Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

et Gortyne avaient imposé des tributs à toutes avait entrevu en quelque sorte la monarchie les autres. Tel fut le sort des petites républiques constitutionnelle. Aristote, laissant la forme du de la Grèce continentale, dont aucune n'était dialogue adoptée par son maître, et dans laquelle antérieure à Solon. Ce législateur abolit les ar- on a peine à deviner la pensée véritable du dischontes décennaux et anéantit dans Athènes la ciple de Socrate, pose en principe que le goudernière trace de l'institution monarchique. vernement royal est le plus avantageux de tous. Combien cela dura-t-il? Moins que Solon lui- Mais comme il a vu l'aristocratie dégénérer en même. Pisistrate rétablit la monarchie, et, en oligarchie, la démocratie en démagogie, il se succombant à leur tour dans la lutte des deux souvient aussi que la monarchie royale, car il principes, ses fils léguèrent aux Athéniens la en distingue plus d'une, peut se transformer en guerre, la discorde, les démagogues et l'inva- | despotisme, et, persuadé que nul de ces gouversion. Les Mèdes, à la mort d'Arbace et trente nements pris à part ne s'occupe de l'avantage et ans avant Solon, avaient aussi essayé de la dé- des besoins de la société tout entière, il déclare mocratie. L'anarchie les avait bouleversés, et en que le despotisme, étant contraire à la nature, ne convient pas plus aux nations que l'oligarmoins de vingt ans ils s'étaient remis d'euxchie et la démocratie. Voltaire a eu raison sans mêmes sous le sceptre de Déjocès. C'était un emblème admirable que le sceptre des rois de l'an- doute d'observer que le mot monarque signifiait tiquité. La houlette en avait donné l'idée mais seul prince, seul dominant, seul puissant; les rois ne furent pas toujours des bergers. La qu'il semblait exclure toute puissance interméplupart furent des loups pour leurs troupeaux,❘ diaire, et c'est ainsi que je l'ai entendu en paret Brutus imita Solon dans Rome. Ses institu- | lant des temps primitifs. Mais ce n'est point par tions eurent une longue durée; mais à quel prix? l'origine des mots qu'il faut toujours définir les Rome n'échappait à la guerre civile que par la choses. Platon lui-même n'y a point eu égard. guerre étrangère, et, d'ailleurs, dans les grands | Dans la pensée de quelques anciens, et surtout périls, la démocratie se déclarait impuissante et dans celle des philosophes modernes, la monarchie a été séparée, en théorie, du gouvernement se réfugiait momentanément à l'abri de la moabsolu. C'est donc maintenant, suivant la définarchie, sous le nom de dictature. Après ces faits primitifs, vinrent les définitions; après la nition de Montesquieu, un État où un seul goupolitique en action, la politique spéculative; verne, mais par des lois fixes et établies, ayant après les acteurs et les charlatans politiques, les des pouvoirs intermédiaires subordonnés et déergoteurs, les sophistes et les philosophes. Pla-pendants. Mais quels seront ces pouvoirs, leur ton est le premier de ceux qui sont arrivés jus- nature, leur action et leurs limites? Qui fera ces qu'à nous. Il vivait trois siècles après Solon, et lois? Qui fera les règlements? Car cette distincbien des nations avaient passé devant lui avec le tion sur laquelle nous disputons encore a été cortège de leurs fautes, de leurs erreurs et de faite par Aristote lui-même. Eh bien! ce sont leurs misères. Il avait vu les grands, les rois, le toutes ces questions, qu'après de longs, de sanpeuple, gouverner tour à tour, exercer un pou- glants discords, et une chute honteuse, les desvoir exclusif, tendre sans cesse à l'agrandir aux potes de l'empire romain léguèrent aux bardépens des autres, et n'aboutir que rarement à | bares, qui s'en partagèrent les débris, et tandis que l'Asie et l'Afrique restaient en proie au descette prospérité publique qui doit être le but de tous les gouvernements. Il se prononça pour un potisme qui s'y reproduisait sans cesse malgré élat mixte où, comme dans Sparte et dans la le changement des dominateurs et des religions, les envahisseurs de l'Europe s'entr'égorgeaient Crète, la monarchie et la liberté fussent balanpour la solution de ce problème, sans comprencées dans une juste mesure, où la démocratie fût tempérée par la dépendance de divers pou- dre cette source éternelle de leurs divisions invoirs (Lois, liv. III). Mais, en général, c'est testines. En effet, toutes ces sociétés nomades moins de la forme de l'État que du mérite et du étaient des monarchies militaires, tempérées par caractère de ses chefs qu'il en fait dépendre la des assemblées de grands ou de nation. Tacite a prospérité. Platon subordonne toutes ses insti- beau nous dire que la naissance y faisait les rois et la valeur les capitaines. C'était peut-être vrai tutions politiques au sentiment de la vertu et au perfectionnement de la raison, et le soin qu'il de son temps, au premier siècle de l'ère chréprend de l'éducation des chefs, les qualités qu'il tienne: je n'en réponds pas; la manie des antien exige, font désirer de voir se réaliser cette thèses nuit souvent à la vérité des faits. Mais ce belle fiction du règne de Saturne, qu'il se plaît que je sais bien, c'est que trois siècles après, souvent à décrire ou à rappeler. On voit qu'il | Lombards, Goths, Vandales, Bourguignons, Hé

