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gences de tout genre. Appelé par tout ce que la capitale offrait de notabilités littéraires et scientifiques, d'Alembert et Condorcet à leur tête, notre illustre géomètre vint suppléer Bossut dans son cours d'hydrodynamie. Il nous souvient que le célèbre professeur a déjà rendu une éclatante justice à la supériorité de Monge quand il débutait dans la carrière n'est-il pas touchant de le retrouver encore quand notre grand mathématicien paraît sur un théâtre plus vaste, plus digne de l'étendue de son génie? Il le couvre une seconde fois de l'autorité de son nom, du patronage de son illustration, parce qu'il sait que les premiers pas dans la carrière de la gloire sont environnés d'écueils, hérissés de difficultés. Les fonctions que Monge devait remplir à Paris ne l'avaient pas dégagé de ses devoirs à l'école de Mézières, et, pendant quelque temps, soutenu par un zèle infatigable pour la propagation des lumières, il professait à Paris et à Mézières, alternant de six en six mois.-Monge, déjà connu du monde savant, n'avait cependant | encore reçu d'autre récompense de ses services que l'estime muette des amis de l'étude, lorsqu'un témoignage imposant de la reconnaissance des savants vint lui apporter la certitude de n'être point méconnu de ses pairs l'Académie des sciences lui ouvrit ses portes en 1780. Certes, ce n'était point la faveur qui lui valait cette distinction, car un mérite réel et souvent constaté par des travaux élevés avait marqué sa place au milieu de ce corps illustre. Trois ans après cette époque, Bezout laissa vacante par sa mort la chaire d'examinateur des élèves de la marine, Monge vint s'y asseoir. Il avait à peine commencé l'exercice de ses nouvelles fonctions qu'il s'honora par l'un de ces traits d'exquise délicatesse qui montrent dans tout son jour la noblesse d'une grande âme. Le maréchal de Castries voulait que le nouveau professeur refit le cours élémentaire de mathématiques de son prédécesseur; Monge ne voulut pas y consentir, alléguant pour raison que Bezout n'avait laissé à sa veuve que ses écrits pour toute ressource, et qu'il ne voulait pas arracher le pain à l'épouse d'un homme qui avait rendu de grands services aux sciences et à la patrie. Monge, et c'est un trait caractéristique de la physionomie morale de cet homme illustre, n'aurait pas voulu qu'un seul de ses instants ne fût point consacré à l'enseignement ainsi, il avait choisi parmi les élèves destinés à la marine les sujets qui offraient le plus d'aptitude pour les hautes sciences, et il leur donnait des leçons particulières là, dans ces sortes de conférences secrètes de la science,

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Monge dévoilait toutes ses théories, qu'il ne lui était pas encore permis d'enseigner publiquement. Prony, devenu si célèbre par son architecture hydraulique, est sorti de ces précieux conciliabules. Monge avait atteint la quarantième année de son âge lorsque les commotions qui précédèrent le drame immense de la révolution commencèrent à se faire sentir. C'est au milieu des grands mouvements politiques que le caractère des hommes se montre dans son vrai jour, soit dans sa nudité hideuse, soit dans sa noble pureté. L'ami des sciences ne se démentira pas : appelé à de hautes fonctions, non pas comme homme de parti, mais comme savant, il mettra les immenses ressources de son savoir au service de son pays. L'orage qui depuis longtemps grondait autour du trône de France éclata enfin. Monge, comme tant d'hommes généreux, embrassa avec enthousiasme les principes de la révolution de 1789, qui plus tard devait malheureusement ternir l'éclat de ses beaux jours d'espérance. Quand vinrent les jours de douleur, où tout ce qui sortait de la foule portait ombrage au pouvoir du moment, Monge fut désigné comme une victime à frapper. Heureusement que notre savant put justifier au parti vainqueur de la persécution du parti vaincu. Mais revenons sur nos pas: appelé au ministère de la marine en remplacement de Dubouchage, Monge, que ses goûts rendaient ami de la vie privée, aurait cru commettre un crime de lèse-patrie s'il n'eût accepté les hautes fonctions auxquelles on le croyait nécessaire. Il justifia les prévisions de ceux qui l'avaient porté à cette dignité, Condorcet à leur tête, et la tâche n'était point facile. La France était comprimée de toute part; l'ennemi foulait son sol ou bloquait sa flotte dans l'espace étroit de ses ports; les factions déchiraient le pays, et le trésor public était vide. Le génie de Monge suppléa aux ressources matérielles; le nouveau ministre, plein d'amour pour la patrie, déploya une surveillance active et énergique, dont les heureux effets se firent sentir dans tous les ports de France, où il communiqua cet enthousiasme sans lequel la France envahie courait le risque d'être démembrée. Monge arma plusieurs bâtiments, rendit plus imposant l'aspect des ports de la France. Il empêcha longtemps que le désordre qui envahissait les autres administrations ne vint désorganiser son ministère; et quand il se vit impuissant contre le torrent qui menaça de l'engloutir lui-même, il employa le reste de pouvoir qu'il conservait pour sauver les hommes spéciaux dont l'absence ou la mort eussent privé la patrie, bientôt menacée de plus

