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force en Angleterre, et Grégoire en France, pour ne pas remonter plus haut, l'ont réclamée, et la Convention nationale l'a promulguée en loi. Vous savez qu'elle n'est devenue définitive que vers le milieu du XIXe siècle, sous la pression de toute une génération d'abolitionistes français et anglais. L'émancipation progressive a été déclarée par le gouvernement anglais dès 1883; l'émancipation totale et définitive par la République Française en 1848.

E le n'a triomphé aux Etats Unis que de notre temps, après une guerre longue et sanglante.

Si je vous rappelle ces souvenirs, c'est afin de vous montrer comment les rêves humanitaires des philosophes, soutenus par une propagande infatigable, finissent par s'imposer à l'opinion et aux pouvoirs publics, alors même que la coalition des intérêts conjurés semblait en rendre impossible la réalisation.

Après l'affranchissement des esclaves dans chaque Etat civilisé, est venue sa consécration diplomatique par des conventions internationales entre les différents Etats. Peutêtre ne tarderons-nous pas beaucoup à voir conclure des conventions analogues pour arrêter cette grande infamie sociale qui s'appelle la traite des blanches.

Rappellerai-je comment la piraterie internationale, c'est-à-dire le pillage par les corsaires des biens des particuliers dans les guerres navales, a été interdite, il y a un demi-siècle, par des conventions conclues entre les différentes nations ?

La tradition et l'usage de semblables traités n'est donc pas chose inouïe et insolite,

même dans l'ordre des principes généraux du droit des gens. L'objet que nous poursuivons au sein de cette assemblée ne saurait être réputé ni chimérique en théorie ni fatalement stérile en fait. Car il est conforme à la tradition historique de la France et de l'Angleterre, à cette tradition si puissamment proclamée par votre grand homme d'Etat Gladstone, à la fin même du XIXe siècle. Nos espérances à cet égard sont d'autant plus légitimes que, sous l'inspiration heureuse du Tsar de Russie, l'institution du tribunal de la Haye a créé l'organe de cette nouvelle fonction. La convention d'arbitrage qui vient d'être conclue entre la France et l'Angleterre fournira sans doute quelque occasion prochaine d'en montrer l'avantage.

Maintenant, il faut nous mettre à l'œuvre pour en développer l'application méthodique.

Je ne doute pas que les Etats-Unis ne se joignent volontiers à nous. Nous aurons aussi le concours de ces petits peuples de l'Europe, foyers d'une civilisation si intense et si souvent refuges des opprimés: la Suède, le Danemark, trop fréquemment victimes, à cause de leur faiblesse, de la brutalité de leurs grands voisins; ils s'empresseront de se placer sous l'égide de la nouvelle ligue. Nous constituerons ainsi, sans autre pression que celle du sentiment de la justice et de la solidarité des peuples, un faisceau respectable de forces morales et matérielles groupées autour du nouveau principe de l'arbitrage obligatoire.

Si nous ne pouvons prétendre tout d'abord l'appliquer qu'à un petit nombre de cas stric

tement définis, ne doutons pas que les bienfaits de ses conséquences ne le fassent étendre jusqu'aux conflits plus graves, exclus tout d'abord par des réserves formelles, à cause de la grandeur des intérêts en jeu. Alors, seulement, on pourra essayer de l'imposer à toutes les contestations, de façon à décharger les nations du faix insupportable des dépenses et des obligations militaires et tendre vers cette limite idéale la paix universelle.

Il a bien fallu plus d'un siècle pour réaliser l'abolition complète de l'esclavage chez les peuples civilisés. Si l'abolition de la guerre s'accomplit au cours du XXe siècle, les générations qui vont nous succéder nous béniront pour avoir préparé ce nouveau et merveilleux triomphe de la sagesse et de la Raison! (Applaudissements vifs et répétés).

DISCOURS DE LORD AVEBURY

Lord Avebury, comme Lord Brassey, s'exprime en français. Voici son dis

cours :

J'espère que la France et la GrandeBretagne viennent d'inaugurer non seulement une ère de paix, mais aussi de bonne volonté et d'amitié. Pour la paix, il me semble qu'elle est non seulement désirable, mais nécessaire dans l'intérêt des deux pays.

Permettez-moi de vous citer une phrase d'un de vos plus célèbres hommes d'Etat. Quand j'étais jeune j'avais l'honneur de connaître M. Gambetta et de jouir du privilège de son amitié. Quand je passais à

Paris, je ne manquais jamais d'aller lui présenter mes respects. Sa conversation était des plus intéressantes: il parlait avec franchise de ses idées et de ses projets pour le bonheur de la France, de ses espérances et de ses craintes pour son avenir.

La dernière fois que j'eus le plaisir de le voir nous causions précisément des dépenses énormes que font chaque année la France, l'Angleterre, l'Europe entière pour les armements de terre et de mer. « Si ça contime dit Gambetta, nous serons tous des mendiants à la porte des casernes ». (Très bien, très bien).

nue,

Hélas! les dépenses ont non-seulement continué, mais augmenté d'une façon effrayante. Cela nécessite des impôts qui pèsent lourdement sur le commerce et l'industrie. Il arrivera sûrement un temps où les manufactures, et je parle aussi de celles de la Grande-Bretagne, trouveront très difficile de lutter contre celles de l'Amérique ou de l'Australie, moins rudement grevées.

Il y a quelques années, j'ai fait un petit calcul qui m'a convaincu qu'en mettant une limite raisonnable à nos dépenses nationales, nous arriverions à pouvoir réduire

nos

heures de travail d'une heure au moins par jour et à avoir une heure de plus pour le repos, les distractions, la famille, les amis, la culture intellectuelle. Si quelques-uns de ces millions étaient donnés à la science, à mon illustre voisin M. Berthelot, par exemple, pour l'étude de cet univers si magnifique et si mystérieux, quels progrès, quelles découvertes ne ferions-nous pas ? (Applaudissements).

N'est-ce pas mélancolique et tris'e de voir des nations dites chrétiennes vivre toujours dans une atmosphère empoisonnée par la méfiance, la calomnie, la jalousie, même la haine, en dépit de toute sagesse, de toute morale et de toute religion? Ne pourrionsnous commencer à une époque, puis-je dire, de bons sens international, a travailler dans la mesure de nos forces à ce noble idéal que Virgile a rêvé quand il nous a dit :

Scilicet et tempus veniet, quum finibus illis
Agricola, incurvo terram molitus aratro,
Exesa inveniet scabra rubigine pila,

Aut gravibus rostris galeas pulsabit inanes,
Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulcris.

Il y a des Etats-Unis de l'Amérique ; pourquoi pas de l'Europe? (Très bien).

Js suis sûr que tous mes amis de la Grande-Bretagne vous diront avec moi que nous n'avons aucune jalousie pour la belle France, et que nous ne voulons lui prendre aucune de ses possessions. Au contraire, nous sommes d'avis que votre prospérité nous profite et que la nôtre est aussi à votre avantage.

On a dit avec raison que la paix a ses victoires aussi bien que la guerre. Elle a aussi ses gloires, bien plus brillantes que celles des batailles Et c'est parce que nous voulons la gloire et le bonheur de la France et de l'Angleterre que nous souhaitons de les voir marcher ensemble, comme de bonnes et loyales amies, vers ce but sublime de la grande fraternité des nations, ne connaissant d'autre rivalité que l'émulation généreuse de faire le mieux pour le bonheur de l'humanité. (Applaudissements répétés).

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