[ocr errors]

rules et Francs, n'avaient pas d'autres capitaines | lus ne tint plus qu'à la valeur personnelle des que leurs rois. Ces rois n'étaient pas absolus. Ils gouvernants. Les despotes faibles devaient y péessayaient seulement de le devenir, et comme rir, et la monarchie pouvait être enveloppée dans les grands n'étaient point d'humeur à se laisser leur ruine. Les Stuarts servirent d'exemple en imposer leur domination, il en résultait des ré- Angleterre; les successeurs de Louis XIV le revoltes, des luttes sanglantes, des alternatives de nouvelèrent en France. Mais le principe monardespotisme et d'oligarchie auxquelles le peuple chique se releva dans les deux pays fortifié de ne prenait part que dans sa double qualité d'in- toutes les fautes, de tous les crimes de la répustrument et de victime. La monarchie le devint blique. Il fut reconnu par les nations que nulle à son tour. L'aristocratie victorieuse signala son part la république n'avait assuré leur repos, que triomphe en Italie par des établissements répu- les plus stables, les plus florissantes n'avaient blicains où le peuple fut moins libre que sous la dû leur prospérité qu'à une forte aristocratie monarchie; en France, en Allemagne, en An- dont le peuple avait été l'esclave; que Venise gleterre, et dans une grande portion de cette n'avait duré plus que les autres que par l'extenmême Italie, ce triomphe des grands donna sion même des priviléges et du despotisme de naissance à une foule innombrable de despotes l'aristocratie. L'examen du passé produisit cette armés, parmi lesquels s'établit au hasard et par autre vérité, que toutes les républiques avaient le seul droit de la force une sorte de hiérarchie. fini par un despote, et que cette fin avait parLes monarques habiles, les Louis le Gros, les tout été amenée par la corruption, le luxe et Philippe-Auguste, les Louis IX, surent les com- l'irrésistible appât des jouissances. Or, les popuprimer, les tromper ou les soumettre. Les Jean lations européennes sont arrivées à ce point sans Terre, les Charles VI, y auraient périavec la même où toutes les républiques ont péri. Il faut monarchie, si les grands d'Angleterre n'avaient s'entendre néanmoins sur la corruption: les eu plus d'intérêt à l'asservir qu'à la détruire; si mœurs privées et domestiques ont partout gaen France la présence de l'étranger, le merveil- gné, mais aux dépens des mœurs politiques. Le leux de la mission de Jeanne d'Arc, et l'intérêt vieux patriotisme s'est altéré ; le commerce, l'indu plus puissant vassal de la couronne n'eussent dustrie, les économistes, y ont substitué une sorte imprimé une direction commune à tant de pas- de cosmopolitisme qui rend les guerres difficiles, sions diverses. La féodalité avait d'ailleurs fait mais qui détruit le sentiment de la nationalité. son temps. Mais le gouvernement absolu n'avait La passion du repos, de la stabilité, remplace pu se relever nulle part en Europe. Presque tou- tous les autres sentiments politiques. Si chacun tes les couronnes du Nord étaient électives; les s'efforce d'acquérir, chacun veut jouir en paix empereurs d'Allemagne n'avaient pu fixer leur de ce qu'il acquiert. On craint la république autorité viagère dans aucune famille. Le parle- comme un état de trouble et de guerre, comme ment anglais, les cortès d'Espagne, balançaient une arène ouverte à toutes les ambitions; et l'autorité royale. Les monarchies du second or- dans un siècle où aucun frein ne les arrête, où dre qui s'élevaient en Italie sur les ruines de la aucune position ne leur semble trop élevée, on république n'avaient ni stabilité ni avenir; elles sent le besoin de leur imposer une puissance servaient seulement à prouver encore une fois suprême au-dessus de laquelle elles puissent se que la force des choses ramenait toujours les mouvoir sans péril et pour l'avantage commun. nations à ce principe salutaire. Louis XI et ses Ainsi, les armées étant les principaux instrusuccesseurs en France, Charles-Quint et Phi- ments des grandes ambitions, partout où de la lippe II chez les Allemands et les Espagnols, position d'un État résulte la nécessité d'une Henri VIII chez les Anglais, reconquirent en armée, il faut enlever aux ambitieux la haute même temps le pouvoir royal sur l'aristocratie. perspective de l'empire par l'établissement de la Ce fut une époque de réaction, et le peuple ap- monarchie. On la veut solide, parce que tout plaudit à l'abaissement des grands, parce que les changement d'État, comme dit Machiavel, en grands n'avaient pas fait le bonheur du peuple. entraîne toujours d'autres après soi. On la veut Mais les rois eurent le tort de vouloir s'attri- héréditaire, parce que toute élection de roi est buer tous les avantages de cette révolution. une occasion de troubles, et que les ambitions Le peuple avait senti sa force. La réforme reli- perturbatrices ne font que sommeiller dans les gieuse avait introduit partout l'esprit d'ana- monarchies électives. J. J. Rousseau, dans son lyse. La philosophie demanda compte à tous Contrat social, fait, suivant les mœurs de l'Eules pouvoirs de leur origine, de leurs droits et rope actuelle, le plus bel éloge de la monarchie, de leurs actes. Le sort des gouvernements abso- en disant qu'il n'y a point de gouvernement qui

