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digueront des paroles charmantes pour masquer leur mépris, et nous proposeront enfin, pour tout terminer, une de ces accolades, censées fraternelles, sous lesquelles le fort étouffe tôt ou tard le plus faible.

Heureusement il y a encore, en France, des hommes d'État sérieux qui ont consenti à traiter sérieusement avec nous sur bien des questions. Ils l'ont même toujours fait avec bienveillance, avec des égards, discutant avec nous comme d'égal à égal.

Sans doute, il ne s'agissait que de simples questions économiques où les deux parties étaient également intéressées.

Espérons cependant que nous les trouverons de même, aujourd'hui qu'il s'agit d'une question bien plus grave, puisque d'elle dépend le maintien de notre neutralité et de notre nationalité. Ils ne mépriseront pas des traités dont, depuis plus de soixante ans, l'esprit et non la lettre, a maintenu entre nous de bons rapports de voisinage. Ils ne voudront pas nous violenter, nous refuser toute concession, et abuser avec nous de la force. Ils nous permettront de leur dire La France veut continuer sa grande ligne de forts déjà tracée tout le long du Jura. Elle veut probablement la relier à celle des Alpes. Bien! Mais il n'est pas prouvé que la meilleure défense d'un pays soit sur son extrême frontière. Ne pourrait-elle donc pas placer ses nouveaux forts sur la ligne la plus directe, en laissant en dehors la partie de la Savoie qui nous avoisine?

Quant aux territoires situés au delà de nos frontières naturelles, au delà du torrent des Usses, les bords du lac d'Annecy et du Bourget, peu nous importe ce qu'on y fera.

Nous sommes prêts à reconnaître que la neutralité de ces contrées-là a été voulue par la Sardaigne seule, non pas

par nous, et la Sardaigne ne s'attendait pas à ce que nous en prissions la défense. Elle les mettait tout simplement sous la garde des traités. Qu'on en dispose donc, si l'on veut.

Et, si on nous prétend que la France doit aussi défendre ses jeunes enfants de la Savoie du Nord comme les plus anciens, peut-être ces jeunes enfants préfèreront-ils mettre un peu de gloriole de côté et être laissés tranquilles au milieu de leurs montagnes, en dehors de la ligne de feu, à l'abri d'une neutralité qui ne sera peut-être jamais menacée, comme celle de la Suisse ne l'a pas été depuis 68 ans.

Les traités de 1815 ont eu à trancher des questions nombreuses et d'une importance bien autre que les petits arrangements faits en faveur du canton de Genève et de la Suisse. On n'a prêté qu'une attention distraite à ces derniers. On a simplement posé des principes et on est arrivé pour les détails à des dispositions peu définies. Il faut les définir et les préciser, en ayant égard aux circonstances actuelles. Ceux qui ont fait ces traités doivent être appelés à les interpréter et sauront le faire d'une manière équitable. Espérons qu'aucun amour-propre national ne se mettra à cheval sur des arguties pour avoir un prétexte de sacrifier le faible.

Quand on cherche ces prétextes, on les trouve toujours. L'auteur de l'Etude de droit international, si amoureux des textes, nous dit : « Les virgules elles-mêmes ont parfois une influence sur le sort des Etats. » C'est là un mot, bon à lancer au milieu d'un plaidoyer pour étonner la galerie ; mais nous aimerions savoir quand un Etat, voulant en violenter un autre, a rencontré une virgule qui l'en ait empêché.

Et cependant le mot est vrai, parce que, lorsqu'un Etat puissant est décidé à une cose, il croit toujours devoir

chercher une virgule en sa faveur, pour la faire servir de texte à de longues notes qui lui donnent nécessairemeut raison. Frédéric II, qui était un homme d'esprit, fut le seul qui ne le fit pas. Il dit simplement qu'il « prenait la Silésie parce qu'il la voulait. » Si on veut nous violenter, nous aimerions mieux, après tout, qu'on eût avec nous une franchise semblable.

Ce n'est pas dans les virgules, dans la lettre ou dans les mots des textes, se contredisant plus au moins, que nous mettons notre espoir.

C'est dans l'équité de la France et dans la bienveillance que son gouvernement actuel affirme avoir pour nous.