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pressants dangers. De ce nombre fut Borda et | tières à l'ennemi qui les menaçait! La Convenune foule d'officiers de marine. Il préserva d'une tion voulut que tant d'activité laissât des traces mort certaine son prédécesseur Dubouchage en utiles et durables, et le comité de salut public lui confiant une mission lointaine. Proclamé invita le citoyen Monge à rédiger un ouvrage ministre au milieu de la tempête politique la dans lequel il retracerait avec le plus grand soin plus éclatante qui fût jamais, dans la journée les procédés employés pour la fabrication des même du 10 août, au retentissement du choc canons. Monge fit paraître aux frais du gouverdes partis, au bruit d'un trône tant de fois sécu- nement, qui y mit un grand luxe, son livre inlaire qui s'écroulait, quel serait l'homme d'État titulé : Description de l'art de fabriquer les assez audacieux pour dire : « J'aurais fait mieux canons. L'exactitude des démonstrations est que Monge! » Accusé par les jacobins, auxquels jointe dans cet ouvrage à la lucidité parfaite du il prouva que les girondins, qui le méconnurent, style. Alors la terreur désolait la France; les l'avaient sans cesse entravé dans tous ses pro-arts, les lettres et les sciences elles-mêmes resjets, Monge se démit du ministère; mais il ne fut pas longtemps sans trouver l'occasion de se rendre utile à sa patrie en concourant à la préserver de l'invasion étrangère. C'est un sublime spectacle que celui que donna la France, alors que l'Europe liguée contre elle trouva sur ses frontières quatorze armées résistant, par le seul amour de la patrie, à toutes les conditions possibles d'anéantissement. Carnot dirige ses armes, la victoire est organisée; mais tout à coup un cri de détresse se fait entendre: plus de poudre! plus de canons!... la marine réclame 6,000 bouches à feu; il n'y a plus de salpêtre dans les fabriques! Le comité de salut public nomme des agents chargés de l'extraction du nitre; chaque citoyen est invité à livrer la terre salpêtrée qu'il possède; la plus grande activité règne à cet égard dans les sections de Paris, dans tous les districts : à la voix de ce même comité, des fonderies et des foreries de canons, des usines à salpêtre, s'élèvent comme par enchantement sur tous les points de la France. Monge se multiplie alors: il est partout; il trouve un procédé nouveau pour le raffinage du salpêtre; il fait substituer le moulage au sable au moulage en terre; son génie est inépuisable; il invente un nouveau système de forerie plus expéditif que l'ancien; cinq professeurs sont nommés pour faire des cours publics aux canonniers d'élite de la garde nationale de France; Monge est chargé de celui qui avait pour objet l'art de faire les canons; il ne se contente pas des leçons qui ont lieu dans la salle des électeurs de Paris, il conduit ses élèves dans les ateliers, afin qu'ils puissent joindre la pratique à la théorie. Les cours terminés, une fête nationale est improvisée, où un nouveau canon moulé au sable et foré d'après le procédé de Monge est essayé au Champ-de-Mars en présence de toutes les sections réunies aux élèves de Monge, de Fourcroy, de Berthollet et de Guyton de Morveau. C'était comme un cri de guerre jeté sur les fron