|

tions même de la société, sans l'être plus que le peuple entier? Voilà la question qui s'agite sous tant de formes diverses dans dix États de l'Europe. La dispute sera longue, aucun homme vivant n'en verra peut-être la fin. A défaut de médiateur puissant, rappelons aux deux partis les maximes de deux philosophes : disons aux rois avec Vicó, que l'école des princes n'est autre chose que la science des mœurs des peuples; disons, avec Platon, aux chefs du peuple, que ceux qui ont en horreur le joug de la servitude doivent surtout se garantir d'un amour excessif de la liberté. VIENNET.

MONASTIQUES (ORDRES), MONASTÈRES, MOINES, mots empruntés au grec povazòs, dont la racine est μóvos, seul, unique. C'est donc à de pieux solitaires que le nom de moine (monachus) fut d'abord donné, et c'est celui de cénobite, qui se rapporte aux religieux vivant en commun. Cependant l'usage a confondu les deux mots et la signification de solitaire est restée attachée à celui d'ermite ou d'anachorète. Les ordres monastiques étant soumis à une règle (regula), on les appelle aussi ordres réguliers, par opposition aux ordres séculiers, dans lesquels sont compris les membres du clergé ordinaire, vivant dans le monde (sæculum).

ait plus de vigueur, et que tout y marche au même but. Il ajoute, il est vrai, que ce but n'est pas celui de la félicité publique, et que la force de l'administration tourne sans cesse au préjudice de l'État. Il y a là une exagération évidente | dans l'intérêt de la démocratie; mais il y a un fond de vérité, et c'est pour cela que les peuples ont désiré intervenir par leurs délégués dans le gouvernement des États. De là sont nées les moBarchies constitutionnelles, ce gouvernement mixte qu'avait essayé Lycurgue, qu'avaient préféré Platon et Aristote. Mais ce n'est point dans ces philosophes qu'il faut en chercher les formes. On peut seulement y puiser des maximes de gouvernement qui sont de tous les temps et de tous les lieux. Ce qui était bon pour des cantons appelés royaumes ne saurait convenir à l'étendue des États modernes. L'aristocratie et la démocratie ne peuvent y intervenir que par délégation, et à cet égard, il est des pays où les choses ont marché si vite que Montesquieu lui-même a été dépassé. La royauté et la démocratie sont par- | tout; l'aristocratie manque au plus grand nombre, parce qu'elle a maladroitement lutté quand la lutte était devenue impossible. En Angleterre, elle s'est sauvée par d'habiles concessions, et elle est encore à peu près dans les conditions où Montesquieu l'avait trouvée. En France, elle a Les associations monastiques doivent leur oritout refusé, et le peuple lui a tout ravi. En Es-gine aux idées ascétiques et mystiques auxquelles pagne, on est en train de la tuer, sans examiner certains hommes se sont livrés de tout temps et si elle peut être utile; dans le nord de l'Europe, qui règnent encore dans la plupart des contrées où elle est l'appui de la monarchie, elle se main-orientales. Ces idées ont produit les fakirs de tient. La question est de savoir si la monarchie, | l'Inde, les bonzes du Tibet, les derviches de la telle que nous l'avons faite, se maintiendra sans | Turquie, etc., qui sont des hommes voués à la le concours de l'aristocratie, dont Montesquieu contemplation des choses divines et aux exerétablit la nécessité; si les pouvoirs électifs pla- cices de la piété souvent la plus exaltée. Les cés entre le peuple et le monarque pourront Juifs eux-mêmes ont eu leurs nazaréens ou nasuppléer à ces puissances