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neutre et on laisse à d'autres le soin de la démolir. Mais c'est là un détail qui ne regarde que l'auteur du plaidoyer.

Cet auteur débute ainsi :

<< A propos de manœuvres exécutées ces jours derniers « par l'armée française sur le sol français, aux environs de << Genève, certaines gens, qui affichent ou dissimulent assez <«<mal leur antipathie contre la France, ont crié à la violation « des Traités de 1815.

« Le prétexte n'était pas habile, car on n'a jamais contesté <<< au roi de Sardaigne, de qui nous tenons la Savoie du Nord, « le droit d'y faire séjourner et manoeuvrer ses troupes en << temps de paix. Aussi de plus avisés se sont rejetés sur un << autre motif. « La France, disent-ils, élève un fort sur la « montagne de Vuache; demain elle en pourra construire << d'autres sur les Voirons, sur le Salève même, et menacer « Genève de ses feux plongeants... Où sont donc les traités « de 1815 et que devient la neutralité de la Savoie du « Nord? »

<«< Ainsi s'est réveillée une vieille question de droit inter<<< national qu'une entente amicale trancherait aisément, mais << que l'amertume complique, que la passion envenime et << que l'ignorance embrouille à plaisir. Essayons donc d'ap<< porter un peu de clarté et beaucoup de calme dans cette << étude; il s'agit, non pas de rendre acrimonies pour acri<«< monies, mais d'interroger impartialement l'histoire et les «< conventions internationales. >>

Ainsi donc, l'auteur va nous enseigner et nous expliquer, mieux que personne ne l'avait fait avant lui, des choses que nous savons cependant par cœur depuis longtemps et que nous avons étudiées sous toutes leurs faces, mais que notre ignorance embrouille à plaisir.

Nous sommes des ignorants! L'auteur nous le dit et nous le répète.

Certes nous ne lui rendrons pas la pareille. Nous lui dirons.

seulement que son exorde semble trahir un parfait parisien.

S'il veut prendre cela pour un compliment, nous n'avons pas d'objection à la chose. Et, si en retour il nous déclare un véritable Suisse et un parfait Genevois, il ne nous offensera pas non plus. Bien au contraire. Nous tenons tous ici à notre nationalité, mais nous sommes prêts aussi à reconnaître nos travers et nos défauts, ce qui n'est peut-être pas le cas partout.

Le mot d'ignorance, dont l'auteur nous gratifie deux fois, est accompagné de beaucoup d'autres du même genre: acrimonie, amertume, passion qui envenime, criailleries irritantes, querelle, système d'excitation contre la France, antipathies affichées ou mal dissimulées et ce n'est peut-être pas tout.

L'auteur a cependant pris pour épigraphe : « Les bons comptes font les bons amis. » Mais, quand on veut faire un bon compte avec quelqu'un pour s'en faire un ami, est-ce qu'on commence par les mots que nous venons de citer? Il nous semble que c'est justement le moyen de faire naître tout ce que ces mots représentent et de rendre tout règlement de compte impossible. Puis, comment établit-il un bon compte pour arranger les deux parties? Il octroie tous les droits à la France et nous met les charges sur le dos. Après cela il est évident que nous devons être parfaitement satisfaits et qu'il ne reste plus qu'à s'embrasser.

Nous ne nous fàcherons pas; nous conserverons le calme que l'auteur promet à la fin de son exorde, sans que luimême ait commencé, ainsi qu'on pouvait raisonnablement l'espérer, par nous en donner l'exemple.

Malheureusement, quoi que nous fassions, nous craignons beaucoup d'être taxé d'acrimonie, de passion, d'antipathies affichées ou mal dissimulées contre la France, etc. Nous savons, en effet, que le patriotisme d'un parisien est très chatouilleux.

L'auteur nous dit bien que «si son patriotisme est vivace,

<«< il est de ceux qui mesurent la grandeur morale de leur « pays à son amour de la justice et à son respect du droit.»>

Nous croyons cependant toujours qu'il faut savoir ménager ses termes, lorsqu'on parle avec un parisien patriote. Il y a même certains faits historiques qu'il faut bien se garder de rappeler.

