Page images
PDF
EPUB

bien moins coupable que le ministre qui a publié si solennellement, et en tant d'occasions, qu'il est propriétaire des fonctionnaires, et que lear vote lai est irrévocablement engagé. Sur cette partie au moins de l'accusation, continue l'orateur, faites le procès au ministère avant de le faire au journaliste; car ce sont des doctrines ministérielles qui l'ont égaré, et non pas, certes, des doctrines oisives, mais des doctrines pratiques, où le précepte est souvent confirmé par l'exemple.

La prudence commune, cette prudence aussi vieille que le genre humain, enseigne que la situation particulière des hommes détermine leurs intérêts, et qu'il faut s'attendre trop souvent que leurs intérêts déterminent leurs actions. Là où le contraire arrive, il y a de la vertu; elle seule opère ce miracle. Je ie dis donc hautement, je le dis avec l'autorité de l'expérience universelle : il a fallu de la vertu aux émigrés pour se dégager de leur intérêt personnel dans le vote de l'indemnité; il faut de la vertu aux fonctionnaires pour rester indépendans. Quel est maintenant le crime du journaliste ? uniquement d'avoir jagé la Chambre vulgairement, comme juge la prudence commune, comiue juge l'histoire, et d'avoir cherché et trouvé l'esprit qui l'anime dans les lois ordinaires du cœur humain, plutôt que dans les lois extraordinaires de la vertu. Je comprendrais cette accusation là où le silence serait la loi du pays; mais là où la parole est la loi commune, et où chacun a le droit de dire ce qu'il a le droit de penser, le crime ne me paraît plus qu'une erreur, un tort plus on moins grave, qu'on peut censurer, mais qu'on ne peut pas panir. Je vous le demande, Messieurs, quel serait le degré de servitude d'un peuple provoqué à parler, et qui serait condamné à trouver toujours de la vertu à ceux qui le gouvernent ?»

Fusieurs autres orateurs, MM. Agier, Benjamin Constant, Sébastiani, Humann, et de Lézardière, combattaient la proposition qui fut appuyée par MM. Delaåge, Josse-Beauvoir, Fadatte de Saint-Georges, Sirieys de Mayrinhac et de Castelbajac. Dans l'opinion des premiers, « il était au dessous de la dignité de la Chambre de donner tant d'importance à un article de journal. La véritable source du respect que la Chambre devait inspirer était dans l'indépendance qui accueille avec force ce qui est bon, et repousse avec force ce qui est injuste (M. Agier). Il fallait se résigner à supporter des attaques qui sont de l'essence du gouvernement représentatif. On voyait, au langage des accusateurs, que le but secret de l'accusation était réellement de restreindre la liberté de la presse, et surtout de la presse périodique, puisqu'elle semblait déja solliciter une loi nouvelle » (M. Benjamin Constant). Quant à l'accusation considérée en elle-même, il semblait même au général Sébastiani que l'écrivain accusé n'avait fait qu'user d'un droit constitutionnel, exprimer un vœu que lui-même il partageait, celui du renouvellement de la Chambre.

«En Angleterre, dit-il, tous les jours la dissolution de la Chambre est demandée et provoquée; tous les jours elle est appuyée par des raisonnemens que je ne verrais pas avec plaisir employés par les journaux français, et qui sont bien autrement offensans pour la Chambre élective que ceux dont s'est servi le journal qu'on cherche à incriminer. Il est bien constant que si les écrivains ont le droit de demander le renouvellement de la Chambre, il faut aussi qu'ils aient celui de déduire les motifs sur lesquels s'appuie leur opinion, alors même que ce motif est celui que la Chambre a perda la confiance publique... La loi, dira-t-on, a été tellement prévoyante qu'elle a voulu garantir non seulement la Chambre élective, mais encore les tribunaux : les tribunaux en avaient besoin; la Chambre des pairs en a besoin également, parce que ce sont des corps permanens. Mais les corps amovibles sont attaquables de leur nature; si vous faites perdre aux tribunaux la confiance dont ils doivent être investis pour rendre la justice, si vous ôtez à la Chambre des pairs la confiance dont elle a besoin, vous bouleversez l'état; mais si vous attaquez la confiance de la Chambre élective, si vous motivez vos attaques sur des faits constans, sur des raisons fondées dans l'opinion publique, vous avertissez le monarque, qui, toujours libre dans son choix, prend les mesures que sa sagese lui conseille. »

