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dont l'objet spécial était de supprimer l'usage des discours écrits, autres que pour la présentation des lois, les rapports des commissions, les propositions spéciales..., etc.; elle fut prise en considération et renvoyée à une commission spéciale. Elle avait pour avantage d'abréger les discussions, d'épargner à la Chambre l'ennui des redites continuelles; mais il en résultait l'inconvénient d'écarter de la tribune tous ceux qui ne se sentaient pas doués du talent ou de l'assurance nécessaire pour improviser. M. Roger, rapporteur de la commission chargée d'examiner cette proposition, fit sentir la gravité de cet inconvénient (Rapport du 31 mars ), et elle fut écartée (20 avril) après une courte discussion.

Déja s'annonçaient diverses pétitions dont la présentation excita des débats plus ou moins animés, mais auxquelles nous reviendrons lors de la discussion des projets de lois qui les avaient provoquées, et qui furent presque toutes écartées par l'ordre du jour.

CHAMBRE DES PAIRS.

Un de ces projets que M. le garde des sceaux avait présentés le 10 février à la Chambre des pairs, avait pour objet la répression des contraventions, des délits et des crimes commis par des Français dans les échelles du Levant et de Barbarie. Il ne semblait pas devoir arrêter long-temps la noble Chambre, lorsque la proposition d'un amendement attira tout à coup les débats les plus intéressans et appela ou réveilla vivement sur ce sujet l'intérêt et le zèle des partis. L'épisode est ici plus piquant que la pièce.

était

« On sait que les Français jouissent dans les États du grand-seigneur de la prérogative précieuse de n'être point justiciables des tribunaux du pays : ce sont les consuls et vice-consuls de S. M. T. C. qui sont investis du droit d'exercer au nom du Roi les poursuites criminelles, et même en certains cas de juger. D'après l'édit de 1778, qui avait simplifié et réuni en une espèce de code les formes de la procédure établies par des ordonnances antérieures, la compétence en premier ressort, et seulement pour les affaires du petit criminel, attribuée à des tribunaux consulaires composés de notables, présidés par le consul ou vice-consul, et déja investis du jugement des affaires civiles. Quant aux accusations criminelles proprement dites, elles étaient dévolues en première instance à l'amirauté de Marseille, et en dernier ressort au parlement de Provence. Mais de nouvelles juridictions, de nouvelles formes et de nouvelles Jois pénales, ayant été substituées à celles qui existaient en 1778, il était de

venu nécessaire de tracer de nouvelles lois de compétence qui, en conservant le privilége précieux accordé par la sublime Porte aux sujets français, complétât un système de poursuite, d'instruction, de jugement et de pénalité qui peat satisfaire à tous les besoins.

<<Tont en conservant aux consuls et aux vice-consuls la poursuite et l'instruction qui leur étaient attribuées par l'édit de 1778 en matière civile et de police correctionnelle, il devenait indispensable de substituer pour le jugement des affaires du grand criminel, une des Cours du royaume au parlement de Provence désignée par cet édit, et cette attribution ne pouvait être confiée qu'à la' Cour d'Aix.

Mais comment cette Cour userait-elle de ce nouveau pouvoir? Serait-elle chargée seulement d'appliquer les peines, ou de statuer à la fois sur le fait et sur le droit? En d'autres termes, les Français prévenus de crimes commis dans les Échelles seraient-ils jugés en France par des jurés? ou la Cour royale devrait-elle, dans ces sortes d'affaires, cumuler les fonctions du jury avec celles des juges?

Sur ce point, le Gouvernement du Roi avait pensé que le jugement par jurés devenait absolument impraticable. Il est de principe en effet que le débat oral est le seul élément dans lequel un jury puisse trouver sa conviction; et comment faire venir en France, et devant une Cour d'assises, des témoins français qui ne pourront se déplacer, des témoins étrangers qui ne le voudront pas, et contre lesquels il n'y aurait aucun moyen de coaction? Il fallait donc renoncer au débat oral, et, si on ne voulait abandonner les sujets français à la merci des tribunaux du pays, il y avait nécessité de suppléer à ce débat par des procédures écrites. Or, l'examen d'une procédure écrite était essentiellement du ressort des magistrats, et ne pouvait appartenir aux jurés.