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taient sans protection, et souvent les hommes
distingués cachaient leur supériorité pour éviter
des persécutions; mais le 9 thermidor mit un
terme à ce déplorable état de choses, et toute
l'attention des hommes prévoyants se porta sur
l'instruction publique, cette source féconde de
prospérité pour les peuples. Une institution fut
créée sous le nom d'École normale, Monge la
dirigea si elle fut trop peu durable, au moins
donna-t-elle au pays la conscience de sa puis-
sance morale en lui révélant beaucoup de supé-
riorités, cachées jusqu'alors sans profit pour le
pays. Ce fut là que Monge put enfin librement
professer sa Géométrie descriptive. Vers cette
époque, il composa son livre immortel de la sta-
tique, le premier où l'on ait réuni tout ce qu'on
peut démontrer en cette partie de la mécanique
par la synthèse. — Plus tard, Monge, et c'est son
plus beau titre de gloire, c'est le plus beau fleu-
ron de sa couronne immortelle, Monge prit une
part active à la fondation de l'école polytechni-
que, cet établissement admirable, destiné à for-
mer pour la France de jeunes savants qui portent
et entretiennent sans cesse dans toutes les bran-
ches du service public le feu sacré des lumières.
Monge régla l'administration intérieure de l'é-
cole, rédigea les statuts qui la gouvernèrent
d'abord, et régla les travaux des élèves. Il con-
tribua puissamment à accélérer la marche des
études pour en recueillir plus tôt le fruit, en
formant dans son cabinet plusieurs jeunes gens
qui furent les moniteurs de leurs condisciples.
Là s'ouvrit de nouveau, devant les pas de
Monge, la carrière du professorat ; il la parcou-
rut avec zèle et enthousiasme; ses élèves le ché-
rissaient, et il consacra toujours ses émoluments
au soutien de ceux dont les familles étaient pau-
vres, lui que la fortune n'avait point favorisé, et
qui était sorti du ministère les mains vides.
Un homme qui rendait tant de services à son
pays, un homme dont le génie avait tant de
portée, ne pouvait pas être inaperçu de Bona-

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parte. Le vainqueur de Marengo, qui préludait ↑ dans l'histoire ne dorment point d'un sommeil en Italie à la brillante destinée qui devait abou- éternel: voyez la Grèce ! Monge explora les tir à une tombe isolée sur un rocher de l'Océan, bords du Nil, il y chercha les traces du canal qui, le vainqueur de Marengo voulait enrichir la selon tous les savants, unissait ce fleuve à la mer France des chefs-d'œuvre qui décoraient les villes Rouge. Il fit un très-grand nombre d'observad'Italie : une commission fut nommée pour allertions utiles au progrès des sciences et des arts; recueillir les gages de la victoire que recélaient Rome, Florence, Venise; Bonaparte en fit donner la présidence à Monge, qui s'acquitta de sa mission avec tous les soins que l'on pouvait at- | tendre d'un digne appréciateur des productions de l'intelligence. Dans cette circonstance difficile, Monge sut adoucir ce que sa mission avait d'amer pour le vaincu; aussi, quand Bonaparte le choisit avec Berthier pour porter au Directoire exécutif le traité de Campo-Formio, il rendit une justice éclatante au grand mathématicien ; voici les termes de sa lettre qui sont relatifs à Monge « Le citoyen Monge est célèbre par ses connaissances et son patriotisme; il a fait aimer les Français par sa conduite en Italie, etc. Accueillez, je vous prie, avec une égale distinction, le général distingué (Berthier) et le savant physicien; tous les deux illustrent la patrie et rendent célèbre le nom français » (Bonaparte, Lettre au Directoire). — Le caractère doux et l'esprit conciliant de Monge n'avaient point échappé à Bonaparte aussi, lorsqu'il traversa le duché d'Urbin, et qu'il voulut députer à la république de Saint-Marin un chargé de paroles amies, il jeta les yeux sur le savant. Monge fut reçu avec les plus grands honneurs par les deux capitaines régents de cette petite république, quinze fois centenaire. Il leur adressa un discours où brillent les sentiments du patriotisme le plus pur et le plus noble. La république, par l'organe de ses deux régents, témoignait les plus vives inquiétudes à l'approche des troupes françaises : Monge tranquillisa ses magistrats, qui lui répondirent de la manière la plus honorable. Après avoir parcouru l'Italie avec ce sentiment d'admiration et de tristesse que fait éprouver le souvenir de sa splendeur passée, Monge, que son génie rendait nécessaire là où les sciences et les arts devaient faire des conquêtes, fut créé par Bonaparte président de la commission des beaux-arts et des sciences, qui devait se livrer à des investigations si fructueuses pendant l'épique expédition d'Égypte. Monge ne vit pas sans le plus vif enthousiasme cette antique patrie de la civilisation du monde, qui ne conserve plus guère de sa magnificence anéantie que la splendeur de son soleil et ses gigantesques tombeaux de granit! Mais l'importance de son passé lui prépare peut-être un noble avenir; car les peuples haut placés

