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répond M. de Berthier. Difficile ! oui, quand une des conditions du traité est une cession de territoire. Hé, Messieurs, quel grand inconvénient voyezvous à cela? N'est-il pas au contraire désirable qu'une puissance ambitieuse, qui voudrait profiter de quelques succès éphémères pour s'enrichir d'une de nos provinces, fut arrêtée par les difficultés d'un pareil traité, qu'elle calculat combien augmenteraient les forces du monarque qui, fesant porter à la délibération des Chambres une pareille proposition, recevrait pour réponse un refus et l'offre de toutes les ressources du pays pour défendre l'honneur du trône, la gloire du nom français et l'intégrité de notre territoire. »

L'exception que l'on avait voulu faire à l'égard des colonies ne paraissait pas fondée à l'honorable membre. Le marché fait pour Saint-Domingue était à ses yeux une violation de propriété que la nécessité ne pouvait pas justifier en examinant la nature et les ressources de cette nouvelle puissance, dont les forces totales disséminées dans toute l'étendue de l'île ne présentent pas un effectif de plus de dix mille hommes mal vêtus, mal équipés et nal armés, à l'exception d'une garde à pied de douze cents hommes; M. de Berthier croit qu'on pouvait aisément reconquérir Saint-Domingue, et même y trouver des auxiliaires dans les mécontens et y former des régimens noirs, qui comme les Cipayes aux Grandes-Indes, eussent combattu à notre avant-garde et nous eussent permis d'épargner le sang de nos soldats.

« Je vais plus loin, dit-il, et je ne doute pas qu'une flotte et quelques régimens en présence de l'ile, quelques agens habiles et d'une loyauté qui inspirât toute coufiance, auraient suffi pour faire rentrer cette colonie sous la domination francaise; trois à quatre cent mille noirs subissent souvent avec impatience le joug de quinze ou vingt mille mulâtres.

La promesse faite à la population noire de sa liberté et de quelques carreaux de terre en propriété pour chaque famille; cette promesse faite au nom du Roi de France, de ce nom qui a conservé encore toute sa grandeur dans les souvenirs de la masse de la population, et elle était à vous, et des députations des hommes de couleur vous fussent bientôt arrivées pour vous supplier de hâter le débarquement de vos troupes pour les garantir des vengeances qu'ils auraient pu craindre. »

A cet égard, l'honorable orateur n'admettait point l'exemple tiré du malheureux résultat de l'expédition de 1802, celle-ci devait être connue et exécutéc tout autrement.

L'ile de Saint-Domingue, ajoute M. Berthier, est cultivée malgré l'abolition de l'esclavage. Elle continuera à l'être de la même manière. Il sera même possible d'y établir une meilleure police que celle qui existe aujourd'hui, et par là

on tirerait plus de parti du travail des habitans. Pourvus d'instructions religieuses, formés aux habitudes sociales plus policées, ayant par conséquent plus de besoins à satisfaire, ils se livreraient à un travail plus assidu et produiraient davantage. Les mœurs y étant plus réglées, la population s'accroîtrait et moins de terres resteraient en friche. Une loi n'empêcherait pas d'y former des établissemens; en peu d'années il s'en serait élevé de toutes parts; les capitaux y seraient portés, des machines de tous les genres eussent ménagé les bras des hommes et diminué leurs fatigues. Une culture mieux entendue aurait remplacé celle qui y existe, et vous eussiez vu cette colonie moins productive peut-être qu'elle ne l'était lors de la traite, mais beaucoup plus prospère qu'elle ne l'est maintenant. Les sucreries eussent été moins multipliées parce qu'elles exigent un travail trop pénible; mais les caféyères eussent prospéré, et enfin on eût pu y établir en grand la culture du coton qui ne demande que peu de travaux, et qui, avec la multitude de fabriques qui le mettent en valeur maintenant, eût été à elle seule une ressource immense pour la France. »

Passant de ce qu'il fallait faire à ce qu'on a fait, M. de Berthier accusait les ministres d'avoir compromis les intérêts comme la dignité du trône; et revenant sur la France, il leur reprochait également le système suivi dans les affaires de l'Espagne, et surtout d'avoir refusé leur assistance, soit ouverte, soit même secrète, pour aider à rétablir l'autorité légitime dans les colonies espagnoles. « Cependant, disait-il, il est connu de tous ceux qui ont suivi avec quelque attention les événemens qui se sont passés dans l'Amérique espagnole; que si, dans l'intérêt de la légitimité, nous avions fait une partie de ce que l'Angleterre a fait dans l'intérêt de la révolte, la plupart des colonies espagnoles seraient maintenant rattachées à la mère patrie; que notre propre commerce y trouverait maintenant des ressources immenses, et que le principe de la légitimité y aurait triomphé comme en Espagne. »>