De leur côté, les défenseurs de la proposition exposaient que les articles déférés à la Chambre constituaient l'attaque la plus manifeste à la loyauté d'un des trois pouvoirs de la Chambre; que leur but évident était d'insulter l'honneur de ses membres en disant qu'ils ne se sont servis de leur immense pouvoir qu'au profit d'intérêts personnels... (M. le vicomte Dutertre). La Chambre même aurait droit de se plaindre que le ministère public, chargé par état de veiller à la conservation de l'honneur de tous les citoyens, et des corps de l'état en particulier, n'eût pas, dans le temps où ces articles ont été livrés à la distribution, déféré le rédacteur responsable aux tribunaux, et qu'il n'eût pas ainsi évité à la Chambre. le droit toujours pénible de se faire justice elle-même (M. Delaage). Quelques orateurs (MM. Josse-Beauvoir, Fadatte de Saint-Georges, Sirieyes de Mayrinhac et de Castelbajac ) s'attachèrent spécialement à repousser les objections déja faites contre l'accusation. « Soumettre le redressement des outrages envers la Chambre à un tribunal, c'était mettre à sa discrétion l'honneur de la Chambre; c'était faire de la magistrature un corps politique... La Chambre des Députés avait été calomniće, depuis la dernière session, avec autant d'indécence que d'injustice. L'audace et le mensonge avaient réuni leurs efforts pour la dénigrer et l'avilir! De quel respect les Annuaire hist. pour 1826.

2

lois qu'elle était appelée à rendre seraient-elles entourées ? Mais du mépris de la loi au mépris de l'autorité royale qui la propose et la sanctionne il n'y a qu'un pas. Le but des ennemis de l'ordre serait bientôt atteint; l'anarchie ne tarderait pas à paraître... Supportez l'outrage, disait M. Josse-Beauvoir, et forts de l'impunité, bientôt les accusateurs iront et plus haut et plus loin que nous; et quand l'opinion aura appris à mépriser ce qu'elle doit respecter, qu'honneur, indépendance, loyauté, rien ne sera admis. Reportez-vous à trente ans, et vous saurez ce qui arrive dans cet état de choses. >>

La discussion fermée, quelques débats s'élevèrent sur les questions de savoir si la Chambre prononcerait sur la proposition de M. de Salaberry au scrutin secret, et si l'éditeur responsable, traduit à la barre, pourrait être assisté d'un conseil. La première fut admise à la majorité de 79 voix (189 contre 110), sur 299 votans, et la seconde fut accordée sans être mise aux voix.

Trois ministres, membres de la Chambre des Députés, assistajent à cette séance, mais ils se sont abstenus de prendre part au scrutin.

(28 février). La veille du jour indiqué pour la traduction de l'éditeur du Journal du Commerce à la barre, M. Bourdeau fut admis à développer une proposition déposée la veille, sur le mode à suivre dans cette circonstance nouvelle, ayant pour objet, 1o que l'appel nominal fût fait avant l'ouverture des débats, en sorte que les seuls membres alors présens pussent prendre part au jugement; 2o que si l'accusé était déclaré coupable, la priorité appartînt de droit à la proposition du minimum de la peine; 3° que toutes les propositions fussent soumises au scrutin secret par oui ou par non; 4° que la majorité, pour condamner, fût des cinq huitièmes des membres présens, etc. Une seule de ces propositions, la dernière, excita une vive opposition. M. Bourdeau avait insisté sur l'exemple suivi dans les tribunaux criminels, où les jurés ne peuvent condamner qu'à la majorité des deux tiers. M. Simonnot et M. Chifflet soutinrent que la Chambre devait juger à la simple majorité : le dernier rappela que la Chambre avait procédé de cette manière dans une circonstance bien plus importante (dans la discussion re

lative à M. Manuel); et ce procédé lui paraissait d'autant plus juste aujourd'hui, que l'on avait deux minorités à combattre. En appuyant la proposition de M. Bourdeau, M. de La Bourdonnaye, qui obtint ensuite la parole, revint sur la question principale.

• Ici, dit en substance l'honorable orateur, les considérations les plus graves se présentent. En voulant détruire toute opposition, c'est le gouvernement représentatif lui-même que vous attaquez dans sa base. Car sans l'opposition, le gouvernement représentatif ne serait plus qu'une tyrannie organisée. Ce serait de tous les gouvernemens le plus épouvantable; ce serait la convention avec une seule tête.