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toutes sont consignées dans les Décades égyptiennes et dans le grand ouvrage sur l'Égypte, à la rédaction duquel il travailla comme président de la commission chargée d'élever ce beau monument à la gloire de la France. Monge, dans une traversée du désert, fut soumis, comme toute l'armée, au prestige du mirage, cette cruelle illusion qui montre dans la profondeur du lointain de l'eau et des ombrages frais au voyageur altéré, quand il n'a devant lui, comme un océan, que le sable brûlant qui l'aveugle : accablé de fatigue, luttant contre une température tropicale, il put recueillir assez de forces pour expliquer le phénomène aux nombreux officiers qui l'entouraient; il trouva que le mirage est le produit de la réfraction occasionnée par la grande dilatation des couches inférieures de l'atmosphère. - Avide de savoir, Monge fut un de ceux qui conseillèrent l'expédition de Syrie. Il s'y montra officier intrépide. Soutenu par l'ardeur de la science, il encourageait les soldats et leur donnait l'exemple de la constance. Ceux-ci murmuraient contre le vieux savant, qui, disaient-ils, avait conseillé cette excursion. Mais s'il nous semble qu'il n'y ait vraiment point de bornes à la puissance morale, il en est à la force physique. Devant Saint-Jean-d'Acre, Monge, accablé d'émotions autant que de fatigues, faillit être victime de son dévouement aux arts et aux sciences. Une maladie mortelle menaça de l'enlever à ses amis, qui lui prodiguèrent tous, et Berthollet particulièrement, les soins les plus assidus et les plus touchants. On parvint à le sauver, à le rendre à l'armée tout entière, qui comptait sur les ressources de son génie. En effet, les besoins étaient multipliés dans ces contrées à demi barbares : les hommes de science savaient y pourvoir ou y suppléer à tout. Voici ce qu'écrivait le général Berthier à cet égard : « Messieurs Monge et Berthollet sont partout, s'occupent de tout, et sont les premiers moteurs de tout ce qui peut propager les sciences. » Dans cette mémorable expédition, Monge ne se borna point aux investigations scientifiques; souvent, l'épée à la main, il se montra officier distingué, et, lors de l'incendie du Caire, il signala sa valeur. - Bonaparte avait eu l'idée grandiose et féconde de créer un institut égyptien, dont la mission eût été de répandre les lumières sur le sol des Pharaons: Monge avait été

fait président de cette institution; Bonaparte | aussi d'honorables vétérans de la science qui y avait donné la première place à Monge dans ce trouvaient une retraite sur la fin de leur vie glocorps savant et ne s'était réservé que la seconde, rieuse; Monge était de cette seconde catégorie. touchant et sublime hommage rendu par le S'il se tut, ce ne fut point par lâcheté, mais par grand homme au grand géomètre ! Déjà des ri- | la confiance que lui inspirait son illustre protecchesses scientifiques sans nombre comme sans teur. Après avoir reçu la sénatorerie de Liége, prix avaient été réunies au Caire, dans le bâti-Monge fut décoré du titre de comte de Péluse, ment de l'institut, lorsque la révolte qui couvait depuis longtemps au sein de cette cité vint à éclater. La première pensée des membres de l'institut fut de préserver leur musée du pillage et de la dévastation; il fallut repousser l'ennemi à force de courage; Monge était à la tête de l'im- | mortelle phalange qui combattait alors pour la science noble lutte de la civilisation et de la barbarie! Mais, en se retirant, les musulmans avaient laissé l'incendie, qui menaçait de dévorer les richesses archéologiques amassées avec tant de peine; les membres de l'institut redoublèrent d'efforts et parvinrent à conserver pour la France ces trésors précieux. Ce combat est, sans contredit, l'un des épisodes les plus intéressants de la guerre d'Égypte. — Monge était aussi désintéressé, aussi intègre qu'ardent adorateur des sciences; le trait suivant en est la preuve irrécusable. Bonaparte, qui attachait plus de prix à la conquête du pouvoir qu'à celle de l'Égypte, où le Directoire voulait qu'il trouvât une tombe à côté des Pharaons, quitta brusquement le sol africain pour se rendre à Paris, suivi seulement de deux savants, Monge et Berthollet, qui devaient rendre compte au gouvernement des conquêtes de la science. Avant de partir, il remit à Monge mille louis, dans la prévision | d'une rencontre des croisières anglaises, avec lesquelles il eût été peut-être possible d'entrer en accommodement par l'appât du gain. Après la traversée, qui fut heureuse, Monge rendit les 24,000 fr. qu'il avait reçus de Bonaparte, et que celui-ci n'avait pas l'idée de lui redemander. Rentré en France, Monge oublia ses fatigues au milieu de ses élèves, qui le revirent avec bonheur et le lui témoignèrent avec enthousiasme. Il se consacra tout entier à son école chérie, et lorsque Bonaparte, devenu empereur, voulut changer le régime de l'école et le rendre tout militaire, Monge fit une noble, mais infructueuse opposition, qui lui fait honneur. Napoléon écoutait ses remontrances avec bienveillance, et le fauteuil de sénateur, qu'il fit accepter à son vieil ami, fut la récompense de longs et brillants services rendus au pays. Le sénat se composait de ces hommes qui reçoivent du triomphateur, après les grandes secousses politiques, un prix pour se taire et tout consentir; mais il comptait