« En me résumant, disait enfin M. de Berthier, je dirai donc que je repousse la loi qui nous est présentée, conséquence d'un acte illégal et contraire à notre droit public, comme contraire au droit public et anx principes de la propriété qu'il viole dans la personne des colons; comme contraire aux intérêts de notre commerce et au développement de notre navigation, comme mettant en danger l'existence à venir de nos colonies: comme ayant compromis la dignité de la couronne, comme étant une concession faite aux principes de la révolution et une violation du principe tntélaire de la légitimité: enfin comme une préparation peut-être à d'autres actes aussi contraires à ce principe qu'à tous les intérêts de la France. >>

M. le ministre de la marine et des colonies (comte de Chabrol), se levant alors pour défendre l'ordonnance du 17 avril, qu'il avait

«

C'est parce que nos pères ne payaient pas d'impôts réguliers, dit-il, et que long-temps les rois de France durent défrayer tous les services de l'administration avec les revenus de leurs domaines ; c'est surtout parceque les peuples appelés à payer des subsides pour suppléer à l'insuffisance des revenus da domaine de la couronne dans des circonstances extraordinaires voulaient rendre ces subsides moins fréquens, qu'ils sentirent la nécessité de ne pas laisser amoindrir le domaine de la couronne, c'est-à-dire le revenu de l'État destine à pourvoir à tous les services, et que fut établie d'un commun consentement la loi fondamentale de l'inaliénabilité du domaine de la couronne, comme la même nécessité de ne pas laisser affaiblir la puissance royale, avait créé les lois su l'inalienabilité de la couronne pour s'opposer à la division et au morcellement de la monarchie...

«

« C'est parce que la raison, d'accord avec nos lois, exige que le monarque investi du droit de faire les traités puisse stipuler dans ces actes toutes les conditions réclamées par les exigences du moment et les prévisions de l'avenir; c'est parce que ces conditions, trop souvent imposées par la nécessité, peuvent être ou des abandons de droits de souverains, ou des aliénations de térritoire, ou enfin des obligations onéreuses qui se résolvent toujours en impôts; c'est parce que de telles conditions ne peuvent devenir exécutoires et irrévocables que par la sanction de la puissance législative, que tout traité qui en contient de semblables doit être présenté aux Chambres et soumis, quant à ces condi tions, à la sanction des trois pouvoirs.

«C'est surtout, Messieurs, parce que des concessions de territoire et des obligations onéreuses, que de grandes calamités nous ont imposées, pourraient l'être aussi, quelque jour, par l'inexpérience et la trahison, qu'il est de notre devoir, au commencement d'une ère nouvelle de la monarchie, de ne pas nous écarter de ces maximes tutélaires qui, dans des temps désastreux, sont encore plus la sauvegarde des trônes que des peuples, et ce n'est pas à nous, miracu. leusement échappés au démembrement de notre patrie, de mettre aussi promp tement en oubli des maximes auxquelles la France dut plus d'une fois de maintenir l'intégrité de son territoire par l'annulation des traités dictés par la force et souscrits par le désir du retour et l'ennui d'une longue captivité.

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Ici l'honorable orateur entrait dans des détails critiques sur le sens de l'art. 14 de la Charte, et en le rapprochant des art. 13 et 15, il n'y trouvait pas le droit réclamé par les avocats de la couronne. Il insistait, comme tous les adversaires du projet, sur ce que l'acte du 17 avril avait disposé arbitrairement de toutes les propriétés des Colons sans leur consentement, et sans le concours de la puissance législative, investie du droit de représenter tous les intérêts communs qui ne peuvent pas se présenter eux-mêmes...

« Forcé de voter sur le projet de loi, dit l'oratenr en terminant, je le rejette surtout parceque c'est le seul moyen de mettre un terme aux empiétemens de cet arbitraire ministériel, qui dans les fiuances comme dans l'administration ne respecte ni les formes ni les dispositions des lois, et menace de tout envahir, de tout renverser, jusqu'à notre pacte fondamental, jusqu'à cette Charte que nous avons fait serment de défendre et de maintenir. »

Quoique le ministre de la marine eût déja défendu l'ordonnance du 17 avril et le projet de loi, contre les objections qu'on y fesait, le ministre des finances, souvent attaqué comme président du conseil, crut devoir une réponse particulière à ses adversaires. S. Exc., rappelant les dispositions de l'ordonnance du 17 avril, démontra qu'en vertu de l'art. 73 de la Charte, le Roi s'était réservé le droit de prendre seul, et sans le concours des Chambres, les dispositions de l'art. 1er; que l'art. 2 n'avait point dépossédé les colons. La spoliation de leurs biens était commencée; le Roi leur avait ouvert un moyen d'en être indemnisés. Ils ne pouvaient exiger que le Roi entreprit pour eux une expédition dont les chances pouvaient gravement compromettre les intérêts de l'état. Quant au paiement de l'indemnité, le ministre était loin de partager les craintes qu'on voulait inspirer aux colons. On affectait d'oublier les ressources que trouverait Haïti dans ses économies, dans l'amélioration de sa culture, au sein de la paix, et dans le délai de vingt-cinq années que ses préteurs lui accordaient.

