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garder comme celle de foi-même, a fait germer d'idées nouvelles dans l'efprit de nos artistes françois. Mais on en pourroit juger par une première efquiffe que j'ai fous les yeux, des efforts inattendus auxquels de toutes parts on fe dispose; je ne la présenterai point ici: il me fuffira d'annoncer que mille genres d'industrie, ou qui n'étoient point encore venus dans la pensée des hommes, ou qui demeuroient enfevelis avec leurs premiers auteurs, ou que d'autres peuples avoient eu foin de conferver mystérieufement à leur usage & à leur profit, vont enrichir la France; & il est aisé de prévoir que 'les fciences vont tracer aux arts de nouvelles routes, en même temps que les arts vont offrir aux fciences de nouveaux moyens de réaliser leurs grandes conceptions.

Et qui pourroit calculer tout ce que la physique, la chimie, la chirurgie, préparent de fecours & de confolations à notre foibleffe & à nos infirmités? qui pourroit fe représenter toutes les merveilles que la "mécanique, cette extenfion incalculable de la force & de l'adreffe humaine, eft fur le point d'opérer ? Il femble qu'un nouvel ordre de chofes foit prêt à paroître, & que les imaginations françoifes deviennent autant d'ateliers invifibles où fe préparent des fupplémens à tout ce que nous connoiffons. Mais au milieu de cette grande fermentation > une penfée se préfente la première à mon efprit, c'eft que toutes ces idées toutes ces méditations, tous ces effais, tous ces travaux, fe dirigent & tendent avec une forte d'émulation au foulagement & à l'embelliffement de la fociété. Servir le monde, ou lui plaire, voilà le but commun de tous les inventeurs. Je vois les uns étudier & propofer ce qui manque à la perfection des filatures & des tiffus; d'autres fongent à multiplier les moyens d'économie & de sureté dans l'intérieur de nos demeures; un autre cherche à diminuer pour l'état la confommation exceffive des matières combustibles; là, ce: font d'infaillibles précautions récemment imaginées contra

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les dangers multipliés des voyages; ici l'on présente à l'homme une armure ingénieufe qui doit le rendre infubmerfible; plus loin, on lui offre la facilité de vivre dans un autre élément, & de travailler fous les eaux, pendant qu'ailleurs on croit avoir trouvé des procédés plus sûrs & plus prompts pour rendre les marais à la culture & à la falubrité; & que plus loin, on s'occupe de porter à peu de frais l'arrofement & la fécondité dans des terrains qui paroiffoient condamnés par la nature à une éternelle féchereffe.

Quand d'auffi belles tâches ne feroient point parfaitement remplies, ne devroit-on pas toujours quelqu'eftime aux hommes qui fe les propofent? Sans doute; une véritable gloire attend ceux qui réuffiront dans ces grandes entreprises: mais ceux-là mêmes qui s'exerceront fur des objets moins importans, ne resteront pas fans honneur; car les hommes tiennent compte de ce qui leur eft agréable, comme de ce qui leur eft

utile.

Pourroit-on regarder, fans intérêt, les efforts industrieux de celui qui s'emprefferoit à faifir & à fixer les plus imperceptibles linéamens, les nuances les plus fugitives de chaque herbe & de chaque fleur, & qui fe promettroit d'offrir une collection comme vivante de toutes les plantes de l'univers ?

Seroit-on indifférent pour un des nos artiftes qui, par des procédés ignorés, parviendroit à reffufciter l'art prefqu'oublié du filigrane, & à laiffer bien loin derrière lui les plus patiens & les plus adroits ouvriers de l'Indoftan?

N'applaudiroit-on pas encore à celui qui confieroit au tiffu du velours les traits, les couleurs, les lumières, les ombres, les demi-teintes du tableau le plus fini, & qui parviendroit à douer, pour ainfi dire, une navette des talens d'un grand peintre? Rien n'empêche que d'autres ne fe livrent en même tems à des études plus férieufes; ainfi, par exemple, à côté des artiftes qui s'appliqueront aux ouvrages les plus délicats,

on pourra voir un favant effayer de déterminer la pefanteur réelle des corps au milieu des fluides qui les contrebalancent, & tenter d'offrir au commerce universel, un poids à l'abri de l'influence des tems & des climats. Le même homme entreprendra de montrer une mesure toujours égale à elle-même, dans une ligne géométriquement correfpondante à la distance de deux étoiles fixes, & il a conçu l'efpoir d'opposer la régularité des corps céleftes aux variations inévitables & perpétuelles des fubftances de notre globe.

Plufieurs amis de l'humanité, à l'envi l'un de l'autre, travailleront à faciliter & régularifer la mouture, cette première & fi importante préparation de l'aliment univerfel. Ils fe ferviront de forces d'un genre inconnu. Ils économiferont celles dont on fait ufage. Ils efpèrent affujétir les eaux & les vents à de nouvelles lois. Ils veulent demander aux machines ellesmêmes un nouveau compte des grains qui leur font confiés, & promettent au genre humain de lui conferver déformais cette partie confidérable de fa nourriture, que l'imperfection des moulins a jufqu'à présent absorbée en pure perte.

