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de drap puisse en représenter une autre, si en fait il était reconnu, par gens de l'art, qu'elle est de même aunage, du même tissu, de même qualité et fabrique; néanmoins on ne peut se dissimuler qu'il serait très-difficile de supposer une homogénéité assez parfaite entre les objets de ces divers genres, pour les admettre en compensation les uns des autres.

Il faut donc, quant à la restitution à faire par l'usufruitier, admettre une grande différence entre l'usufruit d'un magasin de blé, de vin, de liqueurs ou de fer brut, et autres objets fongibles dont les quantités sont naturellement homogènes, et celui d'un magasin de toiles, de soieries, de bonneterie, de dentelles, ou de draps.

Une quantité de fer brut, prise au poids, peut être justement et facilement remplacée ou compensée par une égale quantité de même espèce, parce qu'il est très-possible qu'il n'y ait pas de différence sensible dans la qualité.

Il en est de même d'une quantité de blé, de vin, d'huile, de sucre, de sel, et autres objets d'épicerie elle peut facilement être représentée par une pareille quantité de même espèce et d'égale bonté.

Dans ces cas, l'usufruitier doit toujours avoir le choix de se libérer, à la fin de sa jouissance, par la restitution en nature de quantité, qualité et bonté pareilles à celles qu'il avait reçues, ou par le paiement du prix estimatif porté dans l'inventaire.

1012.

Mais lorsqu'il s'agit d'un magasin de toiles,

bonneterie, dentelles, draps, velours, et autres choses de ces divers genres, à l'égard desquelles les matières premières, le tissu, la fabrication, les couleurs et la mode même produisent une telle diversité, qu'une pièce n'est presque pas comparable à une autre; et que souvent une seule pièce peut cesser d'être comparable à ellemême, lorsqu'elle est passée de mode; nous croyons qu'en règle générale, l'usufruitier ou ses héritiers ne devraient point être admis à se libérer par la restitution en nature, mais seulement par le paiement du prix estimatif, et qu'on ne pourrait forcer l'héritier à reprendre des toiles pour des toiles, des draps pour des draps, etc., etc., parce qu'il n'y a pas d'homogénéité naturelle entre les objets de ces diverses espèces; qu'il ne trouverait pas, dans ceux qui lui seraient offerts, les mêmes qualité, bonté et valeur que la loi veut dans la restitution (587); qu'en conséquence nous retomberions ici sous l'empire de la règle qui ne permet pas de payer une chose pour une autre (1245), si ce n'est au moyen du signe commun qui représente toutes les valeurs, et qui, par cette raison, sert forcément à acquitter toutes les dettes qui ont pour objet des choses qu'on ne peut reproduire en na

ture.

1013. Nous disons donc que, dans une semblable hypothèse, on ne devrait point, en règle générale, admettre l'usufruitier à se libérer autrement que par le paiement de l'estimation portée à l'inventaire, parce que nous n'entendons

pas établir, à cet égard, un principe tellement absolu qu'il soit sans exceptions possibles.

Si, en effet, il était bien reconnu en fait, par gens de l'art, qu'une pièce de toile ou de drap représentée par l'usufruitier, ou ses héritiers, est de même tissu, de même couleur, de même qualité et dimension, et qu'elle a le même cours dans le commerce que celle qui avait été reçue, on devrait en admettre la compensation jusqu'à concurrence du même aunage.

Si, encore, il était question du compte à rendre sur l'exercice d'un droit d'usufruit qui n'eût eu lieu que pendant très-peu de temps; de l'usufruit légal du père ou de la mère, par exemple, dont la jouissance peut être de trèscourte durée; ou même de celui d'un autre usufruitier qui eût renoncé à son droit, ou qui fût mort promptement après avoir été envoyé en possession, et que, pendant le court intervalle de sa jouissance, le fonds de commerce n'eût point été dénaturé, ou ne l'eût été qu'en partie, on ne pourrait alors refuser à cet usufruitier ou à ses héritiers le droit de se libérer, au moins proportionnellement, par la représentation des objets qui lui resteraient encore sur le nombre de ceux qu'il avait recus, et qui n'auraient point été avariés par sa faute.

1014. IL Y A ENCORE des fonds de commerce

de genres tout différens de ceux dont nous venons de parler ce sont ceux qui ne se composent que d'objets qui, par leur nature propre, ne participent en rien des qualités particulières

des choses fongibles; tel est un magasin de librairie, un magasin de meubles meublans, d'horlogerie ou de bijouterie: sous quel point de vue doit-on envisager l'usufruit établi sur ces sortes d'universalités, et quels sont les droits de l'usufruitier qui les a reçus ?

Le texte du code nous donne la solution de cette question, lorsqu'il dit que l'usufruitier a le droit de jouir comme le propriétaire lui-même : le testateur qui a légué l'usufruit de son fonds de commerce, en jouissait par les ventes et reventes successives des objets dont il est composé: telle était sa manière d'en user; il a donc aussi légué à l'usufruitier le droit de les vendre jouir du prix, en le remployant à son profit, puisque telle est la conséquence d'un legs d'usufruit, que la loi veut que l'usufruitier ait le droit de jouir comme le propriétaire lui-même.

pour

L'usufruitier ne sera donc pas tenu de conserver les objets d'un commerce, pour les rendre à la fin de son usufruit, puisqu'il a le droit de les vendre pour jouir du prix, et que s'il en était autrement, le legs d'usufruit serait inutile.

Il ne sera pas tenu non plus, et il ne serait pas même autorisé ni recevable à les faire représenter, malgré l'héritier, lors de la cessation de sa jouissance, par d'autres meubles de mêmes genres, pour s'acquitter ainsi de la restitution à laquelle il est obligé, puisqu'il n'y a que les choses fongibles par leur nature, qui puissent venir en compensation l'une de l'autre (1291).

Son obligation ne peut donc, en thèse géné rale, avoir directement pour objet que le rem

boursement du prix estimatif porté dans l'inventaire qui doit être fait à l'époque de son entrée en jouissance.

1015. Nous disons en thèse générale: car, comme nous l'avons déjà observé sur la question précédente, s'il s'agissait d'un usufruit qui n'eût duré qu'assez peu de temps pour que les objets n'en fussent pas changés, l'usufruitier, ou après lui ses héritiers devraient être admis à rendre en espèce ceux qui resteraient encore les mêmes, et qui ne seraient ni dépéris par leur faute, ni avilis par trop de négligence à en avoir fait la vente quand ils étaient encore de mode. 1016. Lorsqu'il s'agit de l'usufruit d'un fonds de commerce, on ne doit pas seulement appliquer aux droits des parties intéressées les règles établies par les lois sur les choses fongibles; il y a encore un autre principe à invoquer, c'est que celui qui reçoit une chose destinée à être vendue, et auquel on accorde en même temps le droit de jouir du prix en l'employant dans son intérêt propre, se trouve comparable à l'acquéreur de cette chose, en ce qu'il peut en disposer et qu'elle reste à ses risques et périls, moyennant l'estimation pour laquelle il l'a reçue: qui rem vendendam acceperit, ut pretio uteretur, periculo suo rem habebit (1).

Ce principe, établi par la loi romaine, est aussi reconnu par le code civil (1851): en sorte que dans l'usufruit d'un fonds de commerce, c'est le prix estimatif des choses livrées à l'usufruitier

(1) L. 4, ff. de rebus creditis, lib. 12, tit. 1.

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