces robustes et âpres natures, d'amers souvenirs. Dans le but de les apaiser ou de les contenir, on appela à la Garde

Les scellés ayant été apposés au siége social, les ouvriers, entrainés par leurs chefs, persistèrent à vouloir s'y réunir. C'est alors que le maire, M. Mathieu, « héros des barricades de février, Pons le pharmacien et plusieurs de leurs amis avaient été arrêtés et conduits dans les prisons de Draguignan, sous la prévention de bris de scellés et de rébellion contre la force armée.

Freinet une brigade de gendarmerie supplé

mentaire.

A la nouvelle du coup d'État, l'insurrection éclata instantanément à la Garde-Freinet, et les républicains -ouvriers bouchonniers pour la plupart quittèrent avec joie leurs travaux

pour prendre les armes.

Leurs chefs expédièrent des estafettes dans les communes voisines, en leur enjoignant de renverser les municipalités réactionnaires, et de se tenir prêtes à marcher le lendemain. A la tête des patriotes de la Garde-Freinet, se trouvaient Amalric, ancien sous-officier de cavalerie; Marquetty, François, homme d'une trempe solide; Jaume, propriétaire; Esperiduon Senequier; Simonet; Eugène Guillabert; Florimon Blanc; Borjac; Colle; Gastinel, etc.

Les autorités essayèrent d'abord de faire bonne contenance. Le maire réunit les brigades de gendarmerie à la maison commune. De leur côté, durant la nuit du 3 au 4, les patriotes restèrent en permanence.

Dans la journée du 4, la foule, au milieu de laquelle on distinguait un grand nombre de femmes, se dirigea sur la mairie, aux cris de « Vive la République, à bas Napoléon! » et au chant de la Marseillaise.

A la maison commune, se trouvaient le maire, ses deux adjoints et onze gendarmes.

La foule demanda au maire la remise de son écharpe, la dissolution du Conseil municipal et la reconstitution de la municipalité républicaine, récemment dissoute par arrêté préfectoral.

Le maire, comprenant devant l'unanimité et l'énergie de ce soulèvement, l'inutilité de la résistance, se démit, ainsi que ses deux adjoints, de ses fonctions.

Un comité révolutionnaire leur succéda aussitôt. Par ses ordres, un cordon de sentinelles fut disposé autour de la ville pour empêcher toute surprise, et prévenir la fuite des réactionnaires. Une première proclamation ordonna ensuite aux propriétaires connus par leurs convictions hostiles, de venir déposer leurs armes et leurs munitions à la mairie. Cette proclamation n'ayant amené aucun résultat, le comité décida que des visites domiciliaires seraient faites, et que les individus nantis d'armes - au mépris de l'arrêté — seraient immédiatement fusillés.

Cette menace, peu sérieuse, obtint le résultat désiré... On apporta en masse des armes de toute espèce à la mairie. Ces farouches montagnards s'approvisionnèrent ainsi largement de fusils! On verra plus loin l'usage qu'ils surent en faire.

A la Garde-Freinet comme au Luc, le comité

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