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ville antique dont il avait exploré les ruines en Afrique; Napoléon le nomma grand-croix de la Légion d'honneur et l'affilia à l'ordre de la Réunion.—Sous le poids des grandeurs, cette pierre de touche des caractères, Monge resta le même, l'homme simple, bon, aimant, l'homme de science et d'étude, de travail et d'enseignement. Environné de l'estime de la France entière, apprécié comme savant par toute l'Europe, Monge n'avait eu que l'enivrement du bonheur et de la gloire, lorsque Napoléon chancela sur son trône. En partant pour sa désastreuse expédition de Russie, l'empereur, qui semblait pressentir un avenir funeste, fit accepter à Monge une somme de 200,000 fr., que le comte de Péluse, suivant l'impulsion généreuse de son noble cœur, employa en grande partie au soulagement des malheureux guerriers, rares débris de l'armée de Russie, qui avaient échappé au fer de l'ennemi ou plutôt à la rigueur du climat.-Aux premiers bruits de l'horrible désastre, Monge se rendit dans sa sénatorerie de Liége, où il prodigua les soins les plus touchants, les secours les plus prompts et les plus généreux à nos malheureux soldats. Ceux qui faisaient partie des sanglants débris de la division Macdonald n'ont point oublié la bonté du comte de Péluse, qui semblait alors faire revivre Fénelon recueillant les blessés. A cette cruelle époque, que d'émotions pénibles vinrent briser son âme! Napoléon, deux fois renversé de son trône par l'Europe liguée, les armées étrangères foulant le sol sacré de la patrie! Et puis, à ces grandes causes de douleur s'en joignirent d'autres qui lui furent très-sensibles: son école chérie fut supprimée; il fut arraché violemment du sein de l'Institut, et sa retraite, dont les élèves seuls profitaient, lui fut ôtée! - Bientôt, les coups redoublés qui frappaient son cœur, joints aux travaux d'une existence si complétement remplie, si éminemment active, aux fatigues d'une vie de génie, affaiblirent tellement ses organes que la mort vint l'enlever à sa famille, à ses amis, à la France, qui le pleura comme l'un de ses plus nobles enfants.

Monge mourut le 28 juillet 1818. Tout ce que Paris renfermait d'hommes distingués dans les arts, les sciences et les lettres, auxquels s'étaient joints tous les anciens élèves de l'école poly

technique, se réunirent comme spontanément, | et formèrent un digne cortège aux dépouilles mortelles du grand géomètre, dont le nom est inscrit dans nos fastes scientifiques, en Italie, en Égypte, sur les pyramides, et sur les ruines des anciens temples de la Syrie, et dont le souvenir plane sur l'école dont il fut l'un des principaux fondateurs, l'un des professeurs les plus zélés. Les sciences sont redevables à l'illustre professeur d'un grand nombre d'ouvrages parmi lesquels nous citerons les suivants : Géométrie descriptive (un vol. in-4o, Paris, J. Klostermann fils, 1811); Description de l'art de fabriquer les canons, faite en exécution de l'arrêté du comité de salut public, du 18 pluviôse de l'an it de la république française, une et indivisible (Paris, de l'imprimerie du comité de salut public); Traité élémentaire de statique à l'u- | sage des écoles de la marine (Paris, Courcier, 1810); Application de l'analyse à la géométrie (Paris, veuve Bernard, un vol. in-40, 1811); plusieurs mémoires sur l'analyse, les surfaces courbes, l'électricité, etc., etc.; enfin, une foule de morceaux détachés qui ont été répandus par Monge dans le Journal de l'école polytechnique, dont le premier volume contient la stéréotomie; dans la Correspondance polytechniquetes de la même langue; ce sont : 1o les Mongols de Hachette, dans le Dictionnaire de physique, dans l'Encyclopédie méthodique, dans les Annales de chimie, dans le grand ouvrage de la Description de l'Egypte, dans la Décade Égyptienne et dans le Journal de l'école Nor-bués sur les frontières de la Chine proprement