Un jour, un genevois causait amicalement avec un parisien qui habitait le canton de Genève. Le parisien commença une phrase ainsi que suit: «Si Genève devenait fran«çaise... » Le genevois l'interrompit et lui dit très naturellement: «Oh! ne faites pas cette supposition! Nous « n'avons aucun désir de devenir français. Nous l'avons été << pendant seize ans sans pouvoir nous y accoutumer. » Le parisien ouvrit de grands yeux, prit un air offensé et répliqua, en élevant la voix : « Il me semble pourtant, Mon<«<sieur, qu'il y avait quelque honneur à l'être. » Le genevois faillit répondre : « Nous n'avons pas estimé un honneur <«< d'être faits français malgré nous, pas plus que les alsaciens << ne s'estiment honorés d'avoir été transformés en alle«mands malgré eux; » mais le genevois dont nous parlons ne voulait pas se brouiller avec son interlocuteur. Il ne répondit pas et détourna la conversation. Ainsi, un parisien patriote n'est jamais entièrement satisfait aussi longtemps que notre sympathie pour la France ne devient pas l'adoration d'abord, puis l'ardeur d'être conquis par elle. Sans cela, nous sommes presque des ennemis.

Nous pourrions citer beaucoup d'autres cas du même genre. Si, par exemple, il nous arrive de ne pas nous scandaliser à la vue d'un casque prussien, si nous disons qu'un casque à pointe ne nous impressionne pas plus qu'un pantalon rouge, un parisien nous dit tout de suite qu'en effet, «on sait bien que les suisses sont vendus à Bismarck.»

Pour certains parisiens, nos devoirs de peuple neutre consistent à pencher fortement vers la France et à avoir

des antipathies contre toutes les autres nations avec lesquelles la France peut se trouver en délicatesses.

Nous disons certains parisiens (l'auteur nous appelle certaines gens), sans confondre avec eux des hommes qui ne sont pas rares à Paris, mais qui, surtout, se rencontrent souvent en province, et qui envisagent d'une manière plus équitable le sentiment national des autres peuples.

La presse parisienne et l'auteur de l'Étude, nous parlent beaucoup de leur amitié pour la Suisse et pour les suisses; mais à la fin de leurs phrases il y a toujours un petit mot piquant à propos de notre faiblesse et de notre petitesse, et cette amitié qu'ils nous témoignent ressemble beaucoup à celle d'un Mentor pour des écoliers un peu naïfs.

Nous ne nous en formalisons pas, parce qu'après tout il n'y a là que de bonnes intentions. Mais, si voulant rester neutres, même moralement, nous ne penchons ni du côté où l'on voudrait nous voir pencher, ni du côté opposé, ni d'aucun autre, nous prions le patriotisme vivace de certains parisiens de ne pas se formaliser non plus, puisqu'en cela précisément consiste notre neutralité.

Reprenons maintenant l'exorde de l'auteur.

Personne n'a dit, comme il le prétend, que la neutralité de la Savoie du nord était violée par quelques coups de fusil tirés à blanc sur le Nant du Viaison. On s'en est seulement un peu étonné, comme on s'étonnerait à Thonon, si un régiment suisse, partant du Bouveret, faisait une attaque simulée dans la direction de St-Gingolph. Si la Sardaigne, avant 1860, tenait à peine quelques compagnies dans le territoire neutralisé, nul n'a contesté à la France le droit d'y promener un régiment en temps de paix et l'auteur a perdu son temps en posant pompeusement et en développant longuement des conclusions pour établir ce droit.

Si on a parlé de ces coups de fusil, c'était, comme le dit l'auteur, un prétexte (libre à lui de le trouver peu habile) pour aborder la question des forts que la France projette d'établir sur le territoire neutralisé. Cette question, en effet, nous intéresse beaucoup. Et, comme dans d'autres pays on s'intéresse un peu à nous et à notre neutralité, la presse étrangère s'occupe aussi un peu de la question. On nous dira peut-être qu'il n'y a aucune corrélation entre une petite manœuvre exécutée sur les flancs du Salève et un fort piqueté sur le Mont du Vuache.

Certaines gens (probablement les moins bien avisés) ont cru cependant en apercevoir une. A tort ou à raison, ils se sont demandé si la manœuvre n'était pas peut-être une démonstration et si elle n'avait pas pour but de préparer les habitants des environs à voir leur paisible contrée transformée en terrain militaire et en camp retranché.

Quoi qu'il en soit, l'auteur de l'Etude a trouvé irrespectueuse, vis-à-vis de la grande République, l'observation de ces gens et il a immédiatement revêtu la toge pour leur donner une leçon de convenances et de droit international.

Leçon ou plaidoyer, son Etude ne nous paraît cependant pas sans réplique. Mais, n'étant pas docteur en droit, nous nous ne nous croyons pas de force à tenter contre lui une attaque en règle. Nous ne plaiderons donc pas. Nous nous bornerons à une simple causerie sur les points qui nous ont le plus particulièrement frappé dans le développement de ses conclusions.

Nous avons déjà dit que l'une de ces conclusions irréfutables enfonce simplement une porte ouverte. Aussi passons de suite à la plus importante, qui est celle-ci :

La neutralité de la Savoie est un bienfait octroyé par l'Europe au royaume de Sardaigne et non à la Suisse.

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