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tionnaires des eaux de Paris s'étoient occupés du succès de leur établissement beaucoup moins que d'un jeu sur les actions, beaucoup moins que d'une spéculation sur la crédulité publique. Mais cette manœuvre, et tous ses ressorts, et toute son absurdité avoient été dévoilés et dénoncés dans un écrit, qui restera comme un monent ineffaçable de ces temps de désordres et d'erreurs ; vous n'ignorez pas, Messieurs, que l'auteur de cet excellent écrit siége dans cette Assemblée (1). Les illusions ainsi dissipées ne laissèrent à leur place que des réalités peu consolantes consolantes pour les spéculateurs engagés dans l'entreprise des eaux. Le décri s'y attachia, les actions retombèrent; mais les principaux intéressés appercurent enfin le meilleur expédient pour sortir d'embarras. Ils conçurent le projet hardi, de substituer à eux-mêmes le gouvernement; et à des actions sans valeur, l'argent du trésor public: vous allez voir, Messieurs, comment le succès a dépassé leurs espérances ; et comment, par une suite de traités entre eux et les derniers ministres des finances, ils sont parvenus à puiser plus de 20 millions dans le trésor de l'Etat.

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Le premier traité fait entre la compagnie des eaux et l'administration est du 19 septembre 1784. Messieurs Périer exposèrent au ministre des finances que leur établissement étoit menacé de ruine, et qu'il étoit absolument nécessaire que le gouvernement vînt à son secours. Sur ce simple exposé, soutenu de quelques lieux communs sur l'utilité

(1) M. de Mirabeau.

publique de cet établissement, le ministre prit un bon du Roi, et des deniers publics, il prêta à Messieurs Périer 1,200,000 liv. ; ceux-ci donnèrent pour sûreté mille actions des eaux, et la garantie personnelle de MM. Serilli et Sainte- James, quelque temps après firent faillite.

DEUXIÈME TRAIT É.

qui

Dès que la voie des emprunts eut été ouverte aux agioteurs, car cette fois, Messieurs, c'est véritablement d'eux qu'il est question, il ne leur fallut plus que des prétextes pour puiser au trésor public; et . les prétextes ne manquerent point, ainsi qu'on va le voir. On tenta d'abord de persuader au ministre des finances, que le crédit du trésor public étoit lié à celui des compagnies agioteuses de la capitale, et que l'administration seroit bientôt sans ressources, si elle n'employoit les revenus de l'état au soutien des effets dont l'agiotage s'étoit emparé. Il n'est que trop vrai que le ministre des finances se laissa persuader cette périlleuse doctrine, et, au mois de décembre 1786, il prêta, même sans exiger aucune sureté, 4,600,000 1. pour soutenir particulièrement les actions des eaux (1). Ce n'est pas ici le lieu de discuter l'un des plus coupables et des plus absurdes égaremens de l'administration passée; le comité de liquidation en remplissant vos ordres et ses devoirs, vous soumettra incessamment une série des écarts d'un régime, dont les erreurs et les vices constatés vous dévoileront, bien mieux que

(1) M. de Veymeranges reçut cette somme. Le rapporteur du comité de liquidation avoit supprimé les noms en exposant les faits; mais l'Assemblée nationale ayant ordonné que les noms qu'elle a demandés fussent imprimés, ils sont portés en note.

beaucoup de raisonnemens, les vrais principes d'une saine administration des finances; ici il ne doit être question que d'un enchaînement de faits: je passe au troisième traité relatif aux actions des

eaux.

TROISIÈME

TRAITÉ.

Le 10 Avril 1786, le ministre des finances donna à un particulier (1) l'autorisation spéciale ( je vais rapporter les propres expressions de cet acte): De faire acheter et vendre, aux meilleures conditions possibles, un nombre d'effets qu'il croira convenable, et qu'il pourra choisir parmi tous ceux qui auront cours sur la place de Paris.