[ocr errors]

Tel est cependant le but où vous marchez. On commence par un journal pour arriver bientôt à tous les autres. Une époque viendra où les journaux contraires à la majorité seront écrasés tour à tour; ici c'est une majorité qui invoque la loi contre un journal de la minorité qui s'est permis une attaque injurieuse, il est vrai; mais comparez cette attaque avec celle des journaux ministériels, et vous verrez combien ceux-ci ont été plus véhémens, plus injurieux. Les conséquences de cette décision sont immenses. Tout se réduit à ceci : Plus de journaux d'opposition, plus d'opposition. Après l'avoir écrasée dans cette Chambre, vous voulez l'anéantir an dehors. Est-ce donc là, je vous le demande, est-ce là un gouvernement représentatif? Si vous n'en voulez pas, mieux vandrait le déclarer hautement. Dites-nous avec franchise: Nous ne voulons pas du gouvernement représentatif. Pour nous, qui avons fait serment de défendre la Charte, nous la défendrons tant que nous croirons pouvoir la sauver. Mais lorsque la majorité aura déclaré qu'elle n'en veut pas, nous nous retirerons en disant à la France: Nous avons rempli notre mandat; que la majorité remplisse le sien. »

En résultat, la proposition de M. Bourdeau, encore combattue par M. Dudon, ne fut pas prise en considération; mais l'on va voir en quoi les formes.qu'il demandait furent observées.

(1er mars.) Dès le matin du jour indiqué pour la traduction à la barre de l'éditeur du Journal du Commerce, un appareil militaire non moins propre à attirer la foule qu'à la contenir était déployé sur le péristyle du palais de la Chambre, et maintenait l'ordre parmi les curieux qui n'ont pu être admis qu'en petit nombre à cette séance, où le tribunal législateur allait être mis lui-même

en cause.

L'appel nominal fat fait sur la demaude du général Sébastiani pour constater le nombre des députés présens à cette séance, afin que ceux qui surviendraient après les débats ne pussent prendre part à la délibération. M. Casimir Perier, demandant la parole pour un fait personnel, exposa qu'il était du petit nombre des nó

gocians qui avaient concouru avec d'anciens députés et pairs de France, dans les intérêts de l'industrie et du commerce, à fonder le journal inculpé; que, bien que les propriétaires fussent entièrement étrangers à la rédaction du journal, ils étaient pécuniairement intéressés au journal lui-même, et que, comme ils pouvaient être passibles d'une partie d'amende dans la portion d'intérêt qui leur était afférente, il se trouvait lui (M. Casimir Perier) être juge dans sa propre cause; il croyait donc devoir s'abstenir de prononcer : déclaration que M. Humann fit également pour le même motif, et que la Chambre reçut sans autre explication.

Le prévenu (François-Michel Cardon) ensuite introduit, interrogé s'il était l'éditeur responsable du Journal du Commerce, s'il n'avait pas déja été poursuivi et condamné à raison de la rédaction de ce journal, répondit qu'il exerçait cet emploi depuis trois ans, qu'il avait été condamné deux fois, la première à trois mois de prison et 2,000 fr. d'amende, la seconde à six mois de prison et 3,000 fr. d'amende; ajoutant, sur une autre question, qu'un de ces arrêts avait été rendu pour offense envers la Chambre des députés.

Quant aux deux articles déférés aujourd'hui à la Chambre, M. Cardon les ayant reconnus, et interpellé de répondre à l'inculpation dirigée contre lui, déclara qu'il s'en rapportait à son défenseur pour établir ses moyens de justification. Ce défenseur était M Barthe, l'un des avocats les plus distingués de Paris.

Tous les journaux du temps ont rapperté ce plaidoyer remarquable par la délicatesse des précautions oratoires qui réunirent les suffrages même des juges les plus sévères. L'habile défenseur, après quelques réflexions sur la situation nouvelle de la Chambre, abordant l'accusation dirigée contre le journal, observait que le rédacteur avait eu pour objet de provoquer la dissolution de la Chambre, et qu'il n'y avait point d'offense légale à émettre cette opinion, même avec les expressions dont le rédacteur des articles incriminés s'était servi.

A cet égard, Me Barthe citait les opinions émises en diverses circonstances au sujet des dernières élections, à la Chambre des pairs par M. de Montalembert (séance du 4 mai 1824), à celle des dé

« PreviousContinue »