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rait conséquemment être le juste sujet d'une action en dommages et intérêts.

Il ne faut pas perdre de vue ce principe prédominant dans cette matière, c'est que l'usufruitier doit jouir comme le propriétaire lui-même, et comme un bon père de famille; il doit donc suivre la marche tracée par le père de famille, en pourvoyant aux approvisionnemens de l'usine, pour éviter les pertes résultant du chômage, sans quoi il se rendrait coupable d'une faute plus ou moins grave, suivant les circons

tances.

Il ne faudrait néanmoins pas conclure de là que l'estimation portée à l'inventaire des approvisionnemens dont il s'agit, doive être inutile; car elle servira toujours soit pour régler l'équilibre des quantités, soit pour le cas où l'usufruitier se trouverait plus ou moins en déficit dans sa reproduction en nature.

1143. Supposons actuellement que le testateur n'ait légué que l'usufruit de l'usine, sans rien dire de plus; les denrées dont elle sera munie pour approvisionnemens, ne seront pas comprises dans le legs, parce qu'elles ne sont pas, comme les ustensiles et agrès, déclarées immeubles par accession. Néanmoins, puisqu'il a le droit de jouir de l'usine, comme le propriétaire lui-même; puisque c'est dans cet esprit que le legs lui a été fait, il y aurait de la contradiction penser que le testateur eût voulu souffrir qu'on lui ravît une partie de son bienfait en lui livrant, dans un état de chômage inévitable, l'usine, sans lui permettre de toucher aux ap

à

provisionnemens dont elle serait pourvue lors de la délivrance du legs.

Nous croyons donc que, même dans ce cas, l'usufruitier aurait le droit d'exiger la remise d'une quantité quelconque d'approvisionnemens, suivant que les circonstances la lui rendraient nécessaire pour mettre obstacle au chômage de l'usine; parce qu'il y a ici destination du père de famille, et intention présumée du testateur sur cet emploi. C'est ainsi que le propriétaire qui n'a fait aucune avance de pailles à son fermier, peut néanmoins exiger que celles qui sont dans la maison de ferme lors de la fin du bail, y soient laissées moyennant une juste estimation (1778), quoiqu'elles ne lui appartiennent pas.

Mais il faut observer deux points de différence entre les effets de cette délivrance et ceux qui auraient lieu dans l'hypothèse précédente. Le premier, c'est que le légataire de l'usufruit de l'usine doit ici payer de suite le prix des approvisionnemens qui lui sont remis; le second, c'est qu'il doit en souffrir l'estimation dans toute l'étendue deleur valeur, par la raison que n'en ayant pas l'usufruit, il n'a droit à aucun bénéfice à cet égard.

Le legs d'usufruit d'une usine n'emporte pas le droit de jouir des marchandises qui se trouvent manufacturées et recueillies dans les magasins lors du décès du testateur : comme le legs de la propriété même de l'usine ne comprendrait pas non plus les objets de cette nature, qui ne sont que des marchandises, et qui n'ont rien de commun avec les choses mobilières que

la destination du père de famille aurait accessoirement attachées au fonds.

Mais à l'égard des objets de ce genre dont la fabrication ne serait que commencée, et qui ne seraient pas encore dans l'état de marchandises livrables au commerce, l'héritier ne pourrait être obligé de les enlever dans cet état d'imperfection, et l'usufruitier devrait être forcé de les manufacturer entièrement, sauf une juste indemnité pour prix du restant de la main d'oeuvre nécessaire à l'effet de les lancer dans le com

merce.

Cette décision n'est toujours que l'application des principes qu'on vient d'expliquer sur les intentions présumées du testateur, qui certainement est censé avoir voulu que la fabrication par lui commencée dans son usine, fût aussi achevée dans cette même usine.

1144. Le légataire de l'usufruit d'un fonds a-t-il le droit d'y construire une usine?

Nous croyons qu'on doit admettre ici une distinction comme celle que nous avons faite, dans le chapitre précédent, sur la construction d'une maison ordinaire, et dire que s'il s'agissait d'établir une usine dont l'exploitation ne tînt qu'aux moyens industriels de l'usufruitier, il n'aurait le droit de la construire, puisqu'en pas général il n'a pas celui de changer la forme du fonds.

Mais si au contraire l'érection d'une usine était un moyen plus heureux de tirer parti des produits du fonds, comme, par exemple, si l'usufruitier d'une houillière voulait établir une ver

rerie à côté de la mine, pour tirer, par le moyen de cette fabrication, un plus grand prix de ses extractions de charbon, il en aurait le droit, et nous ne pensons pas que le propriétaire fût recevable à s'y opposer, parce qu'autrement il mettrait obstacle à la jouissance de l'usufruitier, en paralysant les moyens de la rendre aussi utile qu'elle pourrait l'être. Il en serait de ce cas. comme de celui où l'usufruitier d'un domaine veut construire une maison nécessaire pour en recueillir et héberger les fruits, lequel ne peut en être empêché sous le prétexte qu'il changera la forme du fonds où l'édifice sera construit. C'est ainsi que paraît le décider la loi romaine, qui seulement ne veut pas que l'usufruitier construise une manufacture qui puisse rendre les lieux mal-sains, ou lui donne un tel appareil que l'entretien dût, par la suite, en être à charge au propriétaire: Si tamen quæ instituit usufructuarius, aut cælum corrumpant agri, aut magnum apparatum sint desideratura, opificum fortè vel legulorum, quæ non potest sustinere proprietarius, non videbitur boni viri arbitratu frui (1).

Nous pourrions agiter ici diverses questions concernant la responsabilité de l'usufruitier sur le fait des incendies qui peuvent arriver dans les maisons et usines; mais elles trouveront encore plus naturellement leur place dans le chapitre où nous traiterons de l'obligation où il est de jouir en bon père de famille, et des fautes qu'il peut commettre dans son administration.

(1) L. 13, §. 6, ff. de usufr., lib. 7, tit. 1.

CHAPITRE XXVI.

Des Droits de l'usufruitier sur les biens ruraux ordinaires.

1145. Les fruits naturels ou industriels qui

ES

naissent des domaines ruraux, ne s'acquièrent point jour par jour, comme les fruits civils'; ils ne sont acquis à l'usufruitier que par l'acte de perception qu'il en fait sans fraude, et à mesure qu'ils se trouvent mobilisés ou détachés du fonds durant sa jouissance.

Nous disons sans fraude; car il ne serait pas permis à l'usufruitier qui verrait la fin de son usufruit s'approcher, de prévenir le temps de la récolte, pour s'emparer intempestivement des fruits du fonds, avant le terme fixé à sa jouis

sance.

Néanmoins, comme le dit Domat (1), l'usufruitier peut cueillir, avant une parfaite maturité, les fruits dont la nature est telle, qu'il est ou d'usage, ou plus utile de les cueillir prématurément. Ainsi, on n'attend pas la parfaite maturité des olives, des foins, d'un bois taillis; mais l'usufruitier doit attendre la maturité pour la moisson et pour la vendange: In fructu id esse intelligitur, quod ad usum hominis inductum est; neque enim maturitas naturalis hic spectanda

(1) Livre I, tit. 11, sect. 1, n.° 7.

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