intermédiaires, tout à ziréens qui jouissaient de prérogatives particula fois héréditaires et indépendantes, dont il fait lières, et se consacraient plus spécialement au la condition d'une bonne monarchie. C'est un service de Dieu. Nous ne devons donc pas nous essai à faire, et nous n'avons pas été maîtres étonner de voir ces idées exercer aussi un grand d'agir autrement, car, si l'aristocratie est indis- empire sur la société chrétienne dès les premiers pensable, il n'est pas au pouvoir de la loi d'en temps de sa fondation. Cependant le mysticisme créer une. Le temps seul le peut, et les mœurs ne fut pas la cause unique des rapides progrès telles que la révolution les a faites y répugnent. du monachisme : la crainte des persécutions y En France, les législateurs et les principes ont contribua puissamment sans aucun doute, car toujours été devancés par l'opinion. Dès son ori- pour échapper aux tortures, plus d'un chrétien, gine, la nouvelle monarchie s'y est trouvée en à l'exemple de Paul de Thèbes, dut se réfugier lutte avec la démocratie; les pouvoirs intermé- dans les déserts. Ce fut ainsi que les solitudes de diaires sont sans force, sans traditions, sans in- la Thébaïde, de la Palestine et de la Syrie se fluence. Ils ne peuvent ni modérer ni amortir peuplèrent d'une foule d'hommes pieux qui véles coups que les deux autres se portent. Quelle curent d'abord solitaires, et furent par conséest la force à donner à la royauté pour qu'elle quent moines dans la signification primitive du soit, suivant la maxime d'Aristote, plus puis- mot; mais le besoin de vivre en société, un des sante que chaque individu, que toutes les frac-instincts les plus impérieux de la nature hu

maine, finit par les rapprocher, et par les grouper autour de l'un d'eux, plus particulièrement renommé pour la sainteté de sa vie.

Le premier qui réunit autour de lui un certain nombre d'hommes voués à l'ascétisme, fut saint Antoine que le goût de la vie contemplative avait lui-même conduit dans les solitudes des bords de la mer Rouge. Son disciple S. Pacôme resserra plus étroitement les liens de l'association et soumit les ascètes à une règle commune, en sorte qu'on doit le regarder comme le véritable fondateur des ordres monastiques. Au mi- | lieu du Ive siècle, il bâtit à Tabenne, dans la haute Thébaïde, plusieurs milliers de cabanes placées à peu de distance l'une de l'autre et divisées en cellules contenant chacune trois cénobites. C'étaient comme autant de maisons particulières dont chacune avait son supérieur. L'établissement entier s'appelait laure et était gouverné par un abbé ou père. On n'y était admis qu'après un noviciat. Les cénobites se livraient à la contemplation, à la prière et au travail. La règle ne prescrivait pas de jeûnes: elle laissait chacun libre de jeûner ou de manger selon ses forces; mais le travail lui était | mesuré en conséquence. Le nombre des oraisons était fixé à trente-six : douze dans la journée, douze le soir et douze pendant la nuit. Le vêtement des disciples de Pacôme consistait en une peau de chèvre et une tunique de lin sans manches. Cet établissement acquit en peu de temps une si haute réputation, qu'à la mort de | son fondateur, il comptait, dit-on, 50,000 cénobites. A l'exemple de Pacôme, sa sœur avait rassemblé sur la rive droite du Nil un grand nombre de femmes qui, sous le nom de nonnes 1 ou saintes, s'étaient soumises à la même règle, et son ami Amon avait organisé dans les montagnes de Nitrie (Delta) une laure sur le plan de celle de Tabenne.