Le mandataire du ministre se donna aussi son mandataire, et autorisa un banquier de Paris (2) à acheter trois ou quatre cents actions des eaux. En vertu de cet acte, daté du 28 Mai 1786, le banquier passa, au compte du gouvernement, d'abord cent actions qui appartenoient à lui-même; ensuite deux cents quatre-vingt-deux autres actions qu'il fit acheter à la bourse; les unes et les autres au prix commun d'environ 3830 liv.

Après les avoir long-temps gardées, il se ressou vint de cette commission, et il obtint, le 3 mai 1788, un arrêt du conseil qui lui alloua, et en vertu duquel le 5 de Juin suivant, il toucha au trésor royal la somme de 1,463,220 l. Vous remarquerez, Messieurs, que cependant, peu de temps après l'époque de cet achat, les actions remontèrent au prix de 4,000 liv., qu'alors elles auroient

(1) M. Desmarets.

(2) M. Campi.

pu et dû être vendues, même avec profit pour le trésor public, puisqu'on le faisoit descendre à de pareilles manoeuvres. Mais à l'époque où l'on vint les lui représenter, le prix étoit tombé de plus de 1,300 liv. par chaque action, ce qui créa la perte considérable à laquelle l'administration voulut bien se résigner et se condamner elle-même. Aujourd'hui le même banquier réclame encore et pour la même affaire, une indemnité assez considérable; il fonde sa demande sur le long crédit qu'il a fait au trésor public. Vous observerez cependant, Messieurs, qu'on lui a déja alloué, et qui plus est, payé cinq pour cent d'intérêt, pour ses prétendues avances. Néanmoins il réclame toujours son indemnité; passons au quatrième traité,

QUATRIÈME

TRAITÉ.

Il n'est personne dans l'Assemblée nationale qui ne sache aujourd'hui ce qu'on entendoit par faire un service au trésor royal on remettoit · aux faiseurs de service des assignations ou des rescriptions payables ordinairement à un an de terme, et ils les négocioient sous la réserve d'un droit de commission que l'administration leur allouoit.

Un capitaliste (1) offrit au gouvernement, au mois d'octobre 1787, de faire de cette manière un service de 30 millions, et sa proposition fut admise,

L'administration étoit dans l'usage d'accepter comme argent les lettres-de-change des principaux banquiers de Paris. Le faiseur de service dont il s'a

(1) M. de Seneffe,

git,

git, profita de cette facilité. Il commença par faire recevoir au trésor royal pour 3,881,619 liv. 5 s. 9 deniers de lettres-de-change d'un seul banquier (1); mais après que les lettres-de-change eurent été acceptées par l'administration, il se trouva que ce banquier n'avoit que des actions des eaux pour payer ses lettres-de-change.

Quel parti prit alors le ministre (2)? on lui tendit un piége, et il s'y laissa engager. On vint lui assurer que les affaires du banquier débiteur pouvoient s'arranger, etque le trésor public recouvreroit ses premières avances, pourvu qu'il en fit de nouvelles. C'étoit, disoit-on, un effort commun pour atteindre un avantage réciproque, et le rétablissement de la fortune du débiteur de l'administration étoit présenté comme l'unique moyen de sauver les deniers du trésor public. Cet expédient ayant été adopté par le ministre, il arriva effectivement que le banquier paya les 3,881,619 livres qu'il devoit pour l'acquit de ses lettres-de-change; mais ce fut en devenant d'autre manière et très - astucieusement, débiteur du trésor public d'une somme presque double de la première; c'est-à-dire, messieurs, qu'un membre (3) de ce comité des finances, dont le ministre d'alors avoit composé son conseil particulier, traita pour le gouvernement, avec le banquier-débiteur d'environ quatre millions, et des deniers du trésor public fui prêta, par actes notariés des 28 janvier et premier mars 1788, 6,881,619 liv. qui n'ont jamais été rendus; mais, à leur place, on remit en nantissement deux mille cinq cents cinquante-huit actions des eaux. Vous ne doutez

(1) M. Pourrat.

(2) M. l'archevêque de Sens.

(3) M. le Normand.

Rap. de M. Batz, sur la comp. des eaux. A 5

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