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détermination, à laquelle ils s'arrêtèrent, fut de charger le docteur Campdoras, du soin de dépouiller les courriers interceptés, et de cacher aux yeux des républicains, les nouvelles défavorables à la cause de la liberté.

On débattit ensuite la grave question de savoir s'il fallait marcher sur Draguignan, pour s'emparer de la préfecture. Presque tous étaient de cet avis, le seul digne assurément de cette grande manifestation populaire. Une correspondance adressée de cette ville à la Gazette des Tribunaux contient en effet ce passage caractéristique « Le chef-lieu tombé entre «<les mains des insurgés, toutes les commu«nes étaient en feu... La montagne tombait << sur nous, et le département en entier était « au pouvoir de l'insurrection. »

Campdoras soutenait énergiquement cette proposition. Maillan, président de la Société la Montagne, et l'un des chefs vidaubanais, y était au contraire très-hostile. Il supposait le chef-lieu garni de troupes et en considérait dès lors l'attaque comme tardive et dangereuse. La discussion dégénéra en vivacités regrettables entre ces deux républicains, et un incident faillit la rendre dramatique. J'extrais en effet ce passage d'une lettre de Campdoras : « Je « venais de faire arrêter un certain docteur « Décugis qui habite Ollioules, et cette arresta

<«<tion devint la cause d'une dispute très-vive << entre Maillan, le commandant du bataillon <«< Vidaubanais, et moi. Maillan prétendait que << son ami Décugis, était un honnête homme. « Moi, persuadé du contraire, je maintins son <«< arrestation, et demandai celle de Maillan, << qui avait perdu la tête. D'autres voulurent « que Maillan fut fusillé. >>

A partir de ce moment, Maillan cessa son opposition et le lendemain il se mettait courageusement à la tête des cinq cents volontaires de sa localité.

Les chefs en étaient là, quand on leur annonça l'arrivée d'un homme, qui, pour le malheur des républicains, allait jouer un rôle des plus importants dans l'insurrection du Var: je veux parler de Duteil.

Duteil arrivait de Brignoles, où il est temps de voir ce qui s'était passé.

VII

Brignoles, chef-lieu d'arrondissement, était comme les autres villes du Var, un centre d'action républicaine, plus modéré pourtant que bon nombre de communes du département. Les chefs de la démocratie brignolaise, MM. Barbarroux, docteur; Constant, ancien sous-commissaire du Gouvernement Provisoire; Giraud, agent-voyer, y avaient toujours agi dans un sens pacificateur et conciliant.

Le coup d'État causa à Brignoles une profonde émotion. Il venait en effet mettre face à face avec une réalité poignante, des hommes jusque-là convaincus que la France, ne supporterait pas l'humiliation de ce qu'on a appelé avec tant de justesse : « Une Révolution par guet-apens! »

Là fut peut-être le secret de l'inaction de la plupart des républicains, en décembre 1851. Ceux de Brignoles n'échappèrent pas à cette fatalité commune. Persuadés que le pays entier, allait protester contre les mesures de violence attentatoires à la Constitution, ils décidèrent dès le 3, que leur parti garderait une attitude prudente, et attendrait le résultat du mouvement dans les grandes villes du Midi.

La journée du jeudi 4 fut assez calme. Mais l'arrivée d'un journaliste de Marseille fort connu dans le Var, Camille Duteil, bouleversa cette population.

Duteil quittait Marseille, d'où il s'était enfui, devant les mesures énergiques prises par le général Hecquet. Sa venue nocturne à Brignoles, changea subitement les dispositions des patriotes.

Duteil était en effet d'une haute stature, et ses fortes moustaches imprimaient à sa physionomie, un caractère belliqueux peu en harmonie avec les timidités de son âme. Lorsqu'il se présenta au café du Cours, le jeudi soir, dans la réunion démocratique présidée par Constant, le sabre pendu aux côtés, les pistolets passés à la ceinture, il eut l'air d'un foudre de guerre, impatient de se mesurer avec l'ennemi. Pauvre Duteil! La suite de ce récit, démontrera l'incapacité inouïe de ce futur chef de l'insurrection.

Au café du Cours, Duteil demanda la parole, et se prononça énergiquement pour une prise d'armes immédiate. Il essaya de démontrer, dans un langage fougueux, l'opportunité de l'insurrection, et les dangers d'une hésitation utile au succès du coup d'État. L'ancien sous-commissaire Constant, lui objecta, avec non moins de passion, tous les périls d'un soulèvement partiel, si le pays restait calme et ne résistait pas par la force aux décrets présidentiels.

L'opinion de Constant produisit une grande sensation sur l'esprit de ses auditeurs... Impression de peu de durée, car Duteil, avec une nouvelle force, reprit la thèse de l'insurrection immédiate et entraîna la majorité. Constant se rallia aussitôt à ses amis, et l'on verra plus loin sa participation courageuse au soulèvement du Var.

A l'instant même, des émissaires furent expédiés dans les communes environnantes, pour y porter le signal de la Révolution.

A sept heures du matin, un rassemblement de cinq à six cents hommes se forma sur le Cours et marcha sur la Mairie au chant de la Marseillaise. A l'Hôtel de ville, où les défenseurs de l'ordre, si héroïques dans la répression, brillaient par leur absence, on procéda à l'installation d'une commission révolutionnaire, à la tête de laquelle on plaça le docteur Barbar

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