Malheureusement une partie de la presse parisienne s'est, dès le début de la question, montrée hostile à notre égard. Faut-il voir un revirement dans les paroles suivantes qu'un journal sérieux, le Temps, a dernièrement insérées dans ses colonnes :

« Qu'on se rassure à Genève, la question de la neutralité « de la Savoie ne menace nullement les relations amicales « de la France avec la Suisse. Nous ne serions même pas « étonnés si le débat qui s'est engagé à ce sujet donnait <«< lieu à des explications et à des arrangements de nature << à témoigner combien les deux pays attachent d'importance « à leurs rapports de bon voisinage. »

Nous voulons espérer qu'il y a là un indice de bon augure.

Maintenant, qu'est-ce que désire la Suisse? Ce n'est pas à nous de le dire. Nous n'avons pas le droit de parler en son nom et nous ne conclurons pas. Cependant nous croyons pouvoir établir ce qui suit:

« En 1815 un contrat a été conclu entre la Suisse

« d'une part,

« l'Europe

et la Sardaigne et plusieurs puissances de d'autre part, ce contrat englobe la Savoie

« du Nord dans la neutralité de la Suisse et rien ne l'a in

« firmé. « lenir. Aucune des parties contractantes n'a le droit de le « rompre. La France semble vouloir prendre des mesures « qui rendraient l'exécution du contrat impossible et qui, en « fait, le rompraient. Si cette intention est sérieuse, les

Ce contrat nous convient. Nous voulons le main

« autres co-contractants n'auront-ils pas un mot à dire ? « Et s'ils protestent, la France voudra-t-elle passer outre? » C'est là, à notre avis, toute la question.

L'auteur de l'Etude de droit international termine en disant « La polémique actuelle n'aura pas été sans ré<«sultat, si l'attention de la France se trouve éveillée de ce « côté. Caveant consules. >>

Ce mot, caveant consules, si nous nous souvenons bien de ce qui nous a été enseigné au collège, veut dire, dans le cas particulier: « La France est en danger. Elle a été atta«quée par l'ignorance des journalistes suisses. Le gouver<«< nement français doit se mettre sur ses gardes et veiller à « ce qu'il n'en résulte pas de dommage pour la République <<< française. >>

Et l'auteur conclut en indiquant ce que la France doit faire dans ce but. Elle doit :

<< Dénier toute espèce de droit à la Suisse.»><

<«<Traiter le territoire neutralisé, en tout temps, comme le reste de la France. >>

« S'entendre avec la Suisse pour qu'elle soit tenue de fournir des troupes auxiliaires pour la défense de ce petit coin de terre, si le million d'hommes dont se compose l'armée française ne suffit pas à cela. »

Voilà le bon compte que nous propose l'auteur, afin que nous devenions bons amis. Nous croyons pouvoir espérer qu'on nous en proposera un tout autre.

Encore un mot pour finir.

En mai 1860, M. Thouvenel, tout en continuant à soutenir sa nouvelle théorie tendant à prouver que la Suisse ne pouvait prétendre à aucun droit, voulut cependant faire quelque chose pour en finir avec les protestations des puissances. Il fit des propositions qui consistaient :

1o A céder à la Suisse une bande de montagnes limitée par une ligne tirée de Meillerie au col Ferret.

2o Dans l'engagement de la part de la France de n'avoir aucune flottille armée sur le lac de Genève, en tant que la Suisse observerait la réciprocité à cet égard.

3o Enfin la France s'engagerait à n'élever aucune fortification dans une certaine partie du territoire, limitée par les monts du Vuache, de Sion et du Salève.

La Suisse répondit immédiatement que l'augmentation de territoire offerte lui importait peu, parce que cela ne rectifiait pas sa frontière. Elle ajouta:

«Tout aussi peu suffisante est l'offre de n'avoir aucune flottille armée sur le lac et de n'élever aucune fortification dans un certain rayon. La Suisse peut déjà y prétendre de plein droit, en ce que la France a acquis les provinces du Faucigny, du Chablais et du Genevois neutralisées, non point comme provinces libres, mais au même titre qu'elles ont été possédées par la Sardaigne, savoir comme portions de territoires pour lesquelles l'Europe a stipulé, en faveur de la Suisse, la même neutralité qui a été assignée pour la Suisse elle-même. Or, il est évident qu'il ne peut être tenu aucune flottille armée, ni aucune fortification sur un territoire neutralisé auquel appartient naturellement aussi la partie savoisienne, soit française du lac. »

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