« Ainsi, dans le système du projet de loi proposé, les procédures criminelles, d'abord instruítes par le consul et soumises au tribunal consulaire, qui remplit les fonctions de chambre du conseil, devraient être adressées à la Cour d'Aix, où elles subiraient un second examen par la chambre d'accusation. Enfin, si la mise en accusation était ordonnée, elles devraient être renvoyées aux deux autres chambres réunies de la même cour, qui statueraient sur le vu des pièces et sans assistance de jurés...

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Tel était en substance l'exposé des motifs développés par M. le garde des sceaux lorsqu'il présenta, à la Chambre des pairs, ce projet de loi composé de trente-deux articles, divisés en six titres qui règlent la forme de l'instruction, du jugement, des contraventions et délits, de la mise en accusation, du jugement, des crimes, et de la pénalité suivant les lois françaises, etc.

Le commission spéciale chargée de l'examiner reconnut sans hésiter la nécessité de conserver l'importante prérogative accordée aux Français voyageant ou domiciliés dans les Échelles du Levant et de Barbarie, de ne pouvoir être jugés en matière civile et criminelle. que par la loi française et par des tribunaux français; comme aussi de maintenir la compétence des tribunaux consulaires dans l'applica

tion des lois nouvelles en matière civile et correctionnelle: aussi dans le rapport fait en son nom, le 7 mars, par M. le marquis d'Orvilliers, elle ne proposait que de légères modifications à l'organisation des tribunaux consulaires et aux formes de la procédure. Quant au jugement des crimes, elle avait jugé, en adoptant le mode de la traduction des prévenus devant la Cour royale d'Aix, qu'il était important, pour conserver la dignité et l'utilité de la légation française à Constantinople, que l'ambassadeur français fût toujours informé du résultat des procédures consulaires, et qu'il fût adressé au ministre des affaires étrangères un extrait des procédures envoyées par les consuls au procureur-général d'Aix. La commission proposait en conséquence un paragraphe additionnel à l'art. 29.

(11 mars.) Aucun orateur ne s'étant fait inscrire pour combattre le projet, et le ministère paraissant disposé à faire les changemens ou l'addition désirée par la commission, la discussion qui s'ouvrit le 11 mars ne paraissait pas devoir être longue. Mais M. le comte de Saint-Priest, et ensuite M. le duc de Rivière, qui avaient demandé à faire des observations sur l'ensemble du projet, excitèrent vivement l'attention de la noble Chambre. Ce premier désirait que l'on modifiât quelques dispositions des articles relatifs à la juridiction consulaire; l'un et l'autre s'étonnaient de ce qu'on semblait soustraire les consuls des Échelles du Levant à l'autorité et même à l'influence de l'ambassadeur de S. M. à Constantinople. Ils regardaient le silence gardé à son égard comme contraire à l'ordre de la hiérarchie, nuisible au bien du service, et pouvant compromettre auprès de la Porte ottomane l'existence d'une prérogative précieuse, si elle n'était plus défendue que par des consuls isolés les uns des autres, et dont l'influence ne pourrait être la même que celle de l'ambassadeur. On reviendra tout-à-l'heure à ces difficultés qui parurent d'un grand poids de la part de deux nobles pairs qui lui apportaient, l'un le fruit de son expérience personnelle dans l'ambassade de Constantinople ( M. le duc de Rivière), l'autre le dépôt héréditaire des traditions diplomatiques recueillies pendant la plus longue et la plus glorieuse ambassade en Orient dont on eût conservé le souvenir (M. de Saint-Priest). M. le garde des sceaux avait déja répondu

aux observations faites sur les attributions données aux consuls de nommer leurs assesseurs parmi les plus notables. S. G. représentait que la loi ne fesait que reproduire des dispositions des anciennes ordonnances et des anciens édits pour les mettre en harmonie avec nos lois actuelles : que le projet actuel dans la transmission des procédures criminelles à la Cour royale d'Aix n'avait pour objet que de mettre en harmonie la concession des priviléges accordés aux Français dans les Échelles du Levant avec les lois nouvelles, et que dans les formes proposées, il n'y avait aucune raison de craindre que la subordination des consuls envers l'ambassadeur en fût affaiblie. M. le ministre des affaires étrangères ajoutant le lendemain à cette opinion des développemens qu'il lui appartenait de donner, s'attacha surtout à démontrer que la supériorité des ambassadeurs sur les consuls était établie partout, et que le projet de loi n'y portait aucun préjudice; que la proposition faite d'envoyer le double des états demandés par le procureur - général d'Aix au ministre des affaires étrangères ou à l'ambassadeur ne ferait qu'entraîner une perte de temps, sans donner plus de force à la hiérarchie administrative, et qu'enfin il était impossible au gouvernement de proposer une loi qui pourvût à toutes les hypothèses, à toutes les nécessités.