Les associations monastiques se répandirent bientôt hors de l'Égypte. La Palestine et la Syrie ne tardèrent pas à se couvrir non-seulement de laures, mais de monastères, consistant non plus en cabanes éparses comme les laures, mais en un seul bâtiment divisé en cellules. Jacques de Nisibe fonda plusieurs de ces établissements dans l'Arménie; saint Jérôme en éleva quelquesuns dans la Palestine; saint Basile le Grand introduisit le monachisme dans le Pont et dans plusieurs autres provinces de l'Asie Mineure; saint Hilarion le porta jusqu'en Sicile et en Dalmatie.

'Ce nom est dérivé, dit-on, d'un mot de la langue copte. D'autres prétendent qu'il est formé par contraction des deux mots Jatins non nupta, non mariée,

Cependant du temps de saint Éphrem, on distinguait encore trois sortes de moines: les ermites ou solitaires, qui vivaient dans des grottes ou dans des cellules, oubliés du monde et s'efforçant de l'oublier; les anachorètes qui étaient dispersés sans abri dans les solitudes les plus sauvages (voy. aussi STILITES); et les cénobites à qui le nom de moines resta plus spécialement attaché et qui vivaient en communauté, s'occupant de divers travaux, sous la conduite d'un abbé ou d'un archimandrite. A ces trois classes de religieux, on pourrait en ajouter une quatrième qui n'était pas la moins nombreuse, celle des moines gyrovagues ou vagabonds, appelés sarabaïtes en Égypte, remoboth en Syrie, booxoi en Mésopotamie, gens sans mœurs et sans principes pour la plupart, qui couraient les campagnes, vivant d'aumônes, fuyant le travail et s'abandonnant à toutes sortes d'extravagances et d'excès. Préconisée par les pères les plus célèbres, la vie monastique fit d'étonnants progrès, qu'expliquent d'ailleurs l'ardente imagination des Orientaux, l'influence d'un climat brûlant, l'amour de la paix et de la tranquillité, le désir de se soustraire aux dissipations du monde, de se dérober au spectacle de la corruption du siècle, de se créer un genre de vie exempt d'inquiétudes et de soucis, ou bien encore un sincère-repentir de ses fautes.

Les premiers moines qui parurent à Rome, à la suite de saint Athanase, en 341, s'y virent exposés, comme cela arriva aussi à Carthage, aux insultes et aux sarcasmes; mais avant la fin du Ive siècle, les chrétiens de la capitale de l'Occident se prirent d'un tel enthousiasme pour la vie monastique, que l'on vit des sénateurs et de riches matrones convertir leurs palais en maisons religieuses. Cependant jusqu'à saint Martin de Tours et à Cassien de Marseille, il n'y eut guère dans l'Italie et dans les Gaules que des solitaires dispersés au milieu des forêts. Ces deux hommes célèbres rassemblèrent les premiers ces ermites dans des asiles communs, et l'exemple qu'ils donnèrent fut suivi non-seulement dans le reste des Gaules; mais en Italie, en Irlande, en Angleterre et même en Espagne, où les mœurs n'étaient alors rien moins qu'ascétiques. Toutefois les monastères qui se constituèrent à cette époque, perdus au milieu des bois, soumis à différentes règles, ou plutôt n'ayant pas d'autre règle que le caprice de leurs abbés, auraient promptement disparu devant le sentiment de réprobation générale que provoquait la vie fainéante des moines, si saint Benoît de Nursie n'avait réussi à opérer une réforme

que saint Césaire d'Arles avait déjà tentée en vain.

|

que le pape Grégoire IX défendit absolument aux moines de quitter leurs couvents, et établit en principe l'irrévocabilité des vœux. Dans l'origine aussi, les individus qui se vouaient à la vie monastique ne renonçaient pas nécessairement à la possession de leurs biens, quoique beaucoup d'entre eux commençassent par les vendre pour les distribuer aux pauvres, suivant le précepte donné par Jésus-Christ au jeune riche. Pendant des siècles, les moines ne furent donc que des laïques distingués par un costume particulier. Au milieu du ve siècle, le concile de Chalcédoine leur avait encore défendu de se mêler d'aucune affaire ecclésiastique. Les chapelles, qu'une clôture plus sévère avait obligé de construire dans

nommé par l'évèque diocésain; auparavant, les moines assistaient au service divin avec le peuple. Cependant on eut de bonne heure des exemples de moines élevés au cléricat. Dès le vie siècle, les abbés furent admis au sacerdoce. En 787, le second concile de Nicée leur accorda le privilége de conférer les ordres inférieurs. En 1311 enfin, sous le pontificat de Clément V, tous les moines furent obligés de prendre les ordres.