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Au milieu de tant d'hommes empreffés à fe rendre utiles a la grande famille humaine, il en est un qui tente un vol encore plus audacieux ; il affure que de longues & profondes méditations fur la nature des chofes & fur l'action réciproque des fluides lui ont enfin découvert un agent plus puiffant que ceux dont nous avons jufqu'à présent invoqué le fecours. Il fe flatte avec cette aide nouvelle, de maîtrifer les élémens les uns par les autres, & de pouvoir appliquer un jour leurs forces incompréhenfibles à des travaux prodigieux. Ces merveilles, dira-t-on, n'exiftent point encore; non fans doute; mais il fut une époque où l'on pouvoit en dire autant de toutes celles qui exiftent. C'est rarement le génie qui doute

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du génie; il fait trop bien que rien ne lui eft impoffible pourvu qu'on lui donne un libre effor, pourvu que Promethe ne refte point attaché au Caucase.

Note 7, page 27. L'efprit inventif viendra faciliter nos

travaux.

Rendre facile ce qui eft utile, & produire plus d'effet avec moins d'efforts voilà la tâche commune que les arts se font propofés de tout temps & le but vers lequel ils ne cefferont jamais de s'avancer.

Le premier artiste qui a imaginé le moyen de fubftituer le travail d'une femme ou d'un enfant à celui d'un homme fait, eft devenu le bienfaiteur du genre humain, & celui qui diminueroit de moitié le nombre des ouvriers employés à une fabrication quelconque, mériteroit les mêmes éloges. Voici l'occafion de raffurer fraternellement les inquiétudes ordinaires à la plupart de nos ouvriers, & de les guérir, s'il se peut d'un préjugé trop accrédité dont, plus d'une fois, les fuites ont été funeftes à l'induftrie nationale.

Ces utiles citoyens, accoutumés à n'avoir que leur travail pour patrimoine, étoient pardonnables dans le principe, en penfant que diminuer le nombre des hommes employés à un traval, c'étoit enlever à plufieurs d'entr'eux les moyens de fubfifter; mais égarés par cette inquiétude, ils fe font portés, en plufieurs occafions, aux excès les plus dangereux; & dans leur défefpoir, ils ont quelquefois brifé des machines, imaginées pour fuppléer, d'une manière fupérieure, à l'imperfection du travail manuel. Je les plains, & par conséquent, je les excufe; mais fi je pouvois leur parler à tous voici ce que je leur dirois : « Vous favez tous que le prix de la plupart des fabrications dépend prefque en totalité de la herté ou du bon marché de la main-d'œuvre. Vous favez

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encore que le débit de telle ou telle fabrication eft plus grand; à mesure que le prix en devient moins confidérable. Vous favez que lorsque l'étranger parvient à fabriquer les mêmes objets à un prix fort inférieur au nôtre, il devient auffitôt notre concurrent; que bientôt il nous prime, & qu'alors nous n'avons plus de débit à efpérer. On a beau faire des défenses & des faifies, les fabrications étrangères femblent fortir de deffous terre, & fe montrent dans tous' nos magasins. Alors nos maîtres de manufacture voient leurs marchandifes leur refter; & comment feront-ils pour foutenir leur établissement ? Ils avoient auparavant beaucoup d'ouvriers chez eux, ils ne peuvent plus les occuper, ils ne peuvent plus les payer: voilà des entrepreneurs ruinés, voilà des ouvriers fans pain, & cependant l'argent de la France paffe à l'étranger, dont les manufactures ont hérité des nôtres. Si vous y réfléchiffez, mes amis, vous verrez que ce malheur, trop commun, tient ordinairement à la cherté de la fabrication françoife, & que cette cherté vient la plupart du tems de la quantité d'ouvriers qu'on y emploie. Il eft donc prefque toujours vrai de dire que ceux qui emploieront plus de monde à leur fabrication, finiront par ne plus fabriquer du tout, & par conféquent par ne plus employer perfonne. Pour vous rendre la chofe plus fenfible, je vais faire une fuppofition. Prenons pour exemple une étoffe dont le prix de fabrique feroit en France de 24 liv. Je fuppofe un moment que les étrangers qui ont adopté les inventions propres à diminuer le nombre des ouvriers, font parvenus à donner précisément la même qualité d'étoffe à 20 liv., le gouvernement a voulu empêcher ces étoffes de paffer en France; mais vous favez qu'il y a toujours des moyens de faire la contrebande ; & enfin les étrangers ont tant fait, que ces mêmes étoffes fe trouvent rendues dans nos magafins, & qu'elles y feront débitées à 22 liv. au lieu. de 24 liv. qu'elles coûtoient dans nos fabriques. Il est bien

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