« On a dit, ajoute S. Exc., que cette loi nouvelle offrirait au Gouvernement oltoman l'occasion de rompre ses capitulations; mais il me semble que l'absence de la loi est bien plus faite que sa publication pour donner lieu à une rapture. En effet, nobles pairs, n'est-il pas évident que le Gouvernement turc sera bien plus disposé à maintenir les capitulations lorsque justice lui sera garantie, que dans l'état actuel où elle ne peut pas l'être du tout...

« On a soutenu, et je suis loin de le contester, que dans l'état actuel l'ambassadeur arrangerait beaucoup d'affaires. Mais lorsqu'il y aura des contestations et des procès entre des sujets français et des étrangers, l'intervention de l'ambassadeur sera toujours nécessaire et légale : c'est au pouvoir administratif à maintenir, à modifier ou à établir les règles qui sont ou devront être suivies ; et, dans cette matière, l'intervention de dispositions législatives deviendrait impraticable.

Il arrive que des Français commettent des crimes et des délits contre les habitants ou contre la sûreté publique; or, dans l'état actuel, le pouvoir de nos agens au Levant se borne à renvoyer en France les coupables; mais ils ne subissent aucune punition: cet état de choses n'est ni juste, ni avantageux; il était de notre devoir de vous proposer les moyens d'y remédier. Quant aux délits qui se commettraient entre Français, le Gouvernement du Roi devait vous proposer les règles qui se rapprochent le plus de nos lois et de nos mœurs. >>

Enfin après avoir appuyé et justifié les principes du projet de loi, S. Exc. annonçait que si quelque amendement propre à rendre la loi plus claire, ou à faire mieux apprécier le caractère et l'ambassadeur du Roi était présenté, le Gouvernement ne s'opposerait pas à son adoption; et l'art. 29 a en effet été modifié d'après la rédaction de M. le garde des sceaux, de façon à conserver les droits et prérogatives de l'ambassadeur de France à Constantinople.

La discussion arrivée à l'examen des articles prit tout à coup un aspect plus animé et plus intéressant.

M. le vicomte de Chateaubriand, demandant la parole sur l'article premier (1), y remarque une lacune qu'il lui paraît important de remplir, relativement au transport des prisonniers ou esclaves grecs, fait sur des bâtimens français, au bénéfice des Turcs, dans les mers du Levant; trafic que le noble pair trouve plus odieux que celui de la traite des Noirs, et contre lequel la loi nouvelle n'offre aucun moyen de répression.

« Je suppose, dit S. S., qu'un bâtiment chargé d'esclaves noirs, partant d'Alger, de Tunis, de Tripoli, apporte son odieuse cargaison à Alexandrie : ce délit est prévu et reconnu par vos lois. Les consuls d'Alger, de Tunis, de Tripoli, informent en vertu de la loi que vous allez rendre, et le capitaine coupable est puni en vertu de la loi de 1818 contre la traite.

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Hé bien, Messieurs, au moment même où le vaisseau négrier arrive à Alexandrie, entre dans le port un autre vaisseau chargé de malheureux esclaves grecs, enlevés aux champs dévastés d'Argos et d'Athènes; aucune information ne peut être commencée contre les fauteurs d'un pareil crime. Vos lois puniront dans le même lieu, dans le même port, à la même heure, le capitaine qui aura vendu un homme noir, et elles laisseront échapper celui qui aura trafiqué d'un homme blanc.

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Je vous le demande, Messieurs, cette anomalie monstrueuse peut-elle subsister? Le seul énoncé de cette anomalie ne révolte-t-il pas le cœur et l'esprit, la justice et la raison, la religion et l'humanité?

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C'est cette disparate effrayante que je vous propose de détruire par le moyen

(1) Cet article était ainsi conçu :

« Art. 1er. Les consuls et vice-consuls des Échelles du Levant et de Barbarie continueront, dans les cas prévus par les traités et les capitulations, on autorisés par les usages, d'informer sur plaintes, sur dénonciations, et d'office, des contraventions, délits et crimes commis par des Français dans l'étendue desdites Échelles; ils se conformeront à ce qui est prescrit à cet égard par l'édit du mois de juin 1778, sauf les modifications déterminées par la présente loi. »

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