Abbé du couvent du Mont-Cassin, près de Naples, Benoît de Nursie donna à ses moines une règle qui ne tarda pas à être adoptée, avec quelques modifications, par les monastères de Saint- | Denis, de Saint-Martin de Tours, de la ChaiseDieu, de Lérins, de Saint-Victor, de Corbie, en France; par ceux de Wissembourg, de Reiche- | nau, de Prümnen, de Saint-Emmeran, de Fritzlar, de Fulde, en Allemagne; par celui de Lob, près de Liége; par celui de Saint-Gall, en Suisse; et par ceux de Bancer et de Saint-Alban, dans la | Grande-Bretagne. Si la règle de saint Benoît ne régna pas exclusivement, elle devint au moins prédominante à tel point que, du temps de Char-les monastères, étaient desservies par un prêtre lemagne, on se demandait s'il pouvait y avoir d'autres moines que des bénédictins (voy. l'article). Cette règle se distingue essentiellement de celle de saint Basile (voy.), reçue en Orient, par sa tendance toute pratique. Au lieu de faire, | comme cette dernière, de l'apathie ou du repos de l'âme le but principal de la vie monastique, elle élève le travail au rang d'une des premières vertus monacales. Cela seul suffirait pour expliquer les différences qui existaient entre les couvents d'Orient et ceux d'Occident. Ainsi tandis que les moines orientaux se montraient ignorants, paresseux, séditieux, les bénédictins, bien qu'ils ne fussent pas aussi humbles, aussi détachés des biens de ce monde, aussi appliqués au travail et à l'étude que le voulait leur fondateur, rendaient à la religion, à la civilisation et aux lettres d'importants services, en conservant à la postérité un grand nombre de monuments de la littérature ancienne, en répandant un peu d'instruction parmi le peuple, en défrichant de vastes étendues de terres incultes, en portant le christianisme chez des peuples barbares, étrangers à toute idée de civilisation.

:

Ce fut encore S. Benoît qui introduisit les rœux monastiques. Basile s'était contenté de faire promettre aux moines obéissance à la règle Benoît leur fit prononcer les trois vœux solennels de pauvreté, de chasteté, et d'obéissance. Ces vœux cependant n'étaient pas perpétuels : ce qui le prouve, c'est la règle même de saint Benoît, laquelle permet aux moines qui quitteraient leur couvent d'y rentrer jusqu'à trois fois. Il est vrai que la rentrée dans le monde fut interdite, en 532, par l'empereur Justinien; mais on tint peu de compte de cette défense. S'ils quittaient le couvent, les moines pouvaient se marier, et leur mariage était regardé comme valable par l'Église. Ce ne fut qu'au XIIe siècle

[ocr errors]
[ocr errors]

Les prodigieux développements du monachisme attirèrent l'attention des gouvernements. L'empereur Julien avait déjà senti le danger qu'il y avait pour l'empire à laisser tant d'hommes pleins de jeunesse et de force se refuser aux devoirs de la vie civile, et avait ordonné d'incorporer les moines dans les légions. Valens l'imita. Maurice défendit aux soldats d'entrer dans le cloître. Nicéphore Phocas rendit une loi contre l'établissement de nouveaux couvents; les souverains d'Occident durent prendre également des mesures pour assurer des défenseurs à la patrie; mais les édits du pouvoir temporel étaient de trop faibles digues pour arrêter le torrent de l'opinion. Non-seulement la population des monastères continua de s'accroître, mais on en fonda une foule de nouveaux, et leurs revenus augmentèrent en même temps dans une progression rapide, soit par le travail des moines, soit par les dons de la piété des fidèles, soit par les riches dotations des rois, des princesses, des seigneurs que la dévotion, le remords, ou toute autre cause y jetait, soit enfin par des moyens peu honorables. Ces richesses gâtèrent tout. Les couvents avaient été placés sous la juridiction des évêques, et des seigneurs laïques, sous le nom d'abbés commendataires, en avaient été nommés protecteurs ou avoués. Pour se soustraire aux violences et aux exactions des uns et

des autres, quelques abbés se firent accorder,

« PreviousContinue »