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Sur la question de la cession de territoire, le ministre, en considérant l'ordonnnance comme un traité de paix, fesait observer que l'art. 14 de la Charte, en réservant la conclusion au Roi seul, que du moins ce n'était qu'une concession de territoire colonial, et que sous notre ancienne constitution comme sous la nouvelle, ces cessions out toujours été faites par le Roi seul, sans le concours des états ou des parlemens avant la Charte, et sans celui des Chambres depuis sa promulgation, d'où le ministre concluait que l'acte du 17 avril ne pouvait être soumis au vote ou à la ratification des Chambres, sans violer à la fois les règles de notre ancien et de notre nouveau droit public, et que les ministres qui l'ont contresigné eussent manqué à leurs devoirs s'ils eussent réclamé un bill d'indemnité qui eût consacré l'abandon de la prérogative royale, dont la défense leur est spécialement confiée. »

Quelques uns des opposans au projet de loi avaient reproché au Gouvernement le mode suivi dans les négociations. Ils rappelaient avec ironie les cérémonies et les fêtes, et les toasts portés dans les banquets donnés à cette occasion, et les articles injurieux à la Annuaire hist. pour 1825.

5

France, ensuite insérés dans les journaux d'Haïti, sur l'émancipation (MM. de Beaumont, de Berthier).

Porteurs d'une ordonnance de paix et de conciliation, répond S. Excel., fallait-il que les militaires chargés de son exécution traitassent ceux qui acceptaient cet acte comme s'ils l'eussent refusé? et si les journaux d'Haïti ont usé de représailles à l'égard d'antres journaux de Paris, s'ils ont imité leur exemple en continuant la guerre après la paix, nous pouvons nous rassurer, Messieurs, ce fut une guerre de plume dont on cherche à exagérer les conséquences. Elle n'en eut aucune à Paris, et n'en ent d'autre à Haïti que de faire distinguer à l'avenir, dans le journal (le Télégraphe), la partie officielle de celle qui ne l'était pas; ainsi cette guerre, ces prétendues insultes n'ont amené en réalité qu'un nouvel acte de paix, un nouveau deni de toute intention hostile. »>

Ici le ministre exposait l'historique de la négociation que nous avons donné (Annuaire historique pour 1825, p. 288), et dans la manière, loyale dont elle avait été conduite, il trouvait une garantie pleine et entière de l'exécution des conditions stipulées par l'ordonnance du 17 avril.

Venant aux objections faites sur l'effet que l'émancipation devait produire sur nos Antilles (la Martinique et la Guadeloupe), S. Exc. montrait que sous le rapport commercial les stipulations faites avec Haïti ne pouvaient affecter leurs intérêts autant que l'eût fait la conquête de Saint-Domingue, et que son état actuel était moins dangereux pour nos colonies que ne l'était son état antérieur.

On avait affecté bien des craintes sur la tendance républicaine des états de l'Amérique.

. Au fond, dit le ministre, les partisans de ces doctrines s'inquiètent assez peu de la forme de ces nouveaux états. Ce qui leur importe, c'est le maintien de la lutte entre le droit et le fait, c'est la conservation de toutes les chances de guerre et de discorde que la continuation de cette lutte peut leur offrir pour troubler la paix de l'Europe... Haïti est rentré dans la voie régulière ; il n'est plus en état de guerre et de convulsion; c'est désormais un pays perdu pour eux. Mais en revanche, les Colonies espagnoles, la Grèce, tous les points d'où pourra sortir une cause d'embarras et de gène pour les gouvernemens établis, tous les lieux d'où pourra naître et se conserver un germe de discorde, un motif de conflagration, un sujet de guerre, attireront tout leur intérêt, réveilleront toutes leurs espérances et ramèneront toute leur activité. C'est par les mêmes motifs qui font vouloir de nouvelles chances de succès aux partisans du désordre et des révolutions, que les amis de la paix et de l'ordre, que les gouvernemens doivent vouloir qu'elles cessent et faire leurs efforts pour fixer avec sagesse et le moins de dommages possible, après tant de bouleversemens, le sort du pays dont la situation est encore incertaine.

« C'est ce que l'ordonnance da 17 avril a fait à l'égard de Saint-Domingue,

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