au nord, la petite Boukharie à l'ouest et le Tibet au sud, contrée qui leur doit la dénomination particulière de Mongolie. Du nord-est au nordouest, ce pays est coupé par le steppe immense de Kobi. Dans la Mongolie méridionale, comprise entre la Chine proprement dite et le Tibet, se trouvent le lac de Koko-noor ou lac Bleu, et les sources du Hoang-ho. La Mongolie septentrionale, dominée par les hautes chaînes de l'Altaï et de Tchian-chan, et dont la partie la plus occidentale, située au nord de cette dernière, et confinant à l'ouest au Turkestan et au pays des | Kirghiz, est appelée Dzoungarie, du nom d'une tribu kalmouque jadis puissante, renferme les grands lacs de Saïsân, de Boratala ou Charatal, d'Alakkoul, sans parler du lac Balkasch, plus grand encore que les précédents, mais dont moins de la moitié appartient à la Mongolie', les sources de l'Irtisch, de l'Obi et du Iénicei, qui se rendent en Sibérie, et, dans la partie du nordest, est arrosée par le Kerlon (Argoun), l'un des affluents de l'Amour.

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MONGOLS, MOGOLS, ou Mo-Ho, c'est-à-dire, dans leur langue, les Audacieux', est le nom d'une peuplade ou tribu tâtare de l'Asie centrale, voisine des Hiong-nou et autres Turcs, et parmi laquelle naquit Tchinghiz-Khan, qui lui assura la domination de l'Asie. « Quoique tous les peuples turcs et mongols se ressemblent d'une manière frappante, dit Raschid-Eldin dans la préface de son Histoire des Mongols, publiée | par M. Et. Quatremère, et aient été, dans l'origine, désignés d'un même surnom, cependant les Mongols forment une branche distincte des Turcs, et ces deux nations diffèrent l'une de l'autre par des traits essentiels. » Aujourd'hui les Mongols vivent en partie sous la domination de la Russie, en partie sous celle de la Chine; ils errent en nomades dans cette vaste contrée de l'empire chinois comprise entre la Chine proprement dite et la Mandchourie à l'est, la Sibérie

D'après quelques auteurs, le peuple appelé Mo-ho par les Chinois se serait donné, dans sa propre langue, le nom de Bida.

Les Mongols, qui se nomment aussi le peuple des neuf couleurs, d'après le nombre de ses tribus principales, se divisent en trois grandes branches distinguées par leurs différents dialec

orientaux ou des cinq couleurs, parmi lesquels on remarque surtout les Khalkas, au nord du désert de Kobi, ainsi appelés de la petite rivière du même nom, et les Mongols Tsachar distri

dite, dont la garde leur est confiée; 2o les Mongols occidentaux ou OElæt; enfin 3o les Bouriates.

Nous n'avons ici à nous occuper spécialement que des Mongols proprement dits. Gouvernés par des khans ou princes de leur race, vassaux et tributaires de la Chine, ils vivent sous des tentes, ainsi que la majeure partie des Kalmouks, se nourrissent des produits de leurs troupeaux et professent le lamaisme (voy. ce mot et BOUDDHISME).

Nous avons indiqué, à l'article Linguistique, les traits principaux de la langue mongole et de sa sœur la kalmouque. Celle des Bouriates est le plus rude de ces idiomes, qui appartiennent à la même souche, et forment le mongol dans son acception la plus générale. Ils ont des rapports nombreux avec le turc et les idiomes tungouses, et on ne saurait y méconnaître non plus, dans les racines, certaines analogies avec des mots européens. Ce n'est qu'au XIIIe siècle que l'écri

2 Voir Charles Ritter, Géographie de l'Asie, t. ler, p. 338, 635 et sulv.

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